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1.2 à la (re)mise en jeu de codes.

1.3. Qu’advient-il alors de l’interpellation ?

Certes, ce que nous avons avancé jusqu’ici nous permet d’envisager la délinquance sous l’angle d’une dialectique entre le sujet et l’autre, le sujet et le monde social environnant. En reprenant les mots de P. Gutton, nous dirions d’ailleurs qu’il s’agit particulièrement pour cet objet de re- cherche, de considérer « l’entrée en scène de l’un et l’autre » dans une trajectoire en « partena- riat », ou encore, une « affaire-autrui »1, sachant que « la subjectivité se structure au lieu de

l’autre »2. Mais peut-on continuer à penser la délinquance comme une interpellation3 sous pré-

texte de la manifestation d’un espoir ? S’inspirant de l’article de P. Blos sur l’acting-out, publié en 1963, et de la mouvance winnicottienne à la même époque, un certain nombre d’auteurs ont pu mettre en avant toute la dimension illocutoire, interpellative de l’acte transgressif. Nous avons pu le constater notamment chez J. Selosse que nous citions plus haut, pour qui le phénomène délinquantiel est entre autre une provocation défiant la loi4 appelant des sanctions symboliques.

Or, l’assertion n’est plus évidente une fois dégagée la possibilité d’un investissement différentiel de ces territoires de pouvoir et plus particulièrement, de ces espaces de régulation. La délin- quance ne saurait être le seul fait d’un désir (dé)monstratif fait à l’Autre. La relation au pair et son aménagement aux alentours semble en témoigner, particulièrement lorsque nous l’envisageons sous sa dimension spatiale, entre proximités et distances, là où se joue la violence,

1 Gutton, P., (2002), Violence et adolescence, Paris, In Press, p.123.

2 J.-P., Mouras, Soumissions adolescentes, in Hoffmann, C., (Dir.) (2000), L’agir adolescent, Ramonville-Saint-Agne,

Erès, pp.73-80.

3 Cf. Chapitre I, points 4.

4 Comme le précise l’auteur, « considérer la délinquance comme un produit de la réaction judiciaire, n’est-ce pas

priver les délinquants répétitifs de la spécificité de leur discours ? Les déposséder de leurs messages propres ? En les considérant comme des produits (…), n’étouffe-t-on pas leur souffrance ? (…) Qu’interpellent-ils par leurs comporte- ments répréhensibles et pourquoi cette confrontation avec la loi ? (…) Mais encore et de façon complémentaire, quel- les sanctions symboliques l’appareil judiciaire exerce-t-il ? » (Regards sur les problématiques des recherches concer- nant la délinquance juvénile, in J. Pain, L.-M. Villerbu, Adolescence, violence et déviances (1952-1995), op.cit, p.157). C’est alors qu’il apparaît nécessaire de mettre l’accent sur la signification de l’acte dans l’histoire du sujet, relatée ainsi à l’Autre et qui appelle une réaction de ce dernier.

la « contre-action »1. Alors, resterait à l’agir infractionnel la possibilité de nous donner à voir de

l’inscription dans un nouvel ensemble, et ce, par l’adresse qui est faite à un certain type d’(a)utre. Mais avant d’en asseoir l’hypothèse, il nous faut brièvement discuter les thèses en cours en matière de transgression juvénile.

La convocation faite à l’Autre est prégnante dans la littérature, mais est-ce bien de cet (A)utre dont il s’agit en chaque infraction ? L’agir ne serait-il pas la démonstration faite d’un aménage- ment à l’adresse de son petit a ? Lorsque l’on écoute les adolescents sur ce point, plus qu’un ap- pel, ressort de leur discours l’idée d’un vivre-avec, ou plutôt d’un mode de vivre-avec effectif ou attendu dans la relation à cet autre, déjà là. Ainsi, faire avec, mais pas n’importe comment. Ne plus lui prouver qu’ils existent et/ou attendre de lui qu’il confirme cela, puisque de fait ils sont là, mais inscrire leur position et faire exister de manière particulière un interlocuteur dont ils attendent qu’il participe à la relation conformément à un certain type d’échange. De manière générale, nous le constaterons, ces adolescents apparaissent plus en quête d’une reconnaissance qui soit contenante et productrice de valeurs propres, que d’une autorité structurante qui soit en mesure de leur attribuer une utilité sociale dans la hiérarchie. C’est là toute l’importance accor- dée à l’autre dans son rôle à jouer, particulièrement lorsque le processus du pubertaire met à mal cette assise. Evoquant le rapport à l’autre, dans la violence ou non, l’on n’aura de cesse d’être confrontés, dans les discours d’adolescents, à la question du narcissisme et ce qui le menace.

Mais alors, pourquoi la thèse d’une interpellation ? Penser une structuration fondamentale dans un mouvement de compensation, en deçà d’une réorganisation dans la confrontation actuelle à l’autre ? Comme l’évoque F. Houssier2 en commentant l’article inaugurateur de P. Blos,

l’adolescence est un temps qui donne à l’environnement extérieur toute son importance. Il a longtemps été perçu, et l’est encore, comme source d’objets, de bons objets, et de significations. L’on ne saurait remettre en cause cette thèse, toutefois son caractère absolu, quasi- paradigmatique, est à discuter. L’argument récurrent d’une panne dans la subjectivation nécessi- tant l’appel au tiers transcendant comme tentative d’auto-guérison – médiatisée – ne semble plus circonscrire la problématique adolescente telle qu’elle se voyait systématiquement définie dans la littérature. Il en va de même pour ce qui en amont étayait l’argument, à savoir la contes- tation pure et simple de l’ordre social et de l’autorité liée à la figure paternelle, celle-là même que l’on supposait manquante ou défaillante et que le sujet cherchait justement à provoquer par la mise en acte. Si donc il s’agirait toujours d’un effet du processus de subjectivation comme le

1 De l’étymologie latine violare qui signifie « contre-agir ».

2 Houssier, F., (2002), Commentaire du texte de P. Blos : « Le concept d’Acting-out », in F. Marty, Le jeune délinquant,

résume F. Marty1, celui-ci serait à entendre autrement.Le qui suis-je ? qui permettait à J. Selosse

de justifier d’une interpellation adolescente, a cédé sa place au quelles sont mes valeurs ? L’attaque de l’instauré et de l’institué jusque là privilégiée, deviendrait à l’heure actuelle, et pour partie d’entre eux, attaque des valeurs.

C’est toute la prudence que nous pouvons adopter face aux théories qui assimilent la délin- quance à une pathologie du surmoi, pourrions-nous dire, à une identification ratée avec l’instance parentale2, et plus précisément, paternelle. En effet, cette approche nous conduit inlas-

sablement à penser l’investissement des relations horizontales comme tributaire et dépendant de ce qui s’est joué dans la relation à l’Autre – vertical – au moment de l’Œdipe. Et si certains auteurs ont tenté d’y trouver une alternative, en posant l’hypothèse d’un surmoi collectif aux côtés d’un surmoi individuel, comme ce fut le cas notamment de J.-J. Rassial et de F. Redl3 avant

lui, le paradigme oedipien garde tout son poids. En témoignent les écrits du premier qui insistent sur le lien établit entre surmoi collectif et figure de l’Autre, que ce soit sur l’axe d’un prolonge- ment ou d’une opposition ; ou bien encore, ceux du second qui mettent en avant toute la pré- gnance du leader dans la constitution de cette seconde instance – seconde instance qui s’avère finalement n’être que le substitut de l’instance inaugurale, sur un autre territoire certes, mais respectant une configuration fidèle, à savoir la soumission au seul et Un-ique. L’inefficacité sym- bolique, originelle, est régulièrement en cause, qu’elle s’inscrive dans une tentative de restaura- tion, de signification, de compensation, de consolidation ou de réparation.

On le voit, l’influence de l’acting-out persiste, au risque d’amener le lecteur à penser tout acte délinquant comme un acte-au dehors dès lors qu’il relève de l’adolescence et qu’il implique de l’autre. A la suite des travaux de P. Blos, l’acting-out est devenu une composante caractéristique du processus adolescent, un mode de régulation spécifique des conflits psychiques pour ces su- jets inscrits dans une histoire transgénérationnelle, elle-même source d’identité. Alors, par l’acting-out, il est question de retrouver, comme le souligne F. Houssier4, les repères identitaires

de l’enfance. C’est là tout l’argument d’une restauration de ce qui préexistait mais « mal » ; le moyen de

« Expérimenter par le déplacement dans le monde extérieur, la capacité à trouver une

1 Marty, F., (Dir.), (2002), Le jeune délinquant, Paris, Payot, p.24.

2 Il s’agit là d’une référence aux écrits de S. Freud qui envisageait l’établissement du surmoi comme la réussite du

processus d’identification à l’instance parentale.

3 J.-J., Rassial, Le passage adolescent. De la famille au lien social, op.cit. ; Redl, F., (1944), La psychologie des bandes, in

Marty, F., (Dir.) (2002), Le jeune délinquant, Paris, Payot, pp.67-85.

réponse satisfaisante, résolutrice du temps de crise »1.

La dimension de l’appel fait au monde environnant est alors posée comme constitutive du temps de l’adolescence, et du vide supposé qu’il oppose au sujet. Par le délit, l’adolescent signalerait, désignerait à l’adulte son manque à être efficient et en appellerait à la sanction, comme si ce dernier ne savait répondre autrement aux attentes de l’adolescent qui cherche une reconnais- sance dans l’Autre2. C’est pourtant là tout le caractère positif qui lui est reconnu dans la littéra-

ture évoquée plus haut mais aussi l’importance assignée à l’environnement tiers comme « suffi- samment bon ». Et l’exercice du rabattement d’une problématique parentale, familiale, de se faire à nouveau jour dans cette conceptualisation. En effet, non loin de celle-ci, l’idée d’une figure paternelle qui ne tient plus son rôle voire qui « démissionne » : elle n’interdit plus – et cela s’arrête là, pourrait-on dire. Mais est-ce là la réduction faite de la figure de l’(A)utre par l’adolescent d’aujourd’hui ?

L’on évoque l’errance des pères3 comme leitmotiv de cette interpellation, mais il est avant tout

question de relation d’objet/relation à l’objet. La transgression engage cette dynamique rela- tionnelle. Et ce n’est que partant de cette acception qu’il faut envisager les problématiques pos- sibles. Si, comme l’écrit S. Lesourd, l’agir est création d’un espace où se tisse du lien4, pourquoi

toujours considérer qu’il le fait par la mise au défi d’une autorité supposée unique ? Pourquoi toujours considérer qu’il est l’espace d’une quête symbolique et signifiante en tant que telle, une quête de la deuxième chance ? Plus que le temps d’une recherche, ne pourrait-il pas être l’espace d’une assise postérieure ? La loi est bel et bien là, présente chez ces adolescents qui savent en jouer parfaitement. L’image du père comme représentant traditionnel d’une autorité l’est égale- ment. Le fait est que tous n’adhèrent pas nécessairement à ces définitions qu’ils connaissent, et ne les investissent pas sur un mode partagé socialement. Une demande relationnelle peut être formulée et nous la percevons d’ailleurs vivement lorsque nous les interrogeons sur leur atten- tes à l’égard des enseignants et des éducateurs5, mais celle-ci semble se jouer ailleurs que dans la

verticalité.

1 Ibid., p.339.

2 Notamment, S. Lesourd, Les désarrimés de la loi, op.cit. ; Mouras, J.-P., (2000), Soumissions adolescentes, op.cit.;

Douville, O., (2000), Agirs adolescents et modernité in Hoffmann, C., (Dir.), (2000), L’agir adolescent, Ramonville- Saint-Agne, Erès, pp.81-94 ; J.-J., Rassial, L’adolescent et le psychanalyste, op.cit. ; J.-J., Rassial, Le passage adolescent. De la famille au lien social, op.cit.

3 Mouras, J.-P., (2000), L’errance des pères, in Rassial, J.-J., (Dir.) (2000), Sortir : l’opération adolescente, Ramonville-

Saint-Agne, Erès, pp.77-89.

4 Lesourd, S., (2000), La frustration de l’acte et l’adolescent, in Hoffmann, C., (Dir.), (2000), L’agir adolescent, Ramon-

ville-Saint-Agne, Erès, pp.21-32.

5L.Libeau Mousset, A., Winter, Les mineurs dits « incasables ». Une analyse des facteurs de risques de vulnérabilité des

Il s’agit ici de développements théoriques qui, tous, nous encouragent à travailler la relation à l’objet, primordiale dans le développement adolescent, amenant la question de l’autre ; et à in- vestiguer la clinique sur cet axe même. Mais il nous faut nous délester quelque peu du rabatte- ment pratiqué des dimensions uniquement filiatives. Rechercher, montrer, démontrer, voire, ex- hiber, ne se réduit pas au seul objectif d’interpeller. La mise en drame ne saurait être seulement le récit dramatique du manque ou de la défaillance, mais peut-être parfois la juste mise en scène d’un mode privilégié de relation que le spectateur est convié à regarder, pour s’en saisir.

L’on ferait donc ainsi glisser l’hypothèse de l’agir comme symptôme constitutif d’un matériel d’appel1 vers celle de l’agir comme symptôme du positionnement du sujet par rapport à l’autre

et à lui-même. Dit autrement, l’agir nous enseignerait sur la manière dont le sujet fabrique et pratique de l’(A)utre – du père ou du pair – dans la rencontre ; mais aussi sur la manière dont il s’y positionne. Cela ne saurait remettre en cause le principe que nous rappelions au départ, et que partagent nombre d’auteurs, à savoir que la subjectivité se structure au lieu de l’autre, mais seulement nous amener à considérer la valeur et la fonction qu’il lui accorde. Tout nous autorise à penser que la place du père pourrait être occupée par un autre advenu, totem ou voisin2, et

que, aux côtés d’un symbolique auquel l’on peut se référer pour certains, co-existe un imaginaire tout aussi important, si ce n’est plus, pour d’autres.

L’adolescent délimite un espace où ce qui constituait la différence de génération prend un autre sens, un territoire où finalement, la différence est à entendre autrement, régie par une loi autre que celle de l’Un, selon des règles de proximités et de distances qui lui sont propres, et surtout, qui fonde « son » lien social. Et l’on comprendra toute l’importance rappelée par P. Delaroche3,

de faire la part de ce qui revient à la psychopathologie et/ou au politique ; ce que nous allons essayer de développer.

2.R

ETOUR SUR UNE DYNAMIQUE GROUPALE EMPREINTEE

.

L’évocation des émeutes de 2005 n’est pas sans susciter un flot de représentations particulière- ment vives4. Violences, remous, crise, fracture sociale, rupture… autant d’images et de symboles

1 Houssier, F., (2003), L’adolescent, un sujet récalcitrant dans l’histoire de la pratique psychanalytique. L’originalité de

l’approche d’August Aichhorn, in Dialogue, 162, 4, pp.35-45.

2 J.-P., Mouras, L’errance des pères, op.cit.

3 Delaroche, P., Conclusion, in J.-J. Rassial, Y a-t-il une psychopathologie des banlieues ?, op.cit., pp.113-114.

4 S’il ne s’agit pas dans ce travail de procéder à l’étude des émeutes dans la ville comme mise en acte infractionnelle

mis en exergue au fil des discours de tous-venants, des articles de presse, des plans vidéo des différents médias. La meute adolescente émerge et avec elle, toute une logique de déconstruc- tion à engager, notamment du fait des dynamiques qu’elle suppose et des mises en perspectives qu’elle semble autoriser. Et c’est là que le mot prend son importance, voire, sa pertinence. De l’ancien français esmeu, participe passé du verbe « émouvoir », l’émeute se définit d’être un sou- lèvement populaire, un mouvement, une agitation, une explosion de violence à l’occasion d’un événement.L’idée même de meute qui participe à la formation de ce terme lui fait écho par cette dimension de mouvement massif, collectif, constitué pour attaquer. Elle serait alors bien ten- tante pour aborder le phénomène groupal à l’adolescence, plus encore si nous considérons l’accent préférentiellement porté sur l’action qu’elle suppose. Pour autant, ne devrions-nous pas, compte tenu de son organisation, privilégier une dynamique de la horde ?

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