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Le discours consultatif, un discours destiné au client dans l’intérêt des juridictions suprêmes - Lorsqu’un justiciable souhaite former un pourvoi en cassation contre

une décision rendue en dernier ressort qui lui fait grief117, il est fréquent qu’il sollicite une consultation dont l’objectif est de mesurer les chances de succès du recours. L’avocat aux Conseils donnera alors son avis, généralement sous forme écrite118, soit avant de déposer le pourvoi, soit après l’avoir déposé à titre conservatoire. Cette consultation préalable trouve son origine dans les fonctions traditionnellement dévolues à l’avocat aux Conseils119. Avocat, il cherche à préserver les intérêts de son client en l’alertant sur « les limites dans lesquelles s’exerce le contrôle de la Cour suprême, ce qu’on peut en attendre, ce qu’on ne doit pas espérer »120. Officier ministériel, il veille également au bon fonctionnement de la juridiction en évitant de lui soumettre des recours irrecevables ou dépourvus d’intérêt : « le premier service que la Cour de cassation attend des avocats aux Conseils est qu’ils refusent de présenter un pourvoi qui n’a pas de chance d’être admis »121.

Si le règlement déontologique de la profession présente l’activité de consultation comme un devoir122, elle n’est pas automatique dans la mesure où elle prend place dans le cadre d’une

117 Sur les qualités d’une décision pouvant faire l’objet d’un pourvoi, cf. infra n°106 et s.

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La consultation peut également être orale. V. en ce sens le témoignage de l’avocat aux Conseils E. Piwnica, « Les juridictions vues par les avocats: la Cour de cassation », in P. Gonod (dir.), Les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Paris, Dalloz, 2002, p. 90: « quand on reçoit un dossier avec par exemple une décision manifestement insusceptible de pourvoi, on ne fait pas une consultation en bonne et due forme, on répond non il n’y a pas de pourvoi. Au revoir, Monsieur. Merci Monsieur ».

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V. J. Boré, « Réflexions sur la sélection des affaires devant la Cour de cassation », D. 1979, p. 248 : « En sélectionnant les affaires par la consultation avant pourvoi, l’avocat aux Conseils accomplit donc à la fois son devoir vis-à-vis de la Cour - qui a assez à faire pour ne pas voir à sa barre encombrée de pourvois absurdes - et vis-à-vis de son client- qui est ainsi en mesure d’éviter les frais d’une instance vouée à l’échec ».

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C. Prud’homme, Les Avocats au Conseil d’État et à la Cour de Cassation, Mémoire DEA, Paris I, 1994, p. 19.

121 J. Merlin, « Les avocats vus par un conseiller à la Cour de cassation », in Les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, sous la dir. de P. Gonod, Paris, Dalloz, 2002, p. 73. Ce rôle de filtre est d’ailleurs très régulièrement avancé pour justifier l’existence d’un ordre spécifique, V. en ce sens J. Boré, « La fonction d’avocats auprès des cours suprêmes », D.1989, p. 160 : « en l’absence d’un barreau spécialisé, l’institution dégénérerait rapidement en un troisième degré de juridiction » et à l’auteur de préciser: « ce n’est ni souhaité, ni souhaitable, puisque la Cour régulatrice du droit ne pourrait plus remplir sa mission spécifique ».

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V. pt 47 du Règlement général de déontologie, séance du conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, 2 déc. 2010, entrée en vigueur le 1er janv. 2011, consultable sur le site de l’ordre : « l’avocat aux Conseils doit, dans tous les cas, donner à son mandant ou à son représentant son avis sur les chances de succès du pourvoi qu’il est chargé d’instruire. Cet avis doit être clair ».

relation contractuelle123. Certes, certains avocats aux Conseils la décrivent encore comme « systématique (…) même lorsqu’elle n’est pas demandée par le client »124, mais d’autres y voient plutôt un usage professionnel susceptible de se raréfier125. Cela dit, elle peut et elle a déjà mené à des actions en responsabilité126.

Du point de vue de ses effets, la consultation négative peut décourager le client à agir devant les hautes juridictions. Le rôle de filtre est alors pleinement satisfait et la sélection se présent comme « la meilleure qui soit, parce qu’elle se fait avec l’accord du justiciable »127. Techniquement, elle se traduit par une absence de pourvoi, ou un désistement volontaire ou une déchéance lorsque le pourvoi a été formé à titre conservatoire. Si l’efficacité des consultations négatives est difficile à appréhender faute de statistiques officielles, tout porte à croire que les avocats aux Conseils assurent pleinement leur mission de sélection. Selon les principaux intéressés, « dans les matières soumises à la représentation obligatoire, 32 à 34% des pourvois formés sont abandonnés sur consultation négative d'un avocat aux Conseils »128. Ce pourcentage correspond à peu près à celui des pourvois qui se soldent chaque année par un désistement ou une déchéance129.

123 V. sur ce point J. Barthélémy, « Le droit au pourvoi », op. cit., p. 201. Il évoque « un filtrage décentralisé et contractuel ». La consultation dépend de la volonté du mandant, qui en fait la demande et de la volonté du mandataire qui l’estime nécessaire.

124 J. Barthélémy, « Traditions et fonctionnement de l’Ordre », in Pascale Gonod (dir.), Les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Paris, Dalloz, 2002, p. 41.

125 V. en ce sens J. Boré, « Réflexions sur la sélection des affaires devant la Cour de cassation », D. 1979, p. 248 : à propos des réformes de la procédure applicable devant la Cour de cassation, l’auteur prévenait que « toute réduction sensible du délai de dépôt du mémoire ampliatif se traduit fatalement par une réduction de l’activité de consultation ».

126 Les avocats aux Conseils sont soumis à un régime de responsabilité spécifique et moins sévère par rapport à celui auquel sont soumis les avocats à la Cour (Pour les avocats à la Cour, V. not. Civ. 1ère, 23 nov. 2004, n°03-15.090 et n°03-16.565, Bull. civ. I, n°281 : Le devoir d’information qui s’impose à l’avocat l’oblige à « déconseiller l'exercice d'une voie de droit vouée à l'échec ou, à plus forte raison, abusive » ; pour les avocats aux Conseils, V. Com, 25 avril 2001, n°98-13.456, Bull. com., IV, n°78. En l’espèce, un client reprochait à son mandataire de ne pas avoir respecté son devoir « de conseil et d'information sur les perspectives de succès du pourvoi ». Son pourvoi est rejeté, la Cour de cassation reprend à son compte l’avis du Conseil de l’Ordre, lequel estime que le défaut d’information et de conseil « ne peut engager la responsabilité de M. X... dès lors que le moyen qu'il avait soutenu n'était pas dépourvu de toute chance de succès » (alors même que le litige s’était soldé devant elle par un arrêt de rejet).

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J. Boré, La fonction d'avocat auprès des Cours suprêmes, art. préc., p. 162. Par ailleurs, il serait plus aisé de décourager les clients professionnels que les clients particuliers. V. en ce sens, J. Boré et L. Boré, La cassation en matière civile, 5e éd., Paris, Dalloz, 2015, n°23.22 : Les premiers « s’incline[nt] mieux que le client privé, parce qu’ils sont plus conscients de la distinction du fait et du droit et ont moins tendance à prendre la Cour de cassation pour un troisième degré de juridiction » ; v. égal. J. de Lavergnolle, Le Statut, le rôle et les méthodes des avocats au Conseil d’État et à la Cour de Cassation, Mémoire DEA, Paris, 1993 p. 32 : « Le client institutionnel, professionnel du procès, accepte généralement le diagnostic de l’avocat qu’il connaît bien. En revanche, le client privé est plus enclin à la résistance devant une consultation négative ».

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J. Boré, « La Cour de cassation de l’an 2000 », D. 1995, p. 133.

129 Chaque année, environ 30% des pourvois se soldent par un désistement ou une déchéance. Par ex., en 2012, ce taux était de 26,54%, v. Cour de cassation, Rapport annuel 2012 de la Cour de cassation - La preuve, La documentation française, 2013, Tableau 1.8, p. 514.

Il se peut également que le client maintienne sa volonté de former un pourvoi en cassation en dépit des découragements de son conseil. Dans ce cas, l’avocat, alors invité par l’Ordre à avertir le client des conséquences risquées de son choix130, peut décider d’instruire131 ou de ne pas instruire le pourvoi qui n’a selon lui aucune chance de prospérer. S’il refuse de prêter son concours au client, sa responsabilité ne peut pas être engagée, mais le caractère prétendument infondé du pourvoi ne constitue jamais un obstacle à la volonté du justiciable d’accéder à la Haute juridiction132, celui-ci ayant le droit à un avocat aux Conseils commis d’office133.

La consultation avant-pourvoi peut enfin être positive. Dans ce cas, la volonté du client se confond avec celle de l’avocat qui est désormais habilitée à représenter le justiciable devant les juridictions suprêmes.

13. Le discours représentatif, un discours destiné aux juridictions suprêmes dans l’intérêt du client - Une fois qu’il accepte d’instruire le pourvoi, l’avocat est habilité à représenter son client en justice « ce qui emporte pouvoir et devoir d’accomplir au nom du mandant les actes ordinaires de la procédure »134. Il va alors débuter, si cela n’a pas déjà été fait, par introduire le recours par le biais d’une déclaration au greffe de la haute juridiction compétente. Cette déclaration doit être signée de ses mains, contenir plusieurs indications et être accompagnée de diverses pièces135. À la suite de cette déclaration qui est notifiée au

130 Il informe le client des conséquences de l’application par le juge des articles 628 (amende et indemnité au profit du défendeur en cas de pourvoi abusif) et 700 du CPC qui seront susceptibles d’aggraver sa condamnation.

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C. Choucroy, « La décision frappée de pourvoi: le regard d’un avocat aux conseils : essai », in Mélanges en hommage à André Breton et Fernand Derrida, Paris, Dalloz, 1991, p. 65 : le mandataire peut accepter de former un recours qu’il considère infondé notamment parce qu’il « assume une fonction essentielle, celle de l’accès à la justice ».

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Le justiciable jouit d’un droit au pourvoi. Ce droit a été reconnu par la Cour de cassation dès 1812 (V. Civ., 12 mai 1812, cité par J. Boré et L. Boré in La cassation en matière civile, op. cit., n°01.24), érigé en principe général du droit par le Conseil d'État (V. CE, Ass., 17 févr. 1950, Dame Lamotte, Lebon, p. 110), et considéré par le Conseil constitutionnel comme une « une garantie fondamentale dont, en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient seulement à la loi de fixer les règles » (Cons. Const. n° 80−113DC du 14 mai 1980, Nature juridique des diverses dispositions du Code général des impôts relatives à la procédure contentieuse en matière fiscale, considérant n°7, Rec. Cons. Const. p. 61). Sur la question du droit au pourvoi, v. M. Cottin, L’accès à la Cour de cassation. Étude du droit au pourvoi devant les chambres civiles de la Cour de cassation, Thèse, Saint-Étienne, 1998 ; J. Barthélémy, « Le droit au pourvoi », in Le juge entre deux millénaires. Mélanges offerts à Pierre Drai, Paris, Dalloz, 2000, p. 185 et s.

133 Ass. Plén., 30 juin 1995, n°94-20.302, Bull. Ass. Plén., n°4 : cet arrêt pose que l’avocat est libre de refuser de prêter son concours au justiciable s’il estime le pourvoi manifestement infondé mais énonce également que « la défense constitue pour toute personne un droit fondamental à caractère constitutionnel ; que son exercice effectif exige que soit assuré l'accès de chacun, avec l'assistance d'un défenseur, au juge chargé de statuer sur sa prétention », ce qui implique le droit à être défendu par un avocat commis d’office, dans les matière où son ministère est obligatoire : V. sur ce dernier point Civ. 1ère, 16 mai 2012, n°11-18.181, Bull. civ. I, n°109.

134 G. Cornu, Vocabulaire juridique, 10e éd., Paris, PUF, 2014, *Mandat (de représentation en justice).

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Les procédures d’introduction et d’instruction d’un recours en cassation devant le Conseil d’État ou devant la Cour de cassation sont similaires. Pour la Cour de cassation : v. art. 974, 975, 976 du CPC ; pour le Conseil d’État : v. art. L. 821-1 et s. et R. 821-1 et s. du CJA, et les précisions apportées par R. Chapus in Droit du contentieux administratif, 13e éd., Paris, Montchrestien, 2008, n°1413 à 1417.

défendeur, la procédure de cassation est rythmée par un échange d’écritures entre les représentants des parties, orchestré par le greffe136. L’argumentation du demandeur est développée dans un mémoire ampliatif qui contient « les moyens sommairement énumérés dans la déclaration de pourvoi»137, et celle du défendeur est présentée dans un mémoire en défense. Ces écritures, qui doivent être produites dans des délais impérativement fixés, s’articulent généralement autour de deux parties, un rappel des faits et une discussion.

Elles ne sont toutefois pas soumises aux mêmes exigences. C’est incontestablement le mémoire élaboré par l’avocat du demandeur qui est au centre de l’attention des juridictions suprêmes et plus particulièrement encore, les moyens développés à l’appui du pourvoi, dans la partie consacrée à la discussion. D’ailleurs, il ne saurait y avoir de pourvoi recevable sans l’énonciation d’un moyen de cassation138. À l’inverse, « le défendeur n’a pas à mettre en forme un moyen de défense répondant au moyen de cassation sous une forme résumée. Il lui suffit d’exposer clairement les raisons qui militent en faveur du rejet du pourvoi et du maintien de l’arrêt attaqué »139.

Il convient enfin de préciser que ces discours de représentation sont essentiellement écrits, les avocats aux Conseils « plaident par mémoire, l’écrit permettant mieux d’exprimer des idées et des références textuelles que des sentiments. Leurs observations orales sont relativement rares »140. La plaidoirie, qui est parfois pratiquée devant les formations solennelles des hautes juridictions, est facultative, le mandataire n’étant pas obligé de se présenter à l’audience141.

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