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L’identification du résultat : une norme applicable

Section 1. L’unité des discours dogmatiques

A. L’identification du résultat : une norme applicable

156. La distinction entre norme applicable et norme en vigueur, proposée par Michel Troper (1) est éclairante pour appréhender la nature du résultat de l’interprétation dogmatique (2).

1. La distinction entre norme applicable et norme en vigueur

157. La norme applicable, résultat de l’activité dogmatique - Afin de révéler la particularité du discours dogmatique, Michel Troper a élaboré une distinction entre norme en vigueur et norme applicable. Comme cela a déjà été expliqué, les normes en vigueur correspondent aux interprétations de la Cour de cassation car elles contiennent une signification authentique561. Le concept de norme applicable est en revanche beaucoup moins facile à définir. L’auteur nous indique simplement que « ce qu’on appelle norme applicable

560 Cf. supra n°38.

n’a par définition pas encore été appliqué. L’acte dont elle est la signification n’a pas encore été interprété. La norme applicable n’existe pas encore et ne peut être décrite »562. Cette opposition entre norme applicable et norme en vigueur lui permet ensuite d’affirmer que l’objet de la science du droit est de décrire les normes en vigueur alors que celui de la dogmatique est d’établir quelles sont les normes applicables563.

Cette distinction fondée sur l’objet de l’interprétation, pour éclairante qu’elle soit, ne va pas sans difficultés. Elle s’appuie en effet sur un concept, celui de norme applicable, qui n’est pas suffisamment explicité et peut être source de confusions. Contrairement à ce que suggère l’auteur, si la norme applicable est une signification (parmi d’autres) d’un énoncé textuel, alors elle existe. Certes, l’acte dont elle est la signification n’a peut-être pas encore été interprété par un acteur authentique, mais cette circonstance ne lui fait pas pour autant perdre sa matérialité. En d’autres termes, si la dogmatique a effectivement pour objet d’établir et de recommander des normes applicables, il résulte en conséquence de cette activité des normes applicables qui peuvent être décrites. La norme applicable est une « proposition subjective de norme »564, dont ne se saisira peut-être jamais l’autorité normative, mais qui existe et qui peut faire l’objet de propositions scientifiques. Pour le dire encore autrement, si la dogmatique n’est pas une science, rien ne s’oppose à une science de la dogmatique. Pour preuve, l’ensemble des moyens en cassation étudiés dans cette thèse, et plus précisément encore, les significations subjectives d’énoncés législatifs qu’ils renferment, peuvent être décrites et leur existence ne saurait raisonnablement être mise en doute.

158. Définition de la norme applicable - Ainsi, la norme applicable, ou la proposition subjective de norme est une signification recommandée d’un énoncé textuel à la suite d’une interprétation dogmatique alors que la norme en vigueur est la signification imposée d’un énoncé textuel à la suite d’une interprétation de la Cour de cassation. La distinction ne repose

562 M. Troper, « Entre science et dogmatique, la voie étroite de la neutralité », in P. Amselek (dir.), Théorie du droit et science, PUF-Léviathan, 1994, p. 319.

563

Ibid. : « On peut alors poser que si la science du droit décrit les normes en vigueur, la dogmatique cherche à établir quelles sont les normes applicables ».

564 On emprunte ici la formule à D. de Béchillon in « L’ordre de la hiérarchie des normes et la théorie réaliste de l’interprétation. Réflexions critiques », Revue de la recherche juridique, vol. 1, 1994, p. 250 : l’auteur oppose les propositions subjectives de norme, résultant de l’activité dogmatique, aux normes en vigueur, qui sont objectivement des normes en ce qu’elles résultent de l’interprétation authentique. A. Viala utilise également une expression qui se rapproche de l’idée qu’on souhaite exprimer ici, celle de « norme en puissance » (A. Viala, « De la puissance à l’acte : la QPC et les nouveaux horizons de l’interprétation conforme », RDP, juil. 2011, n°4, p. 966). Il l’évoque à propos des réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel, qui peuvent d’ailleurs s’analyser comme des propositions subjectives de norme appartenant à la dogmatique. L’émission d’une réserve d’interprétation relève de l’activité dogmatique dans la mesure où la signification est seulement recommandée par le Conseil constitutionnel au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, interprètes authentiques qui conservent le dernier mot du droit.

plus sur l’objet interprété, que nous étudierons plus tard, mais sur le résultat de l’interprétation et révèle ainsi une nouvelle caractéristique propre au discours dogmatique.

2. L’application de la distinction au résultat du discours dogmatique

159. L’unicité de résultat du discours dogmatique : une norme applicable - Grâce à cette distinction, il nous est permis d’affirmer que le résultat interprétatif de l’activité dogmatique est toujours une norme applicable. En se fondant de nouveau sur le contentieux relatif à la réticence dolosive imputable à l’acquéreur d’un bien, nous donnerons deux illustrations de normes applicables, l’une proposée par la doctrine, l’autre par un avocat aux Conseils.

Comme nous l’avons déjà signalé565, la doctrine solidariste prescrit de sanctionner par la nullité du contrat de vente, le fait pour l’acheteur de cacher au vendeur une information déterminante de son consentement sur le fondement de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil. La norme applicable recommandée pourrait être formulée ainsi : l’article 1134 alinéa 3 du Code civil doit être interprété en ce sens qu’il sanctionne la réticence dolosive de l’acheteur. Le résultat de l’activité interprétative de ces auteurs est donc une norme applicable en vue d’influencer notamment les décisions futures. Lorsque, contestant l’arrêt Baldus566, Denis Mazeaud et Christophe Jamin proposent cette norme applicable, ils n’expriment pas seulement ce que la Cour de cassation aurait dû décider selon leur conception du contrat, ils ambitionnent également d’influer sur les décisions à venir.

Autre exemple, la norme applicable préconisée par l’avocat aux Conseils à l’occasion du litige s’étant soldé par l’arrêt du 15 novembre 2000, invite la Cour de cassation à opter pour une interprétation restrictive de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil. La norme applicable, résultat de son interprétation, peut être résumée ainsi : l’article 1134 alinéa 3 du Code civil ne doit pas imposer d’obligation d’information à la charge de l’acheteur567. Qu’elle ait été reprise ou non par la Cour de cassation n’a pas d’incidence sur son existence, la norme applicable constitue toujours le résultat tangible de l’activité dogmatique568.

565 Cf. supra n°144.

566

V. obs. C. Jamin sous Civ. 1ère, 3 mai 2000, n°98-11.381, Bull. civ. I, n°131, JCP G. 2001, II, 10510 et obs. D. Mazeaud sous Civ. 1ère, 3 mai 2000, arrêt préc., Defrénois, 2000, art. 37237, p. 1110.

567 Civ. 3ème, 15 nov. 2000, n°99-11.203, Bull. civ. III, n°171: le moyen de cassation soulevé dans l’arrêt est le suivant : « l’article 1134 du Code civil ne va pas jusqu'à imposer à l'acquéreur d'informer son vendeur des qualités de la chose vendue ». C’est du reste ce qu’avait décidé la Cour de cassation à l’occasion de l’arrêt Baldus. Cette décision antérieure est implicitement rappelée à la Cour de cassation, sans succès ; cf. égal. supra n°148.

568 Contrairement à ce que suggérait l’analyse de Michel Troper qui définit la norme applicable comme dépourvue d’existence, cf. supra n°157.

Ce résultat est propre au discours étudié et permet alors de le distinguer du discours scientifique mais également et surtout du discours authentique.

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