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humaine, op.cit., p.104).

C HAPITRE III P OUR UNE MODELISATION DYNAMIQUE DE LA RELATION OU LE LIEN SOCIAL A L ’ ADOLESCENCE : RESTES D ’ UN CHEMINEMENT

2.3. La mutualité comme garantie de cet échange.

Si la définition que nous pouvons proposer de la réciprocité tend à se préciser, il nous faut en- core éclaircir un point, condition de la dialectique à établir. Reprenons la remarque de M. Chabal, citée plus haut, afin d’introduire ce nouveau développement. Concernant la responsabilité, cette dernière interroge la bilatéralité possible lorsque le sujet dit responsable, fait face à celui « qui ne peut être partenaire d’un contrat : les nourrissons, les animaux, la nature, les générations futures »4. Nous ajouterons : lorsque l’autre de la relation, dite de réciprocité, n’est que figure

morale ou institutionnelle, qu’en est-il de la réciprocité en question ? Sommes-nous toujours

1 Viard, B., (1996), Pierre Leroux et Paul Diel, découvreurs du don, République et psychologie, in La revue du M.A.U.S.S.,

n°8, pp. 349-359.

2 Winnicott, D. W., (1975), Jeu et réalité, l’espace potentiel, Paris, Gallimard.

3 Papilloud, C., (2002), Le don de relation, Georg Simmel – Marcel Mauss, Paris, l’Harmattan. 4 M. Chabal, Quand la réciprocité semble non réciproque ou la réciprocité cachée, op.cit.p.135.

dans le même registre ? A la lecture des différents auteurs cités jusqu’à présent, l’ambiguïté de- meure sans que ne soit réellement soulevée la confusion.

Et M. Mauss, de nous y confronter dès les premières pages de son Essai. Alors que sont relatées les « coutumes », ou plutôt dirons-nous, les rituels institutionnalisés ayant trait au don, effectués entre chefs de tribus ou membres de famille, l’auteur introduit ce qui pourrait être une nouvelle dimension de l’échange :

« D’abord, ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités qui s’obligent mutuelle- ment, échangent et contractent ; les personnes présentes au contrat sont des personnes morales : clans, tribus, familles qui s’affrontent et s’opposent soit en groupe se faisant face sur le même terrain, soit par l’intermédiaire de leur chef, soit de ces deux façons à la fois »1.

Non seulement nous ne sommes plus ici en présence de deux individus qui se font face, prenant compte de l’autre et d’eux-mêmes à la fois, mais l’auteur parle désormais d’obligation mutuelle. Est-ce à dire que réciprocité et mutualité se confondent, comme pourrait nous le laisser penser quelque ouvrage définitionnel que ce soit ?

Cela nous semble peu probable ; pour exemple, l’emploi au demeurant différencié de ce qui a trait à la mutualité au sein des administrations socio-sanitaires. Il nous faut donc poursuivre. Pour M. Mauss, les pratiques ayant trait au don correspondent à ce qu’il qualifie de « prestations totales », des prestations totales en ce sens que « c’est bien tout le clan qui contracte pour tous, pour tout ce qu’il possède et pour tout ce qu’il fait, par l’intermédiaire de son chef »2. Le « un

pour un », voire, le « un contre un » devient « tous pour un », opérant un certain décalage. La citation de Hunt en note de bas de page va dans ce sens :

« Car ce ne sera pas en mon nom. Ce sera en votre nom et vous deviendrez fameux parmi les tribus quand on dira que vous donnez votre propriété pour un potlatch »3.

C’est alors le clan dans son ensemble qui apporte ses contributions à l’autre, chef, et dont il pourra en retour, profiter – conformément au rapport entretenu avec les divinités.

C’est encore la mise en commun, caractéristique d’une mutualité naissante, mais pourtant d’apparence guère identifiée comme telle. L’objet du don constitutif de l’échange, propriété et possession, devient « un gage et une chose louée (…) et en même temps, déposée, mandatée »,

1 M. Mauss, Essai sur le Don, op.cit., p.150. 2 Ibid., p.152.

cédée avec cet objectif particulier : « en faire usage pour un autre »1.Doit-on penser pareillement

le Don lorsqu’il s’effectue « par intérêt, par grandeur et pour services, en défis et en gages »2 ?

Tout se passe comme si le don réciproque tombait en quelque sorte dans le domaine publique où circulent dans leurs généralités les richesses déposées. Or, la reconnaissance duelle ne saurait être confondue avec l’assurance sociale. Celle-là même qui justifiait que nous renoncions au férié de juin pour participer à l’accompagnement des « personnes âgées » −le destinataire apparaît ici être une représentation anonyme de la population, un « tous ».

Il s’agit donc dedeux versants distincts de l’échange, se soutenant pour l’un, du don, pour l’autre, de la dette ; induisant un rapport différentiel à l’autre et dépassantles raisons a priori politiques qui pourraient être convoquées, pour en confirmer le fondement anthropologique.

Dans le milieu des années 90, une distinction semble se dessiner. A lire D. Temple,

« Le bien commun ne se réduit pas à ce que les hommes mettent en partage. Le bien commun est d’abord la reconnaissance des hommes entre eux, une valeur qui résulte non pas de ce qu’ils partagent mais du fait de mettre en partage »3 [nous soulignons].

L’inscription de l’altérité se fait dans une continuité, aux prises avec l’antériorité d’une rencontre et les enjeux qu’elle implique. C’est sur ce point que nous pouvons préciser les choses, en discri- minant à la fois du temps et de l’espace. Et de poursuivre l’hypothèse de l’auteur en avançant que mettre en partage pour le bien commun n’est pas seulement reconnaître l’autre.

Ainsi se systématiserait l’altérité, par les déclinaisons suivantes : « [la] reconnaissance (…) utili- sée pour faire valoir l’intérêt de chacun vis-à-vis d’autrui dans un esprit de conservation de soi, d’autodéfense et de compétition », qualifiée par D. temple d’ « égoïsme » et que nous assimile- rions davantage à la réciprocité ; et pour la seconde, « [la] reconnaissance (…) réinvestie dans la réciprocité sous forme de bienveillance » 4, que nous ferions préférentiellement correspondre à

la mutualité. Un « nous » et un « tous » participant tous deux du lien social, singulier et pluriel, dans son émergence et sa permanence.

Un changement de nature s’opère tant en terme d’adresse que d’investissement. La dynamique gain/perte évolue jusqu’à l’évocation du sacrifice, prégnant dans les écrits sur le don, et qui n’est pas sans introduire dès lors la notion de dette – en partie issue de l’obligation de rendre. Comme

1 Ibid, p.180. 2Ibid., p.188.

3 D. Temple, Fraternité et réciprocité, op.cit., p.279. 4Idem.

l’évoque C. Papilloud, « le sacrifice renvoi à un souci de la relation à l’autre, au groupe et à la so- ciété au détriment du seul objet reçu, qui n’est pas gardé mais (re)donné par le donataire »1.La

logique se poursuit par delà celui qui initialement, seul et déterminé, faisait face au donateur, pour concerner l’ensemble social, être collectif. L’échange devient circulation. Le don engendre la dette qui ne peut se rembourser, à laquelle le contre-don ne saurait totalement se substituer, et qui de fait correspond à une forme de renoncement au bénéfice du tous. Un renoncement où chacun pourrait trouver son compte, un renoncement qui participerait de la continuité du social institué, de la permanence des rapports sociaux établis dans la réciprocité.Celle-ci, débordée, amène à tracer les contours d’un nouvel espace, d’un nouveau processus. Du « faire-relation » évoqué plus haut, advient un « Faire-société »2 suspendu à la référence d’un idéal.

M. Gauchet, dans la suite des réflexions que nous lui empruntions, a justement mis en avant cette « nouvelle » ramification. Et l’originalité de son apport, tenant du lieu où il l’inscrit. Pour l’auteur en effet, si la solidarité résulte d’une entreprise collective organisée en vue d’un salut3, elle n’en

demeure pas moins l’effet d’une production subjective, ou intersubjective, à visée politique. Comme il l’écrit, le développement politique moderne tient du

« surgi[ssement d’] une catégorie nouvelle d’êtres sacrés, personnes abstraites, fantômes collectifs dont nous sommes membres et qui nous écrasent, déités de l’immanence que nul n’a vues et auxquelles pourtant nous ne cessons de nous dévouer, l’Etat invisible et la Nation éternelle »4.

Or, c’est en cet endroit que nous pouvons mettre au travail responsabilité et processus de res- ponsabilisation, pour les raisons que nous évoquions précédemment : l’obligation structurante du lien social par la dette.

Ainsi, nous retiendrons de la Réciprocité, ce qu’engage le Don5. Il est celui qui fait émerger

l’autre tout en le gardant à distance, l’autre en tant qu’il est semblable mais non identique, l’autre qui demeure à la frontière et qui de fait, risque toujours de nous envahir alors même que se créé cette proximité. Le Don vient « parer la proximité avec le trop semblable »6, faisant de la réci-

procité la négation de la fusion. C’est le « Etre Un pour chacun ». La Mutualité qui en constitue le pendant dialectique, relève de la Dette – non contractualisable, non négociable. Elle est celle qui

1 C. Papilloud, Le don de relation, Georg Simmel – Marcel Mauss, op.cit., p.75.

2 C. Papilloud, La réciprocité, diagnostic et destins d’un possible dans l’œuvre de Georg Simmel, op.cit., p.103. 3 M. Gauchet, Le désenchantement du monde, une histoire politique de la religion, op.cit., p.170.

4Ibid., p.179.

5 Comme l’évoquait D. Temple, cité par M. Chabal, op.cit., « La réciprocité ne se laisse pas réduire à l’échange qui annule-

rait le don comme don ».

maintient l’autre dans la permanence via le « partage d’un bien rendu commun suite au renon- cement de chacun à une partie de lui-même et de ses appartenances »1.C’est le « Tous pour Un »

que l’on clame au bénéfice d’une sauvegarde du tous ; pourrions-nous dire, le « bout de gras que tout le monde se partage », gagé au titre d’une croyance que l’on se donne.

Cette réflexion organisée autour de la problématique de l’échange présente l’intérêt de formali- ser un appareillage conceptuel qui, sous le sceau de considérations anthropologiques, nous per- met d’envisager l’échange comme une figure paradigmatique d’un rapport à l’autre que nous donne à voir aujourd’hui un pan de la clinique adolescente, impliquant une médiation horizon- tale. Et nous ne saurions que trop reprendre les termes d’A. Caillé selon lesquels

« Holisme et individualisme ont en effet en commun de penser la société selon un axe vertical. L’un pour affirmer le poids écrasant du sommet sur la base, du tout sur les par- ties et sur les individus. L’autre au contraire, pour dénier cette éminence (…). Raisonner en terme d’interactionnisme du don, de pensée politique, c’est au contraire adopter un point de vue radicalement immanent, horizontaliste, et montrer comment c’est du même mouvement que se produisent ou se reproduisent les termes opposés, la base et le som- met »2.

L’hypothèse que nous formulons est alors la suivante : le lien social concerné à l’adolescence trouve à s’élaborer sur ces dimensions de l’échange, à ceci près qu’y jouant une dynamique diffé- rente, elles feront de l’autre, tantôt le frère, tantôt l’ami, tantôt le voisin. Aussi, la question du théâtre politique où se jouent ces valeurs, ces mythes et ces formations de l’altérité, doit être reprise. Support d’affrontement, de reconnaissance et de rivalité, il implique des enjeux de pou- voir qui à leur tour, illustreront les coordonnées de cette situation de l’autre.

3.

P

OUR UNE APPROCHE DIFFERENTE DU POUVOIR

,

EMERGEANT ET CREATEUR DE TERRI-

TOIRES

.

A plusieurs reprises, nous nous sommes interrogés sur ce qui pouvait alimenter le lien social à l’adolescence et au-delà, le garantir, lorsque l’autorité faisant habituellement trace, n’apparaît plus d’une nécessité intrinsèque dans les observations que nous pouvons faire. Le modèle de la linéarité verticale, au travers des dialectiques proposées de l’interdit et de l’échange, se meut vers une horizontalité certaine où ce que l’on pouvait concevoir comme autorité ne suffit plus à définir le pouvoir.

1Idem.

Dans son acception commune, l’autorité est ce qui vient témoigner de l’exercice d’une puissance, corrélatif d’une hiérarchie, où le sommet vient commander la base, subordonnée de fait. Par la hiérarchie, l’autorité participe de l’inscription d’un ordre au premier sens du terme. Est-ce à dire qu’il s’agit là du seul mode d’ordonnancement possible ?L’étymologie latine du terme auctoritas nous renseigne davantage, définissant successivement à travers celui-ci l’accomplissement, l’exemple, la garantie et la crédibilité… tout ce qui participe entre autre de la responsabilité. Aus- si, l’autorité que confère le pouvoir ne prescrirait finalement pas d’une position assignée à celui qui l’exerce ou en est le destinataire. Le Droit va jusqu’à définir l’aptitude à agir pour le compte de quelqu’un, ce qui n’est pas sans conforter cette conceptualisation : la substitution confirme l’inscription possible d’une équivalence aux côtés d’un rapport de domination. Au-delà donc de ces forces, de ces puissances, que nous assimilons régulièrement à l’autorité et au pouvoir qui lui est corrélatif, que pouvons-nous retenir ? Au-delà de cette influence dominante qui lui est attri- buée, que reste-t-il si ce n’est l’espace d’une relation qui peut trouver en elle-même son propre agencement ?

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