• Aucun résultat trouvé

Un mot pour la clinique et la démarche expertale dans la construction d’un objet.

C HAPITRE I P RIS ENTRE MINORITE ET SUBJECTIVITE ADOLESCENTE

1.3. Evolution statutaire réifiante.

1.3.3. Un mot pour la clinique et la démarche expertale dans la construction d’un objet.

La politique de la « tolérance zéro » implique qu’il faille une réaction pour tout acte, elle ne per- met plus de jeu, plus d’espace. Quand bien même la responsabilisation est convoquée pour justi- fier les mesures répressives engagées, il n’est plus demandé à l’infracteur de répondre de ses actes, seulement est-il lui-même remis en cause via l’imputabilité, et sa responsabilité, soumise à ceux qui l’entourent, de ses représentants légaux au maire de la commune, voire, au juge, dans une articulation privé/public. Comme nous l’évoquions dans un précédent article3, face à cette

gestion du risque qui n’a de cesse de reposer sur la notion de dangerosité sans penser les vulné- rabilités de l’infracteur, face à ce « management des flux »4, qu’en est-il du reste de subjectivité

autorisé ?

La peine minimum laisse deviner le primat accordé à la société, rendue victime, sur celui qui est

1Beccaria, C., (1764), Des délits et des peines, Paris, Flammarion, 1991, pp.136-139.

2 L’article 2 de la présente loi stipule que « la juridiction peut prononcer, par une décision spécialement motivée, une

peine inférieure à ces seuils ou une peine autre que l'emprisonnement en considération des circonstances de l'infrac- tion, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci ».

3Villerbu, L.M., Winter, A., (2008), Sciences Humaines Cliniques et approche de la justice des mineurs : contributions

critiques contemporaines aux approches évaluatives et de suivi de la délinquance juvénile à partir de l’approche psy- cho-criminologique, in Archives de politique criminelle, 30, pp.163-182.

désigné comme dérangeant l’ordre établi, et ce, par l’exclusion de celui qui vient à l’encontre du « vivre-ensemble », ou plutôt, par l’abolition des actes qui dérogent à la Loi : la « dette » à payer sera la même pour tous à partir du moment où des conditions similaires seront observées, sans considération faite pour l’individu qui l’a contractée.Le législateur encourage à regarder l’objet dérobé, attaqué, plutôt que celui qui a agit. Est-ce vraiment là le moyen d’éviter la récidive ?1

Poussant quelque peu la réflexion, l’on peut envisager l’impasse dans laquelle risque de nous conduire la démarche du « tout-répressif », voire du « tout-carcéral », que viennent opérationna- liser les sanctions réactives automatiques. D. Salas écrit :

« Le système [de la justice des mineurs] était conçu pour favoriser une démarche clinique en direction d’un acteur vulnérable »2.

Nous sommes forcés de constater que dans l’agitation la plus totale, la répression devient le mode de régulation par excellence, faisant perdre tout son sens au préventif qui n’en est finale- ment plus.Etl’idée même de ficher une potentialité, jamais définie, ou d’en « prévenir » le retour incriminé, en l’écartant du social, accentue ce sentiment tout en faisant la part belle au pronos- tic.

Comme en font état R. Merle et A. Vitu, le principe même de personnalité des peines vient conforter dans le Droit celui de la responsabilité3. Une question donc : comment le sujet peut-il

engager un travail psychique en aval si celui-ci n’est pas déjà reconnu en amont ? Comment peut-il répondre de son acte s’il ne peut en témoigner ? L’expertise apparaît comme l’un des der- niers remparts, en matière judiciaire et pénale, d’autant plus lorsqu’elle porte sur un mineur.

Au vu des objectifs préventifs, éducatifs et thérapeutiques qui lui sont dévolus par l’ordonnance de 1945 et ses amendements, la procédure expertale engagée auprès d’un mineur se doit de te- nir compte particulièrement de l’évolution de ce dernier, de son parcours de vie, de son histoire, et des différents éléments qui ont pu ponctuer cette histoire. Il s’agit d’étudier un sujet en cons- truction et ainsi, de resituer l’infraction, au demeurant transgression, résistance, dans une tra- jectoire subjective « logique »4. C’est d’ailleurs toute l’importance de l’observation clinique que

de pouvoir témoigner du sens de l’acte au corps social. Or, mettant à mal l’individualisation de la

1Lors d’une conférence donnée à l’IRTS de Rennes en date du 04.09.2007, le magistrat J.P. Rosenczveig concluait son

propos sur Les Actes judiciaires dans les mesures éducatives, en avançant que la loi du 5 mars 2007 ne traitait finale- ment pas son objet, à savoir la prévention de la délinquance, mais de la prévention de la récidive de la délinquance. Et sa thèse, de se vérifier quelques mois plus tard à l’issue du vote des textes législatifs d’août 2008.

2Salas, D., (2007), (Ré) incarner la loi éducative, in Adolescence, 1, 59, pp.29-34.

3Merle, R., Vitu, A., (1967), Traité de droit criminel. Problèmes généraux de la science criminelle. Droit pénal général,

Paris, Cujas, 1997.

4La transgression témoigne d’enjeux dynamiques, affectifs et économiques à resituer dans l’histoire du sujet, c’est

peine qui ouvrait un espace à la responsabilisation et à la réparation, le politique invalide actuel- lement ce que pouvait initier l’expertise. Il l’invalide, voire, la détourne, attendant d’elle qu’elle puisse attester avec certitude d’une dangerosité plus que d’une vulnérabilité.

La délinquance est plus visible ces dernières années, non pas qu’elle soit plus importante – sa proportionnalité reste sensiblement la même depuis longtemps – mais elle est devenue l’objet de préoccupations politiques plus certaines. De fait, la question des modes d’accompagnements devient plus vive, au point d’interroger l’efficacité et l’efficience d’une batterie d’instruments en place mais à laquelle les mineurs échappent de plus en plus. La situation des mineurs dits « inca- sables »1, se faisant succéder les institutions les unes après les autres, témoigne de cette évolu-

tion. Pourtant cette imagination débordante pour les nouvelles structures de rétention toujours plus performantes, et que l’on cherche à stimuler un peu plus encore à travers la révision de l’ordonnance, manque de s’interroger sur les parcours déjà en place dont sont porteurs les mi- neurs de justice, et surtout, sur leur vécu de ces parcours.

Qui dit parcours, trajectoire, dit généalogie. Généalogie filiative certes, mais également institu- tionnelle2. Depuis le début de sa vie, et en fonction de son évolution, le sujet mineur traverse et

s’inscrit dans des sphères qu’il investit plus ou moins. Ceci étant, dans la succession, c’est tou- jours la question du lien, de la relation, qui semble faire leitmotiv. La démonstration majeure se fait à l’adolescence. La problématique des aménagements relationnels dans la construction sub- jective du parcours délinquantiel ne doit dès lors, pas être écartée mais au contraire, privilégiée.

Nous ne pouvons nier que les outils institutionnels d’aujourd’hui participent de la désignation des mineurs, soumis aux représentations sociales et aux modes de contrôles qui les confortent. Et l’on observe là, à quel point l’excès des mesures prévues, tenant d’une crainte sans précédent de ce qui déroge à la norme, vient mettre à mal une prise en charge qui puisse être cohérente et profitable au sujet, notamment adolescent. Professionnels et mineurs se perdent au sein même des institutions qui les réunissent, les rendants de fait plus vulnérables, et finalement, potentiel- lement plus dangereux, pour eux, pour les autres. C’est tout le risque d’une généalogie institu- tionnelle qui se voit garantie par un idéal (pseudo)sécuritaire et non plus « protectionniste », déniant ses acteurs éducatifs – soumis désormais au rendement – et ses infracteurs – de plus en

1 Libeau Mousset, L., Winter, A., (2008), Les mineurs dits « incasables ». Une analyse des facteurs de risques de vulnéra-

bilité des adolescents, à travers leur parcours de vie et les prises en charges institutionnelles, Paris, Oned. Recherche menée par l’ICSH dans le cadre d’un appel d’offre formulé en 2006 par l’Observatoire Nationale de l’Enfance en Dan- ger.

2L.M. Villerbu, A. Winter,Sciences Humaines Cliniques et approche de la justice des mineurs : contributions critiques

contemporaines aux approches évaluatives et de suivi de la délinquance juvénile à partir de l’approche psycho- criminologique, op.cit.

plus lésés en terme d’aménagement pénal.

Le brouillage des repères entre éducatif et répressif s’avère prégnant, ne permettant plus une représentation graduée et claire de la réponse judiciaire, au point de susciter parfois chez cer- tains magistrats l’amalgame entre Etablissement Pénitentiaire pour Mineurs et Centre de Place- ment1. Politiques, cadres et pratiques se confrontent dans le flou des articulations pensées, ali-

mentant des conflits d’intérêts permanents, délétères pour le fonctionnement de l’institution, et de ses institués. Et comment ne pas envisager ici l’affrontement de territoires, de pouvoirs di- vergents, animés par des positions éthiques propres et des légitimités distinctes ? Le pouvoir ne saurait être autre que perverti s’il ne considérait pas la relation dont il émerge.

Alors il nous faut être attentifs à ce qu’il conviendrait de mettre en place face à la récidive : en amont, ce qu’il est désormais important de souligner dans l’expertise, et en aval, le lieu à privilé- gier aujourd’hui pour créer l’espace nécessaire d’une réponse qui puisse être actée par le Droit, qui soit congruente et faisable – institutionnellement. Réviser les Lois, les ordonnances, certes, les choses ont évolué, mais pour en faire quoi si, en deçà, la dimension institutionnelle chargée du relais alimente du problème ?C’est toute la question du diagnostic qui se pose. Non pas celui que l’on serait en mesure de poser dès l’âge de trois ans, mais avant cela, celui d’une dynamique situationnelle et plus largement sociétale qui cherche à inscrire en son sein, un fonctionnement psychique donné. En d’autres termes, l’évaluation d’une conjoncture qui devrait être a priori clairement définie, porteuse de rencontres et non vectrice de placements aléatoires.

Avant d’être une histoire de corps biologiques, de prédispositions génétiques, ou même de choix délibérés, ladite « délinquance », est d’abord une réponse de sujet faite à une situation (sociale, historique, psychique), à un mode d’organisation du lien social, compte tenu d’un vécu subjectif, d’une histoire occupée. Mais le parcours ne semble plus intéresser, ou dans une autre mesure.

L’on voit là à plus haute échelle les distances s’accentuer entre prescriptions politiques, mises en applications pénales et perspectives du soin – le seul soin qui importe actuellement étant celui à apporter aux craintes sociales et aux victimes, prioritaires à défendre2 – du fait d’un retour au

«populisme pénal »3. Comme souligné dans un rapport de la Fédération Française de Psychiatrie

1La décision de « placer [un mineur] en E.P.M. » témoigne de cette confusion.

2D.Salas, (Ré) incarner la loi éducative, op.cit., p.34. Pourtant, comme le repend L. Mucchielli, entre loi de circonstance

et défense des victime, certains professionnels s’inquiète du statut ainsi attribué aux victimes, des attitudes politiques vindicatrices qui se font leur porte parole et des processus de socialisation que cela engage (Frénésie sécuritaire, re- tour à l’ordre et nouveau contrôle social, op.cit. p.10)

3Lazerges, C., (2008), Un populisme pénal contre la justice des mineurs, in L. Mucchielli, Frénésie sécuritaire, retour à

sur le thème de l’expertise psychiatrique pénale,

« Le législateur valorise l’expertise de « dangerosité » au détriment de l’expertise de « responsabilité » (…). Ainsi, les tenants d’une prévention accrue de toutes les formes de récidive voient dans la première l’une des manière d’identifier les facteurs de réitération alors que la majorité des psychiatres insistent pour revenir aux valeurs cardinales de leur profession, en l’occurrence le diagnostic de la maladie mentale et les traitement à prodi- guer ». Et d’ajouter qu’ « aucune certitude n’est acquise quant au lien « expertise de dan- gerosité-prévention de la récidive » 1.

C’est pourquoi nous insisterons dans ce travail sur la relation, le lien à l’autre – le lien à l’autres. Sans l’autres, sans la société, pas de législation, pas de délinquance. En deçà d’une considération pathologique, structurelle, c’est toute une problématique du lien qu’il nous faut reconsidérer, le lien recherché, le lien attendu, le lien attaqué, le lien proposé, etc. Quelque chose ne cadre pas, ou plus… la rencontre rate, la proximité échoue. Nous l’avons vu, l’adolescent est né du rejet pro- gressif des violences qui lui ont été faites, notamment des abus de pouvoir que pouvaient exer- cer les adultes à son encontre. Partant de cette assise, s’est observé un renversement avec une attente plus symétrique que réciproque : celle pour les adultes de ne pas subir le sentiment de toute-puissance qu’ils attribuaient à ces mêmes adolescents, remettant en cause la forme para- digmatique de l’obligation morale que représentait ces dernières décennies, l’enfant2 – nous y

reviendrons. Et l’accroissement des thèses psychologiques sur le narcissisme, d’alimenter à leur manière ce mode de pensée contemporain, que ce soit au niveau social, éducatif ou judiciaire. Voilà le point de départ d’une réflexion que nous tenterons d’engager une fois traitée la question du processus adolescent et dégagée plus avant cette problématique du lien, déterminante dans la rencontre de ces générations.

2.L

E PROCESSUS CRITIQUE DE L

ADOLESCENCE

.

Bien que les limites de l’adolescence soient relativement floues du fait des différences inter et intra individuelles, il est d’usage de la situer généralement entre l’âge de 11 ans et 18 ans. La correspondance peut ainsi être établie avec l’âge légal de la majorité, illustrant de fait le souci du législateur d’adapter à un moment donné les textes aux réalités sociologiques et individuelles. Il s’agit donc d’une période charnière qui, s’étendant sur plusieurs années, est sujette à de nom-

1Rapport d’audition publique réalisée par la FFP, Fédération Française de Psychiatrie, avec le soutien de la HAS,

Haute Autorité de Santé, et présidé par le Dr. G. Rossinelli, intitulé Expertise psychiatrique pénale. Dépôt au ministère de la Santé en Janvier 2008, p.15. Document téléchargeable en ligne sur http://www.has-sante.fr/portail/ upload/docs/application/pdf/epp-rapport_de_la_commission-version_finale_pour_mel.pdf

2Thèse développée par D. Folsheid lors du colloque Internationale Francophone « Meurtre d’enfant, Enfant meurtrier.

breuses mouvances. La déstabilisation qui en résulte affecte avec plus ou moins d’intensité ceux qui la traversent, nous laissant ainsi la possibilité de penser d’ores et déjà la violence qui peut leur être faite à l’occasion des différentes phases maturatives qui participent de cette nouvelle organisation.

Nous choisirons par conséquent de traiter ici de l’adolescence sous l’aspect critique et par là même, dynamique, qui à notre sens, la caractérise. Une crise, dont le processus adolescent pour- rait être le modèle puisque préfigurant, selon A. Birraux1, toutes les autres à venir, et qui consti-

tuera le fil rouge de ce sous-chapitre, sur les plans successifs du biologique, du psychologique et du filiatif, à l’image de la distinction opérée par C. Bouchard2 : crise subjective, crise du sociolo-

gique et crise de la filiation, que nous reprendrons en partie de manière à organiser la littérature qui a été la nôtre et à poser les jalons de la réflexion à conduire.

Documents relatifs