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Le paradoxe de l’assujettissement : une circonscription possible du pouvoir.

humaine, op.cit., p.104).

C HAPITRE III P OUR UNE MODELISATION DYNAMIQUE DE LA RELATION OU LE LIEN SOCIAL A L ’ ADOLESCENCE : RESTES D ’ UN CHEMINEMENT

3.1. L’hypothèse faite Sur la reproduction horizontale.

3.1.1. Le paradoxe de l’assujettissement : une circonscription possible du pouvoir.

Assujettir, assujettir des sujets en sujet comme aurait pu l’écrire L. Althusser, est un terme qui porte en lui-même un paradoxe ; celui qui convoque simultanément subjectivation et dépen- dance comme conditions d’une existence. L’assujettissement, tel que M. Foucault a pu l’aborder1,

vient signifier à la fois la formation/régulation du sujet et l’état de mise sous dépendance que cette formation suppose. Un postulat qui n’est pas sans se retrouver derrière les mots de J. Bu- tler lorsqu’elle soumet à la question la problématique du pouvoir. Elle l’écrit, « le pouvoir est à la fois extérieur au sujet et le lieu même du sujet »2, celui qui l’oppresse et le créé à la fois.

Si la psychanalyse telle qu’enseignée par J. Lacan met elle aussi en avant la condition d’émergence du sujet dans son aliénation – le processus de perte structurant – cela n’est que par rapport au champ du symbolique, au discours de l’Autre, lieu d’inscription et référence trans- cendantale.Et c’est nous semble-t-il ici l’intérêt d’une conception de l’assujettissement dévelop- pée par ces auteurs, qui va envisager ailleurs ce lieu du pouvoir auquel le sujet se soumet pour exister. Se subordonner à ce qui fait figure de pouvoir n’impliquerait plus une entité extérieure placée au-dessus de tout.

Pour J. Butler, le pouvoir est « ce que nous abritons et conservons dans les êtres que nous som- mes »3 assumant dès lors « une forme psychique qui constitue l’identité à soi du sujet »4 à

l’image du retournement à l’œuvre dans l’interpellation. C’est donc au tour du sujet d’être consi- déré, au moins en partie, comme lieu du pouvoir, mais lieu du pouvoir en tant qu’il peut être articulé à l’autre ; cet autre, ou cet autres, dont il dépend ou accepte de dépendre. La part active du sujet à exister comme tel se pose puisque assumant le pouvoir dont il émerge et auquel il se subordonne − « désir d’assujettissement ». Le sujet est « sujet du pouvoir »5 dans toute

l’ambivalence que cela implique : effet et condition de possibilité, agissant sur et agi par. Au côté d’une seule restriction originelle, se pense un en soi et pour soi.

Alors l’on retiendra la nécessité d’une co-existence pour opérationnaliser un pouvoir qui ne se- rait pas donné par nature mais qui émergerait de la rencontre, et trouverait en elle son espace de régulation et d’exercice.Ce que J. Lacan assimilait alors au langage trouve à se déplacer.

1 Foucault, M. (1993). Surveiller et punir, Paris, Tel Gallimard. 2 J. Butler, La vie psychique du pouvoir, op.cit., p.40.

3 Ibid., p.22. 4 Ibid., p.24. 5 Ibid., p.38.

« [Le] déplacement d’un discours sur la loi, entendue comme loi juridique et présuppo- sant un sujet subordonné par le pouvoir, vers un discours sur le pouvoir, champ de rap- ports productifs, régulateurs et contestataires »1.

La lecture de M. Foucault est illustrative de ces développements en ce qu’elle n’apparente plus le pouvoir à l’hypothèse répressive. Du « Qu’est-ce qu’est le pouvoir ? », elle pose la question du « Comment s’exerce-t-il ? ». Retraçant l’histoire du traitement socio-medico-juridique de la sexualité, M. Foucault remarque que le pouvoir n’a jamais eu pour fonction d’interdire mais d’examiner et de contrôler.

« Plus que les vieux interdits, cette forme de pouvoir demande pour s’exercer des présen- ces constantes, attentives, curieuses aussi ; elle suppose des proximités »2,

Une pratique, voire une philosophie de l’aveu qui n’est pas sans renouveler les partis pris de la littérature toujours contemporaine.

Plus avant, l’aveu se voit structuré par le pouvoir, alors perçu sous ses qualités intrinsèques. L’auteur précise,

« Le discours de l’aveu ne saurait venir d’en haut comme dans l’ars erotica, et par la vo- lonté souveraine du maître, mais d’en bas, comme une parole requise, obligée »3.

Au monde du haut, est alors seulement réservée unevolonté de savoir. On comprend en cela que le pouvoir ne s’exerce pas dans le cadre juridique du droit, qui récupère ce dont il peut se saisir pour légiférer, mais dans la proximité, et à travers elle, dans la relation dont ce droit va s’extirper. Droit avec lequel le politique reste aux prises quand bien même son rôle eut été de rester en rapport avec les affaires publiques, soit l’être collectif.

Selon M. Foucault,

« C’est de cette image [du pouvoir-souveraineté] qu’il faut s’affranchir (…) si on veut faire une analyse du pouvoir dans le jeu concret et historique de ses procédés » ;

Et c’est cette éthique qu’il se donne pour le penser autrement : « le pouvoir sans le roi », lieu de « La multiplicité des rapports de force qui sont immanents au domaine où ils s’exercent et sont constitutifs de leur organisation »4.

1 Ibid., p.156.

2 M. Foucault, La volonté de savoir, op.cit.., p.60. 3 Ibid., p.83.

Le corps institutionnel amenant à la subordination du sujet social n’en est qu’une cristallisation « politique » a posteriori. L’interdit ne serait plus alors à concevoir comme le fait d’un énoncé suprême, légal, « lieu du grand refus »1 comme il le qualifie, mais nous semble-t-il, l’inter-dit

d’une relation, « locale », faisant émerger le pouvoir de chacun des pôles asymétriques en pré- sence dans l’échange, quand bien même sur un tissu social maillé.L’intérêt de la conception fou- caldienne est donc bien de poser le lieu du pouvoir dans l’enchaînement – toutes significations confondues – et a fortiori dans les dimensions de l’assujettissement tel que nous l’avons abordé. A l’extériorité vient se substituer l’inhérence, elle-même productrice de légitimités.

L’hypothèse que nous pouvons alors formuler tient du rôle de « censeur » – reprenant ici le terme de P. Legendre2 – attribué au pouvoir dans un système de relations. L’acte d’influence que

E. Enriquez attribuait au « grand homme »3, reposerait là encore sur la transversalité d’un « deux

au moins », loin du monopole habituellement convoqué4. Le pouvoir est ce qui vient participer

du nouage du Lien social dans la perspective d’une certaine sécularisation, plus que de sa pres- cription. Le phénomène des émeutes dans la ville encourage à le penser, nous donnant à voir dans les processus qui le sous-tendent une tentative d’inversion du pouvoir plus que son renver- sement, que ce soit face à l’autre social, politique, ou au sein même du groupe qui l’agit. Le sou- verain ordonnateur que décrit M. Gauchet n’y échappe pas5. Là sont mises en avant les relations

de pouvoir, les rapports de pouvoir, contre l’ordre intangible, immuable qui s’impose ; ceux là même qui permettent l’équivocité de l’échange et instruisent une pluralité de positions singuliè- res et discontinues.

Qu’advient-il alors de la question des origines telle que nous l’avons précédemment esquissée ? C’est en considérant l’origine sur l’axe de l’histoire, et non plus de la genèse, que nous pourrons envisager au moins dans un premier temps la « meute », sa formation, sa territorialisation, avant de pouvoir saisir ce qui fera tenir le lien. D’autant que, comme le rappelle F. Noudelmann, trai- tant de la question de la transmission et de l’héritage dans le cadre du colonialisme, « il ne s’agit pas [en pensant à côté] de nier définitivement toute genèse mais de priver l’origine de son pou- voir légitimant »6. C’est tout l’intérêt qu’il accorde au concept de « digenèse » développé par E.

Glissant dont il s’inspire.En recourant à ce concept, nous pouvons selon lui, tout en traitant de

1 Ibid., p.126.

2 P. Legendre, L’amour du censeur. Essai sur l’ordre dogmatique, op.cit.

3 E. Enriquez, De la horde à l’Etat. Essai de psychanalyse du lien social, Op.cit., p.188. 4 Ibid., p.235 ; G. Deleuze, F. Guattari, Mille plateaux, Op.Cit., p.37.

5 M. Gauchet, Le désenchantement du monde, une histoire politique de la religion, op.cit., p. 75. Comme l’expose l’auteur,

le souverain ne peut exercer son action qu’au travers d’une forme de tension, voire, d’opposition, de négociation, qu’il entretient avec la société qu’il conduit.

l’histoire, accéder au mouvement et à la multiplicité tenant lieu d’origine.Dit autrement, situer à l’image de M. Foucault, l’origine dans la relation fondatrice du pouvoir, là où ladite digenèse « dé- fie l’identité-racine en lui opposant l’identité-relation »1.

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