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Une nécessaire réciprocité pour inaugurer l’échange.

humaine, op.cit., p.104).

C HAPITRE III P OUR UNE MODELISATION DYNAMIQUE DE LA RELATION OU LE LIEN SOCIAL A L ’ ADOLESCENCE : RESTES D ’ UN CHEMINEMENT

2.2. Une nécessaire réciprocité pour inaugurer l’échange.

Mais la question de la responsabilité ne peut se résumer à ces positions. Complexe, elle fait émerger de nouveaux axes de réflexion quant à l’échange qui lui fait support. Axes que nous al- lons tenter de mettre en évidence puis en perspective, compte tenu des traces anthropologiques et institutionnelles que nous pouvons leur reconnaître, au niveau de la relation à l’autre notam- ment.

Comme nous l’avons précédemment laissé entendre, la responsabilité émerge d’un lien de réci- procité. Qu’entendre alors ? S’agit-il du processus consécutif aux trois obligations que suppose le Don, comme semble le penser A. Caillé4 ? Plus avant, la réciprocité se résume-t-elle au jeu engagé

par la dialectique don/contre-don ? La dynamique d’aller-retour, ce mouvement alternatif, de va-et-vient, entretenu entre chaque pôle de l’échange n’échappe à aucun des auteurs ayant suc- cédé à M. Mauss et semble s’imposer peu à peu comme structure de sens pour les sociétés. Inau- gurant la réciprocité, le don signe l’engagement de l’un vis-à-vis de l’autre, et par là même la res-

1 Temple, D., (1996), Fraternité et réciprocité, in La revue du M.A.U.S.S., n°8, pp. 277-283. 2 M. Gauchet, Le désenchantement du monde, une histoire politique de la religion, op.cit.. 3Ibid., p.328-s.

ponsabilité ; une responsabilité elle-même caractéristique du lien ainsi établi et de l’altérité qu’il suppose. En acceptant l’autre, et en deçà, la réciprocité, l’individu se rend responsable de celui qui lui fait face, au sein de l’échange.Un raisonnement que l’on retrouve chez M. Chabal, concep- tualisé en tant que « réciprocité ternaire » 1. Et l’auteur, d’aller plus loin encore, en qualifiant

cette figure de la réciprocité, de responsabilité fondamentale. Elle écrit

« La responsabilité est la clé qui permet de résoudre le problème des structures cachées de réciprocités. L’individu responsable, la personne, incarne le tiers ; il ne peut que l’incarner si une structure spécifique de réciprocité ne l’en a investi »2.

Partant de là, la notion de réciprocité semble nécessiter quelques précisions quant à la poursuite de notre propos ; précisions que nous apporterons en nous référant aux sociologues et anthro- pologues rencontrés au fil de nos lectures, et face auxquels nous nous positionnerons.

Dans le processus du don, l’accent est particulièrement mis par M. Mauss sur le mouvement de retour. La prise sur l’autre, et en deçà, sa considération, en apparaît consécutive. L’échange se constitue alors de deux pivots, bornant le lien, où chacun, présentant quelque chose à l’autre, présente finalement quelque chose de lui-même.C’est toute la figure des Taonga dans la théorie Maori, objet d’échange qui s’imprègne du Mana de son propriétaire initial, c’est-à-dire, de sa force, de sa puissance, et d’une part de son âme ; celle qui poursuivra le donataire.La reconnais- sance de l’autre se fait alors dans la symétrie, par le mouvement qu’elle suppose,et instaure les pré-requis d’une réciprocité émergeant par cet échange permanent de matière spirituelle. Il pré- cise d’ailleurs dans son Essai que

« Le but [du don] est avant tout moral, l’objet en est de produire un sentiment amical en- tre deux personnes en jeu, et si l’opération n’avait pas cet effet, tout en était manqué »3.

L’on voit bien ici le primat de la relation sur le caractère pécunier. Sous ses apparences de géné- rosité, le don vient sceller la parenté, tout en signifiant la proximité et la distance de l’autre à « apprivoiser »,l’autre, rival et partenaire qui, mis au défi4, entre dans le jeu de l’échange en ac-

ceptant réception du donateur.

Offrir, ou plus justement, donner, c’est montrer « à qui sera le plus riche et aussi le plus folle-

1 M. Chabal, Quand la réciprocité semble non réciproque ou la réciprocité cachée, op.cit., p.134. 2 Ibid., p.139

3M. Mauss, Essai sur le Don, op.cit., pp.172-173.

4 En effet, la réception du don n’est pas sans conséquence. Loin de là, elle est considérée comme risquée et dangereuse

puisque engageant le donataire à rendre au donateur sous la menace du Hau qui veille à l’engagement et au retour du don dans l’usure. Pour M. Mauss, « tout le rituel à la forme du défi et de la défiance et exprime l’un et l’autre ». C’est toute l’ambivalence du Gift, don empoisonné, don funeste qui orne mythes et légendes, traditions et coutumes. Un thème joliment mis en valeur dans le film de T. Burton, « les noces funèbres ».

ment dépensier ». La pratique du Potlatch1 en est paradigmatique. M. Mauss le résume à juste

titre lorsqu’il écrit « on fraternise et cependant on reste étranger ; on communique et on s’oppose dans un gigantesque commerce et un constant tournoi »2, un peu à l’image d’Eros et

Thanatos. D’ailleurs, si la question du frater n’est pas à négliger ici, celle de la parité, telle que nous l’avons définit, ne l’est guère moins. L’échange s’opérationnalise ici par la dynamique don/contre-don devenue l’institution à même de faire naître l’alliance et de la maintenir, dans l’altérité… lorsque « les hommes prennent conscience sentimentale d’eux-mêmes et de leur si- tuation vis-à-vis d’autrui »3.

Comme le souligne A. Caillé4, une telle démarche anthropologique vient rendre possible un nou-

vel éclairage de la relation et de l’échange qui s’y joue. Nouvel éclairage qui nous permet de nous approprier différemment le concept de réciprocité alors tout juste ressorti, en nous concentrant sur la règle symbolique, transcendant la relation purement utilitaire et d’intérêt matériel. Don et contre-don deviennent le symbole opératoire, « performateur » d’un pari fait surl’horizontalité de cette parenté, de cette alliance, et sur son organisation générationnelle.Ils viennent représen- ter

« La relation sociale concrète et spécifique par excellence (…) qui ne prend son sens plein que dans la singularité du donateur et du réceptionneur ainsi justement affirmée »5.

Et la définition que nous retiendrons de la réciprocité, d’être finalement cet entre-deux qui à la fois réuni et sépare. Ce lieu qui met le sujet face à l’autre, dans un certain affrontement – à l’image du « un contre un » ou « un pour un » – qu’ils agiront et subiront tour à tour. Comme le rappelle D. Temple, s’interrogeant pareillement,

« La réciprocité n’est pas une solidarité d’intérêts. Elle n’est pas la sympathie des sem- blables, elle suppose au contraire que chacun affronte l’autre » 6,

… l’autre reconnu comme différent du moi bien que semblable, l’autre comme un autre moi- même mais aussi un moi pour lui.

La réciprocité ferait la parité différenciée parant ainsi à la stricte bilatéralité couramment asso-

1 Classiquement défini comme le don cérémoniel orienté vers la conquête ou le maintient du prestige. 2M. Mauss, Essai sur le Don, Op.Cit., p.205.

3Ibid., p.275.

4 A. Caillé, Ni holisme ni individualisme méthodologiques, Marcel Mauss et le paradigme du don, Op.cit.. 5Idem.

ciée à l’échange, et notamment dénoncée parB. Viard1. La relation à l’objet de D.W. Winnicott2

devient relation d’objet au profit d’une dialectique particulière. Le terme de « réciprocité » tel qu’il apparaît dans le langage usuel pour représenter l’échange équivalent n’est alors plus satis- faisant, engageant un nécessaire déplacement. C. Papilloud qui a beaucoup travaillé sur les écrits de G. Simmel, précédant eux-mêmes de peu ceux de M. Mauss, parle d’ailleurs de Wechselwir- kung, traduit en « effets de réciprocité », pour souligner la distinction à faire avec l’interaction. La Wechselwirkung serait cette « force de gravité entre les hommes » 3 qui échappe à

l’interaction ; celle aux prises avec l’ambivalence des rapports sociaux ; celle qui témoigne d’une dynamique intersubjective − non plus interindividuelle − qu’il nous faut considérer.

C’est là, pour l’auteur, toute la puissance du « faire-relation », laquelle se caractérise désormais d’être immanente, émergeante et différenciatrice, dans le « rapport unitaire à l’autre ». La ques- tion du désir surgit alors − le moi-même comme un autre − condition des limites du « je ». Ce désir que l’auteur convoque, et qui peut mettre à mal l’altérité, illustre les risques d’une fusion peu considérés jusque là, et qui pourtant, confortent l’idée d’un mouvement oscillant et dange- reux… particulièrement lorsque les co-« trans-port[eurs] » se montrent trop intrusifs dans le rapport de réciprocité, alors perverti. Aussi, l’unité surgit là où l’on se représentait a priori la dualité, caractérisant un processus, parfois carencé, parfois excessif, mais ayantau demeurant toujours fondamentalement trait à l’homme dans le social.S’ouvre le champ d’une anthropologie de l’échange qui autorisera ces réflexions sur le rapport à l’autre, à la fois proche et distant, et qui menace de dévorer le sujet.

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