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Les limites au libre choix par l’avocat des moyens de cassation

90. Ce n’est parce que le client n’est pas l’auteur réel des moyens de cassation qu’il n’a pas le droit d’être informé de la stratégie choisie par son mandataire ou de lui faire part de ses arguments. À l’occasion d’actions en responsabilité civile, la Cour de cassation a effectivement posé des solutions venant tempérer la liberté dont jouit l’avocat aux Conseils dans son activité de représentation. Il ne s’agit pas d’exceptions au principe du libre choix, mais seulement de limites qui contraignent l’avocat à un devoir d’information (1) ainsi qu’à un devoir de justification lorsqu’il refuse de prendre en compte un argument proposé par son client (2).

1. Le devoir d’information au profit du client

91. Le principe de la responsabilité pour faute en cas de manquement au devoir d’information - À plusieurs reprises, des clients mécontents ont reproché à leurs avocats de ne pas avoir été informés du contenu des écritures présentées à la Cour de cassation. Le client recherche alors la responsabilité du mandataire parce qu’il ne l’a pas « avisé des moyens qu’il projetait »365, ou « tenu informé de l’élaboration du mémoire avant de le déposer »366 ou « soumis, en projet, le mémoire ampliatif au soutien du pourvoi »367. Dans ces affaires, la Cour de cassation admet que cette négligence est constitutive d’une faute dans la mesure où elle se livre systématiquement à la recherche du préjudice qui en résulte pour le client368, préjudice qu’elle n’a encore jamais reconnu.

92. Le rejet systématique de la responsabilité en l’absence de préjudice - Pour retenir la responsabilité de l’avocat, la Cour de cassation ne se limite pas à constater un défaut d’information du client, elle vérifie que ce manquement est à l’origine d’un préjudice pour le client, c’est-à-dire qu’elle se demande si cette faute a effectivement fait perdre au client une

365 Extrait de l’argumentation développée par l’auteur de la requête reproduite dans l’arrêt Com, 25 avril 2001, n°98-13.456, Bull. civ. IV, n°78.

366 Extrait de l’argumentation développée par l’auteur de la requête reproduite dans l’arrêt Civ. 2ème, 10 mars 2004, n°02-10.975.

367 Extrait de l’argumentation développée par l’auteur de la requête reproduite dans l’arrêt Civ. 3ème, 30 nov. 2005, n°05-15.580.

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V. par ex. dans l’arrêt du 25 avril 2001 précité : « Attendu qu'en omettant d'aviser ses clients des moyens de cassation qu'il projetait, (…) M. X... ne les a pour autant privés d'une quelconque chance de succès de leur pourvoi, dès lors qu'il a soutenu en leur nom les moyens admissibles en l'état du débat devant les juges du fond ».

chance de « formuler d’éventuelles suggestions »369 et ainsi une chance d’obtenir la cassation de l’arrêt critiqué. Or, à chaque fois qu’elle s’est livrée à ce type d’examen, elle a systématiquement rejeté l’existence d’un préjudice. En étudiant les moyens que les clients auraient souhaités, la Cour de cassation les a toujours considérés comme inaptes à entraîner la cassation de l’arrêt critiqué au motif qu’ils étaient de pur fait370, nouveaux371 ou parce qu’ils reposaient sur une mauvaise compréhension de la décision des juges du fond372. Ainsi, bien qu’elle reconnaisse une obligation d’informer le client sur le contenu du mémoire ampliatif, la Cour n’a encore jamais retenu la responsabilité d’un avocat aux Conseils sur ce fondement.

2. Le devoir de justification du refus d’accéder à la demande du client

93. Le principe de la responsabilité pour faute en cas de refus non motivé de soutenir un moyen proposé par le client - Dès 1971, lorsqu’elle affirmait le principe de la liberté de l’avocat dans le choix des moyens de cassation373, la Cour de cassation en aménageait déjà une limite en imposant au mandataire d’informer le client « s’il estime ne pas devoir présenter un moyen expressément demandé par celui-ci »374. En d’autres termes, si l’avocat est libre d’écarter un moyen souhaité par le client, il doit, sinon s’en justifier, au moins l’en informer. Aussi s’agit-il pour le professionnel de motiver ses choix argumentatifs et d’expliquer les raisons qui l’ont conduit à repousser l’argument de son client. Cette obligation a non seulement été réaffirmée, mais a également été sanctionnée par l’engagement de la responsabilité de l’avocat aux Conseils.

94. La reconnaissance de la responsabilité de l’avocat aux Conseils - C’est à l’occasion de deux affaires ultérieures que la Cour de cassation a rappelé le devoir de justification à la charge de l’avocat aux Conseils. Dans le premier litige, des clients reprochaient à leur avocat de ne pas leur avoir expliqué pourquoi « il estimait toute défense

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Extrait de l’arrêt précité.

370 Par ex. Civ. 2ème, 10 mars 2004, n°02-10.975 : « la cour d'appel avait ainsi répondu aux demandes de M. X... et estimé, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, ne pas avoir à ordonner les mesures d'instruction sollicitées » ;v. égal. Civ. 1ère, 14 juin 2005, n°04-18.170 : « Attendu que le moyen prétendument omis, qui aurait été irrecevable en ce que, tendant à remettre en discussion l'évaluation du préjudice, il se serait heurté à l'appréciation souveraine des juges du fond… » .

371 Par ex. Com, 25 avril 2001, n°98-13.456, Bull. civ. IV, n°78 : Un avocat à la Cour de Cassation ne commet pas de faute en ne soulevant pas un moyen de droit communautaire « dès lors que, devant les juges d'appel, ce moyen n'avait été invoqué qu'en termes généraux et allusifs, sans référence à des faits précis ».

372 V. par ex. : Civ. 3ème, 30 nov. 2005, n°05-15.580.

373 Cf. supra n°88.

illusoire à l’encontre d’un pourvoi incident »375 et dans le second, le client faisait grief à son avocat « de n'avoir pas présenté le moyen qu'il lui avait suggéré » sans s’en expliquer376.

Si dans le premier cas, la Cour de cassation n’accède pas à la demande du client377, dans le second, le fait est assez rare pour être souligné, elle retient la responsabilité de l’avocat aux Conseils. En l’espèce, le client reprochait à son avocat d’avoir refusé, sans s’en être expliqué, de présenter un moyen « tiré de la violation du principe de la contradiction pour défaut de communication du courrier adressé au premier président par M. Y..., défendeur à la contestation d'état de frais »378 contre l’ordonnance du premier président de la cour d’appel d’Agen. Lorsque la Cour de cassation examine la réalité du préjudice en découlant, elle estime que ce moyen présentait une chance sérieuse d’entraîner la cassation au motif que le premier président aurait effectivement dû « s'assurer que les observations du défendeur avaient été portées à la connaissance du contestant »379. Elle reconnaît donc la responsabilité de l’avocat aux Conseils qui a commis une faute « en omettant de faire valoir ce moyen, pourtant expressément invoqué par son client, sans s'en être expliqué préalablement auprès de lui »380.

Ainsi, l’avocat est tenu, dans une certaine mesure, d’impliquer son client dans l’élaboration de ses moyens. Ceci dit, puisque ce n’est qu’a posteriori qu’il peut être inquiété par un client mécontent, à l’occasion d’une action en responsabilité, il est sans conteste l’auteur exclusif de ses interprétations.

§2. La liberté de l’avocat, en qualité d’interprète

95. Maintenant que nous nous sommes assurés que l’avocat est maître, vis-à-vis de son client, des écritures qu’il présente à la Cour de cassation, on peut désormais s’attacher à vérifier la proposition de la TRI selon laquelle l’avocat, en qualité d’interprète, est libre d’attribuer au texte invoqué dans le litige le sens qui convient le mieux à ses

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Extrait de l’argumentation développée par l’auteur de la requête reproduite dans l’arrêt Civ. 1ère, 29 févr. 2000, n°98-22.517.

376 Extrait de l’argumentation développée par l’auteur de la requête reproduite dans l’arrêt Civ. 2ème, 10 mars 2004, n°02-10.975.

377 Civ. 1ère, 29 févr. 2000, n°98-22.517 : la Cour de cassation ne reconnaît pas l’existence d’un préjudice en estimant que les « les chances d'obtenir un rejet du pourvoi incident étaient nulles ».

378 Extrait de l’argumentation développée par l’auteur de la requête reproduite dans l’arrêt Civ. 2ème, 10 mars 2004, précité.

379

Civ. 2ème, 10 mars 2004, précité.

380 Civ. 2ème, 10 mars 2004, précité, elle ordonne en conséquence le remboursement des sommes « vainement exposées pour le pourvoi » et versées au titre de l’amende civile prononcée à l’époque par la Cour de cassation pour pourvoi abusif.

préférences subjectives381. Pour ce faire, il apparaît opportun de distinguer deux hypothèses, celle dans laquelle l’avocat interprète un texte qui n’a encore jamais été interprété par la Cour de cassation (A), de celle où il attribue un sens à un énoncé qui a déjà été interprété par la Haute juridiction (B) car cela nous permettra de réaliser que dans un cas comme dans l’autre, l’avocat n’est ni obligé, ni même contraint par un sens qui préexisterait à son interprétation.

A. La liberté de l’avocat face à un énoncé textuel vierge

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