• Aucun résultat trouvé

Une circonscription propre au discours de l’avocat aux Conseils

Section 1. Un discours soumis à des contraintes spécifiques

B. Une circonscription propre au discours de l’avocat aux Conseils

218. En tant qu'acte de volonté non authentique, le discours de l'avocat à la Cour de cassation est dogmatique. Mais tous les discours dogmatiques ne se ressemblent pas. Du point de vue de l'objet interprété, et comme cela a déjà été démontré, le discours doctrinal se distingue nettement du discours opératif puisqu'il ne subit aucune limitation de son objet en ce qu'il peut aussi bien porter sur une législation ou une norme applicable (décisions des

680 Civ. 2ème, 24 juin 1998, n°96-14.161, Bull. civ. II, n°207.

681 V. par ex. Civ. 1ère, 29 oct. 2014, n°13-26.081 : « Mais attendu que la cour d'appel n'a fait que se conformer à la doctrine de la Cour de cassation exprimée dans son arrêt du 6 octobre 2011 en déclarant recevables, au regard de l'article 564 du code de procédure civile, les demandes concernant deux nouvelles publications issues des enregistrements litigieux ; que le moyen n'est pas recevable ». Sur la notion de « doctrine de la Cour de cassation », cf. not. supra n°127 et infra n°401.

juridictions inférieures, positions doctrinales) que sur une norme en vigueur682. Distinct du discours doctrinal, le discours étudié se différencie également des autres discours opératifs, c’est-à-dire des autres interprétations émises dans le cadre d'un contentieux juridictionnel, qu'elles soient juridictionnelles ou extra-juridictionnelles. Pour s’en convaincre, il faut montrer la différence entre l’objet de l’interprétation de l’avocat aux Conseils et celui des interprétations émises antérieurement et postérieurement au pourvoi (2).

1. La différence avec l’objet des discours produits antérieurement au

pourvoi

219. La différence d’objet avec les autres discours extra-juridictionnels - Avant le pourvoi, les interprétations opératives peuvent être d’ordre extra-juridictionnel ou juridictionnel. Les interprétations opératives extra-juridictionnelles sont principalement celles qui proviennent des justiciables ou le plus souvent, de leurs représentants, notamment des avocats à la Cour. Présentées devant les juridictions inférieures, ces interprétations ne peuvent jamais porter sur une décision qui fait l'objet d'un pourvoi. C’est la chronologie du contentieux qui explique cette délimitation. Avant le pourvoi, les justiciables ou leurs représentants ne pourront fonder leurs demandes que sur des éléments qui lui sont antérieurs.

En première instance, devant le tribunal de grande instance par exemple, l'avocat à la cour va émettre un discours qui reposera sur la qualification d’un fait ou d’un acte à l'origine du litige683. L’objet interprété n’est donc pas un jugement ou un arrêt comme c’est le cas pour l’interprétation de l’avocat aux Conseils. Devant les juridictions d'appel, l’interprétation repose sur le jugement de première instance contesté684, c’est-à-dire une décision rendue en premier ressort, susceptible d’appel. Aussi, l'interprétation de l'avocat aux Conseils est-elle la seule à avoir pour objet une décision rendue en premier et dernier ressort.

220. La différence d’objet avec les discours juridictionnels - Les discours opératifs d'ordre juridictionnel sont de deux types. Il s'agit des jugements et arrêts stricto sensu, (appelés discours ultra-juridictionnels) et des rapports et avis fournis pour éclairer la juridiction sur les questions que le litige soulève (appelés discours pré-juridictionnels).

Les décisions des juridictions du fond, à l'instar des interprétations d'ordre privé, ont pour objet, en première instance et en appel, respectivement le fait ou l'acte à l'origine du litige et le

682 Cf. supra n°190 et s.

683 Cf. supra n°197.

jugement de première instance contesté. L'arrêt d'appel confirme ou réforme le jugement rendu en première instance. Ces discours ne reposent donc jamais sur une décision rendue en dernier ressort, celle-ci clôturant la chaîne des interprétations opératives juridictionnelles émises avant l'interprétation authentique.

Il en est de même pour les rapports et avis émis au profit des juridictions du fond par le juge de la mise en état, le juge rapporteur et le parquet puisqu'ils interviennent antérieurement au pourvoi685.

2. La différence avec l’objet des discours émis postérieurement au

pourvoi

221. Précisions préalables - Devant la Cour de cassation, au sein de chaque formation de jugement, un conseiller-rapporteur est désigné pour effectuer le travail préparatoire de l'arrêt et participer au délibéré686. Par ailleurs, même s'ils ne participent plus au délibéré687, les avocats généraux près la Cour de cassation émettent un avis présenté à la juridiction688. Ces écritures qui interviennent postérieurement au pourvoi, sont transmises aux représentants des parties, c’est-à-dire aux avocats à la Cour de cassation, à l’exception de l’avis du conseiller-rapporteur.

222. Le pourvoi, objet des avis et des rapports produits devant la Cour de cassation - À première vue, ces discours, qui interviennent postérieurement à celui d’un avocat aux Conseils ont également et seulement pour objet la décision qui fait l’objet d’un recours. En réalité, et à l’instar des décisions de la Cour de cassation elle-même, ils portent également sur le pourvoi dont ils évaluent le bien-fondé. Les avocats généraux et les conseillers-rapporteurs prennent toujours en compte les moyens soulevés à l’appui du pourvoi.

685

cf. supra n°181.

686 Art. 1012 du C. de proc. Civ : « Le président de la formation à laquelle l'affaire est distribuée désigne un conseiller ou un conseiller référendaire de cette formation en qualité de rapporteur » ; v. égal. D. Tricot, « Élaboration d’un arrêt de la Cour de cassation », in La Cour de cassation, l’Université et le Droit : André Ponsard, un professeur de droit à la Cour de cassation Mélanges en l’honneur du président André Ponsard, Paris, Litec, 2003, p. 263 et s.

687 V. Ph. Malaurie, « La Cour de cassation, son parquet général et la CEDH », LPA, mars 2003, n°48, p. 5 : Après avoir été condamné par la CEDH (CEDH, 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane Kaïd c/ France, n°23043/93 et 22921/93), « le bureau de la Cour a décidé le 18 juin 2001 que les membres du parquet général n'assisteraient plus à la conférence préparatoire et au délibéré et que le conseiller-rapporteur ne leur communiquerait plus son opinion personnelle sur la solution du pourvoi ».

Ces acteurs s’inspirent même parfois ouvertement « des procédés d’interprétation utilisés par l’avocat »689. En toutes hypothèses, ils s’intéressent toujours au pourvoi comme le prouvent les deux illustrations suivantes.

Dans un arrêt du 13 mars 2007, la Cour de cassation a décidé que le mariage célébré le 5 juin 2004 par le maire de Bègles entre deux personnes de sexe masculin n’était pas valide690. Suite à cet arrêt, le rapport du conseiller-rapporteur, M. Pluyette, et l’avis de l’avocat général, M. Domingo ont été publiés691. Leur lecture révèle que l’objet analysé n’est pas seulement le dispositif de l’arrêt attaqué, il concerne également le pourvoi. Le rapport et l’avis commencent en effet par exposer tous les moyens développés par le demandeur692 et visent parfois le mémoire du défendeur693. Certes, orienter la Cour de cassation vers le rejet ou l’accueil des prétentions du demandeur consiste à l’orienter en faveur ou en défaveur de la cassation du dispositif contesté, mais il faut reconnaître que l’objet interprété par le rapporteur et le représentant du ministère public est plus large que celui étudié par l’avocat aux Conseils puisqu’il englobe justement le fruit de son interprétation.

Il faut également évoquer l’hypothèse moins courante dans laquelle un pourvoi est formé en l’absence des parties et de leurs représentants. Bien que très rarement exercé par le ministère public, le pourvoi dans l’intérêt de la loi entraîne un avis et un rapport émis respectivement par l’avocat général et le conseiller-rapporteur, qui ne s’intéressent donc pas à l’argumentation des avocats aux Conseils, puisqu’en pareil cas, elle est inexistante (le pourvoi est exercé par le ministère public près la Cour de cassation). Dans une affaire relative à la maternité de substitution694, l’avocat général se réfère encore expressément au pourvoi, fût-il exercé par le ministère public : « M. le Procureur général a jugé bon de vous saisir, prenant acte d'une insécurité juridique aux incidences majeures, résultant d'approches diamétralement opposées de nos juridictions face à ce si sensible fait de société »695.

689 Le rôle de la pratique dans la formation du droit, Tome XXXIV, Travaux de l’association Henri Capitant, Journées suisses de Lausanne, Economica, 1985, v. spéc. le Rapport français par J.-L. Sourioux, p. 101.

690

Civ. 1ère, 13 mars 2007, n°05-16.627, Bull. civ. I, n°113 : « Mais attendu que, selon la loi française, le mariage est l'union d'un homme et d'une femme ; que ce principe n'est contredit par aucune des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui n'a pas en France de force obligatoire ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ».

691

Rapp. G. Pluyette, Avis M. Domingo, sous Civ. 1ère, 13 mars 2007, Gaz. Pal., Rec. jurisp. 2007, p. 10 et s.

692 Rapport préc., six pages sont entièrement consacrées à « l’analyse succincte des moyens » ; avis préc., tous les développements sont consacrés à l’exposé et au rejet des moyens développés par le demandeur.

693 V. par. le rapport de D. Loriferne, sur Ass. plén., 21 déc. 2007, n°06-11.343. Le rapporteur utilise des éléments produits par le défendeur au pourvoi « Le mémoire en défense indique que le véhicule avait été mis en circulation en juin 1995 ».

694 V. par ex. l’avis de l’avocat général H. Dontenwille, sur Ass. plén., 31 mai 1991, n°90-20.105, Bull. Ass. plén., n°4, JCP G., II, 1991, p. 381.

Ainsi, et même dans cette hypothèse, ce n’est pas seulement la décision considérée comme contraire à la loi qui constitue l’objet du discours, mais également le pourvoi exercé par le ministère public.

223. On concèdera néanmoins que si l’objet du discours de l’avocat aux Conseils n’a chronologiquement rien à voir avec celui des discours opératifs émis antérieurement au pourvoi, sa distinction avec celui des avocats généraux et conseiller-rapporteurs près la Cour de cassation n’est pas pleinement satisfaisante. C’est dans l’étude du contenu de ces différents discours, et des contraintes qui pèsent sur leur élaboration qu’on trouvera un moyen de les distinguer de manière plus décisive.

§2. Les contraintes relatives au contenu du discours

224. Si le contenu du discours de l’avocat aux Conseils est si particulier, c’est en raison de la qualité de son auteur et de son destinataire. En qualité de mandataire s’adressant à la Cour de cassation, le professionnel produit un mémoire qui doit réunir deux qualités : être conforme à l’intérêt de son client (A) et répondre aux attentes spécifiques de la Haute juridiction. Ces contraintes, qui pèsent sur le représentant dans l’élaboration de son discours, ne se retrouvent dans aucun autre discours opératif de sorte qu’elles participent à l’originalité de l’interprétation étudiée (B).

Outline

Documents relatifs