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Les discours dogmatiques antérieurs aux interprétations authentiques

Les interprétations ayant pour objet les discours législatifs mais qui ne créent pas du droit au sens de l’ontologie réaliste (notamment les discours doctrinaux, les discours des avocats*, les discours des juges du fond)

NIVEAU 1 Les discours législatifs

Les énoncés textuels à prétention normative (Constitution, lois, règlements etc.)

* Le discours de l’avocat aux Conseils, c’est-à-dire le discours étudié dans cette étude, se situe au niveau 2.

26. Plan de l’étude - À la lumière du tableau qui précède, l’étude de la nature du discours de l’avocat aux Conseils apparaît comme une étape essentielle pour dégager sa singularité par rapport à des discours voisins. Il n’est effectivement pas concevable d’appréhender les rapports entre le discours étudié et l’activité d’interprétation de la Cour de cassation sans avoir au préalable démontrer pourquoi ce discours, à la seule vue de ses propriétés ontologiques, est à même d’exercer une action spécifique sur son destinataire. Autrement dit, et conformément au tableau ci-dessus, on se concentrera exclusivement sur les discours dogmatiques de niveau 2 pour en proposer une classification. Ainsi, le discours de l’avocat aux Conseils sera d’abord envisagé en tant que tel, du point de vue de sa nature, pour montrer qu’il relève d’une activité dogmatique spécifique (Première partie).

À l’issue de ce premier travail, il ne sera plus possible de confondre le discours de l’avocat aux Conseils avec les autres discours dogmatiques, dans la mesure où il aura été prouvé qu’il est immédiatement et systématiquement adressé à la Cour de cassation. Cette position privilégiée nous autorisera alors à en analyser les effets sur l’œuvre décisionnelle de la Haute juridiction, laquelle est, selon notre conception, l’auteur exclusif des normes au sein de l’ordre judiciaire. À cette fin, une étude approfondie du contenu des moyens de cassation révèlera que le discours étudié n’est pas simplement une source d’influence pour l’interprète authentique. Il produit et relaie également des contraintes juridiques qui viennent limiter la liberté décisionnelle de son destinataire. Conformément au tableau reproduit ci-dessus, le discours de l’avocat aux Conseils, appartenant au niveau 2, sera en conséquence étudié à l’aune de sa portée contraignante sur les décisions de la Cour de cassation, c’est-à-dire sur les discours de niveau 3 (Deuxième partie).

27. La nature du discours de l’avocat et la théorie du droit - Si de nombreux travaux universitaires ont été consacrés à la technicité du discours de l’avocat aux Conseils187, il n’existe pas encore de réflexion d’ensemble permettant d’en dévoiler la nature théorique. Certes, le discours de l’avocat a été appréhendé par les théories positivistes du droit, mais les qualifications dont il a fait l’objet se comprennent surtout par leur mise en perspective avec le discours judiciaire, lequel a occupé et continue de monopoliser l’attention des théoriciens.

Les principaux mouvements positivistes, à savoir le normativisme promu par Kelsen, et le réalisme tel qu’il est représenté en France par Michel Troper, décrivent le discours de l’avocat comme un discours de « politique juridique »188 ou comme un discours de « dogmatique juridique »189, deux qualifications qui renvoient à une seule et même idée selon laquelle ce discours n’est ni scientifique, ni normatif. Il n’est pas scientifique dans la mesure où son auteur n’attribue pas à la loi applicable au litige une signification qu’un acte de connaissance permet de révéler, mais prescrit au contraire une signification conforme à l’intérêt de son client. Il n’est pas non plus normatif dans la mesure où son auteur n’a pas le pouvoir de créer des normes, mais seulement le pouvoir d’influencer son interlocuteur, à savoir la Cour de cassation, pour qu’elle opte pour la norme qu’il recommande. Ainsi, c’est par son opposition à la science du droit et au droit que le discours de l’avocat est systématiquement appréhendé par ces deux courants de pensée. Pourtant, il existe des raisons légitimes de croire que ce discours mérite mieux qu’une qualification par défaut.

D’une part, même si c’est à juste titre que ces théories retiennent que ce discours ne procède pas de la connaissance mais de la volonté de son auteur, leurs conclusions ne reposent pas toutes sur une opération de qualification convaincante. La recherche de la nature prescriptive ou descriptive du discours de l’avocat sera donc une occasion d’interroger, sur la base de réflexions inédites, la pertinence de la Théorie pure du droit et de la Théorie réaliste de l’interprétation, et d’expliquer pourquoi notre préférence se porte sur la seconde théorie.

D’autre part, ce n’est pas parce que le discours de l’avocat ne crée pas du droit qu’il doit nécessairement demeurer dans une catégorie promise à l’indifférence. Il est en effet, y compris dans la théorie réaliste de l’interprétation, classé parmi les discours dogmatiques, et

187 V. not. J. Boré, L. Boré, La cassation en matière civile, 5e éd., Paris, Dalloz, 2015 ; M.-N. Jobard-Bachellier, X. Jobard-Bachellier, J. Buk Lament, La technique de cassation : pourvois et arrêts en matière civile, 8e éd., Paris, Dalloz, 2013.

188

Ce qualificatif est employé par Kelsen in Théorie pure du droit, 2e éd. Trad. par C. Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962, v. spéc. p. 342.

189 Ce qualificatif est employé par M. Troper in La théorie du droit, le droit, l’État, Paris, PUF, 2001, v. spéc. p. 10.

repose alors aux côtés des discours qui ne génèrent pas de normes, comme celui de la doctrine universitaire par exemple. Cette conception moniste de la dogmatique juridique, même si elle se justifie par une volonté de la distinguer clairement de la science du droit, n’est pas satisfaisante car elle fait fi de la nature spécifique du discours de l’avocat aux Conseils. Certes, comme les autres discours dogmatiques, il est fonction de la volonté de son auteur et ne produit pas de norme, mais il est le seul à être directement et immédiatement adressé à la Cour de cassation, laquelle est, selon la Théorie réaliste de l’interprétation, l’auteur exclusif des normes au sein de l’ordre judiciaire. En ce sens et contrairement aux discours dogmatiques qui réagissent aux décisions de la Cour de cassation, le discours étudié les prépare.

28. En somme, cette première partie sera consacrée à la recherche de la nature spécifique du discours de l’avocat aux Conseils. On démontrera d’abord, à l’aide des enseignements de la théorie du droit et d’une recherche empirique, que ce discours est effectivement fonction de la volonté et non de la connaissance de son auteur (Titre 1). On s’attachera ensuite à prouver que, contrairement à ce que laisse actuellement penser la Théorie réaliste de l’interprétation, il n’est pas un discours dogmatique comme les autres, dans la mesure où il prépare la décision de la Cour de cassation, c’est-à-dire l’interprétation authentique (Titre 2).

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