• Aucun résultat trouvé

humaine, op.cit., p.104).

C HAPITRE III P OUR UNE MODELISATION DYNAMIQUE DE LA RELATION OU LE LIEN SOCIAL A L ’ ADOLESCENCE : RESTES D ’ UN CHEMINEMENT

3.2. Inactualité de politiques « territoriales ».

Comme nous l’avons laissé entendre, l’évolution des dispositifs politiques, de la souveraineté à la sécurité en passant par la discipline n’a pas été sans permettre à M. Foucault de penser le pou- voir, et son « origine », en « cou[pant] court à l’invocation répétée du maître et aussi bien à l’affirmation monotone [de celui-là] »4. La question de la norme et son traitement est venue

prendre place. D’abord codifiée par la loi du législateur et souverain, la norme s’est vue, au temps du dispositif disciplinaire, être l’instrument d’un quadrillage humain et contextuel à des fins de régulation, de contrôle et d’action… une territorialisation institutionnelle en quelque

1

Du latin politia, qui signifiait « organisation politique ».

2 M. Foucault, Sécurité, Territoire, Population, op.cit., p.321. 3 Ibid., p.334.

sorte, correspondant au modèle prescripteur du normal – versus anormal1. Ce n’est qu’une fois le

principe de la sécurité instauré, qu’une re-territorialisation de l’espace sera engagée, offrant la norme comme résultante de la réalité existante et observée.L’émergence des notions de risque et de danger, corrélative de ce nouveau traitement, y participera ; rompant avec l’hypothèse d’une seule norme discriminante pour lui préférer celle du continuum. Au départ collectif de sujets, la population prend la figure du sujet collectif. Et la ville, d’être toujours le support de l’évolution des techniques de pouvoir, par les évènements qui l’ont marquée, les modes d’échanges qu’elle a permis et les opérations préventives qu’elle a engagées.

Pour M. Foucault,

« Ce n’est donc pas sur l’axe souverain-sujet, ce n’est pas non plus dans la forme de l’interdit que les mécanismes de sécurité se mettent à jouer »,

mais à partir de la population elle-même qui devient « un personnage politique absolument nouveau »2, doué de désirs ; et qui par conséquent, va conditionner une nouvelle forme de pou-

voir à l’issue du règne pastoral.

Ce passage de l’imposition à la guidance, reflète une gouvernance qui lui est désormais intrinsè- que et qui constitue tant son fondement que sa finalité.La figure donnée par l’auteur étant celle du « berger »3 qu’il oppose à l’homme de la res publica, le « tisserand »4. Tous deux incarnent

l’économie d’un pouvoir distribué différemment, eu égard à la question de l’origine notamment, et au point de référence qui fait mot d’ordre.La naturalité émerge alors comme nouvelle dimen- sion fondamentale, celle qui est au principe du dispositif de sécurité sous-tendant la biopolitique. Du haut, ce que l’on supposait être le lieu de « vérité », rejoint le bas.La popula- tion se donne comme marché à l’économiste, lui soumettant ses normes, ses règles –ses respon- sabilités – celles qui ne seront relayées que secondairement par les technologies du pouvoir en place et les dispositifs afférents, chargés de contractualiser l’idée de justice. C’est en quelque sorte là l’idée du libéralisme qui vient parer aux tentatives de reterritorialisation et de codage de flux que G. Deleuze et F. Guattari reprochaient au capitalisme.

Le dispositif sécuritaire de la biopolitique y répondrait selon M. Foucault, mais de manière para-

1 Ibid., p.59. 2 Ibid., pp.68-69. 3 Ibid., p.141.

4 Ibid., p.149. Alors que le berger est celui qui mène et oriente le troupeau, suivant une ligne directrice immuable, le

tisserand procède par la mise en lien, seule capable d’organiser de manière cohérente, les actions à mettre en place au cœur de la cité.

doxale. Il explique que dans le régime libéral, c’est la liberté, en tant que produite et organisée, qui va réguler l’art de gouverner, sachant qu’elle n’est pas une donnée posée d’emblée mais au contraire, qu’elle se fabrique sans cesse. Et d’ajouter que la sécurité est au principe de calcul du coût de cette fabrication pour protéger à la fois l’intérêt individuel et l’intérêt collectif.Le para- doxe étant que « à tous ces impératifs (…) doivent répondre des stratégies de sécurité qui sont, en quelque sorte l’envers et la condition même du libéralisme », les amenant finalement à arbi- trer cette liberté par une « extension des procédures de contrôle, de contrainte, de coercition qui vont constituer comme la contre-partie et le contre-poids des libertés »1, et engageant une cer-

taine forme de dérives disciplinaires en retour, contre un danger désormais pensable. Il revient donc à la limitation des interventions de l’Etat, de faire la différence, pour que ce dernier de- meure un représentant légitime des individus, citoyens libres et responsables, partenaires de l’échange – individus qui étaient anonymes, uniformes, et normés sous un capitalisme qui, selon lui, imposait plus qu’il ne régulait.

Par la biopolitique, il est question de

« Optimis[er] des systèmes de différences, [où] le champ serait laissé libre aux processus oscillatoires, [où] il y aurait une tolérance accordée aux individus et aux pratiques mino- ritaires, [où] il y aurait une action non pas sur les joueurs du jeu, mais sur les règles de jeu, et enfin [où] il y aurait une intervention qui ne serait pas du type de l’assujettissement interne des individus, mais une intervention de type environnemen- tale »2.

Une définition qui n’est pas sans nous interpeller quant à la politique judiciaire encouragée ac- tuellement.En effet, si à travers cette bio gouvernance, la lecture de M. Foucault nous amène à penser le pouvoir comme inhérent aux pratiques et aux activités humaines, les mesures actuel- les semblent nous dévoiler le contraire, ponctuant de fait une réalité sociale en rupture, a priori nostalgique d’une « gouvernementalité »3 apparue fin 17ème /début 18ème siècle.

Que nous donne à voir les faits de violences agis par les mineurs ou jeunes majeurs si ce n’est cet affrontement entre deux lieux : celui d’un système qui enferme des corps par la mise en place de frontière rigides et imperméables auxquelles l’on ne peut que difficilement échapper ; et face à lui, celui d’une volonté de circulation qui solliciterait le recours à la multiplicité, voire à la mixité,

1 M. Foucault, Naissance de la biopolitique, op.cit., pp.66-68. 2 Ibid., p.265.

3 Comme définie par M. Foucault, la gouvernementalité est à entendre comme « l'ensemble constitué par les institu-

tions, les procédures, analyses et réflexions, les calculs et les tactiques qui permettent d'exercer cette forme bien spé- cifique, bien que complexe, de pouvoir, qui a pour cible principale la population, pour forme majeure de savoir l'éco- nomie politique, pour instrument technique essentiel les dispositifs de sécurité », (Sécurité, territoire, population, op.cit., p.111).

pour intégrer cet « art de gouverner » ?

Se dévoile une topographie des forces en présence avec d’un côté l’idée d’un corps de lois défini- tives, permanentes et immuables, et de l’autre, celle de références sans cesse en mouvement puisque tributaires d’intérêts tant individuels que collectifs – relevant autant de l’éthique que de la morale. Topographie d’un pouvoir fait, donné comme tel – qu’il conviendrait peut être de qua- lifier d’autorité descendante – et d’un pouvoir en train de se faire, s’agençant à mesure de ren- contres, de savoirs1. Des zones de pouvoir qui se font de plus en plus visibles et qu’il nous sem-

ble important de considérer pour tenter d’appréhender les enjeux de ce qui a pu faire violence à un moment donné. Quelles relations ? Quels acteurs ? Quels auteurs ? Quels mécanismes ? Quel- les dynamiques ? Au sein de ce qui apparaît être la même scène sociale et médiatique, vont s’inscrire des positionnements pseudo-symétriques, voire, dissymétriques,plus ou moins cris- tallisés,et rendre visibles des modalités d’agencements du lien social aux prises avec une géo- graphie politique parfois disparate.

3.2.1. La confrontation d’hétérotopies.

Par topographie, nous entendons une certaine représentation du lieu. Du grec topos qui signifie « lieu » et graphein, « écrire », la topographie serait l’écriture d’un lieu au premier sens du terme, la représentation écrite, graphique d’un lieu à laquelle le latin graphice ajoute la dimension artis- tique. Au-delà de l’idée commune d’une description détaillée, cartographiée, ce peut être la trace d’une configuration plus ou moins abstraite, institutionnelle, sociétale ou sociale. Le dispositif disciplinaire ayant précédé le pouvoir sécuritaire en est illustratif, procédant au quadrillage des corps et investissant l’espace en conséquence. Nous observons d’un côté les poseurs de cadre avec ceux qui y entrent et de l’autre, ceux que nous pourrions qualifier d’ « incasables » puisque investissant un ailleurs d’après des références propres. Différents lieux, différents territoires, se faisant face sur une topographie particulière, organisant le pouvoir à leur manière, au sein de leurs espaces respectifs, jusqu’à ce que l’intrusion menace de rupture, la proximité.

C’est justement là, à la limite, lorsque l’autre se fait trop intrusif, que l’on remarque les hétéroto- pies, ces espaces autres que M. Foucault a souligné ; autres dans leur rapport au temps, au savoir et aux stratégies du pouvoir, et qui hébergent l’imaginaire tout autant qu’ils peuvent mettre à l’écart.Si les utopies qui lui permettent d’introduire son propos se définissent d’être « des espa-

ces fondamentalement essentiellement irréels »1, les hétérotopies font partie de ces espaces

autres mais concrets qui localisent cet imaginaire, cet irréel, et nous permettent finalement de le saisir. Elles sont la localisation physique de ce « nulle part », la localisation concrète bien que « hors de tous les lieux » de ce que l’on ne saurait percevoir que comme un reflet, comme une abstraction, s’exerçant dans tout groupe humain. Et c’est particulièrement du fait des caractéris- tiques, ou plutôt des principes caractéristiques de cette hétérotopologie, que nous pouvons nous saisir de la conceptualisation proposée par M. Foucault2.

Depuis 2005, le contexte politique nous confronte à cette thèse en mettant à vif les hétérotopies qu’il alimente et celles qu’il réprime. Et les évènements adolescents, d’apparaître, en retour, à un moment donné, pour nous laisser à penser ces Espaces autres. L’évolution initiée parfois une à deux générations plus tôt, est dénoncée, un découpage du temps qu’avait avancé M. Foucault dans son discours. Finalement, nous nous retrouvons face à une configuration telle que l’on va pouvoir observer sur le même espace, des emplacements différents, correspondants aux diver- ses parties du contrat qui se sont ou qui ont été engagées dans ces attaques, les inaugurant ou y répondant. Différents « emplacements (…) incompatibles »3 mais dont la juxtaposition peut

s’avérer menaçante parce que rendant ces territoires pénétrables face au trop proche. Différents lieux dont la confrontation peut nous montrer la mésentente des fonctionnements.

De quelque manière que ce soit, de quelque hétérotopie qu’il s’agisse, c’est toujours à la question de la relation en ce qu’elle « défini[t] des emplacements irréductibles les uns aux autres et abso- lument non superposables »4. Une topologie subjective se dessine5, subjective parce que nous

donnant à voir, dans les rapports qu’entretiennent ces espaces avec ceux qui les entourent, des articulations, des nœuds, des aménagements, qui sont le fait des sujets qui les investissent. La définition proposée de la topologie par A. Moles et E. Rohmer, s’inspirant des élaborations de K. Lewin, met justement en avant cette qualité, insistant sur « un champ de force de pulsions, de

1 M. Foucault, Des espaces autres, in Dits et écrits Tome 2 : 1976-1988, op.cit., pp.1571-1582.

2

L’exposé de M. Foucault insiste sur les six principes descriptifs de l’hétérotopie : il s’agit d’une constante de tout groupe humain ; elles peuvent fonctionner différemment, au sein d’une même société ; elles peuvent juxtaposer en un même lieu réel, plusieurs emplacements incompatibles ; elles sont liées aux découpages du temps ; elles supposent un système d’ouverture et de fermeture ; et enfin, elles ont une fonction, allant de l’illusion à la compensation.

3 Idem. 4 Idem.

5Du latin topos, « lieu », et logos, « mot » ou « raisonnement », la topologie apparaît être au verbe ce que la topogra-

phie est à l’écriture.Elle est l’étude du lieu qu’elle s’essaye à définir, s’intéressant aux espaces, ce qui les lie, les nœuds, les dimensions qui leur sont propres, et les déformations dont ils peuvent être l’objet. Dans le champ des sciences mathématiques, la topologie concerne l’étude des propriétés géographiques se conservant par déformations conti- nues, puis généralisées pour englober les notions de limites et de voisinage, s’étayant sur ce qui fait axiome. L’on com- prend donc qu’elle permet également l’analyse d’espaces plus ou moins abstraits déterminés par une fonctionnalité autre que physique.

Documents relatifs