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humaine, op.cit., p.104).

C HAPITRE III P OUR UNE MODELISATION DYNAMIQUE DE LA RELATION OU LE LIEN SOCIAL A L ’ ADOLESCENCE : RESTES D ’ UN CHEMINEMENT

1.2. L’éthique en tant que second.

Comme nous le mentionnions en début de chapitre, les termes de morale et d’éthique semblent parfois se confondre dans la littérature. La lecture même de Kant peut prêter à l’amalgame, considérant l’éthique comme la science de la liberté, celle-là même qui joint sous sa coupe l’anthropologie pratique naissant de l’empirie, et la morale naissant de la raison. Est-ce alors à penser que l’éthique serait le tenant lieu d’une morale ? L’idée même d’un lien à envisager est à maintenir, certes ; toutefois, des nuances nous semblent à penser notamment du fait de leurs implications possibles dans la dynamique psychique qui constitue notre objet, et plus particuliè- rement, vis-à-vis de cet autre(s) de la relation pour le sujet. Est-il question, à travers la morale et l’éthique, d’une même adresse ? Voire, d’une même origine ? C’est là nous semble-t-il tout l’intérêt de reprendre Kant et Nietzsche dont nous venons de présenter les thèses, et de voir, dans quelle mesure, nous pouvons proposer une nouvelle déconstruction qui déplacerait les lieux du devoir, des règles, mais aussi de l’interdit.

1.2.1. D’une non distinction conceptuelle…

Notre point de départ, l’affirmation kantienne selon laquelle

« Pour qu’une action soit moralement bonne, il ne suffit pas qu’elle soit conforme à la loi morale, il faut encore qu’elle soit accomplie en vue de cette loi »3.

1R. Merle, A. Vitu, Traité de droit criminel. Problèmes généraux de la science criminelle. Droit pénal général, op.cit. 2 F. Nietzsche, Par-delà bien et mal, op.cit., p.161.

L’on voit bien ici que l’auteur pose l’évidence d’un tout alors même qu’il mobilise en son sein deux registres différents : l’acte en tant qu’il répond à une certaine contrainte, mais aussi, l’acte en tant qu’il est généré par un sujet responsable qui va pouvoir le motiver, voire, le justifier, par rapport au devoir édicté.

Se saisissant de cette distinction, comment continuer à penser que les lois morales communes, les règles, qui ont pour objet la régulation des rapports des uns aux autres, l’altérité, sont les mêmes que celles que l’individu, au demeurant sujet, se donne à lui-même, et qui n’ont plus a priori pour objet l’autre ?C’est là la confusion faite par Kant1 et qui nous semble importante de

déplier, en dehors du lien exclusif dignité-moralité ou universalité-moralité2.Une confusion qu’il

semble faire, ou plutôt, une non-distinction, alors qu’il écrit plus loin que

« La volonté est une espèce de causalité qui appartient aux êtres vivants, mais seulement en tant qu’ils sont raisonnables et la liberté serait la propriété qu’aurait cette causalité d’agir sans y être déterminée par des causes étrangères »3.

Se pose à nouveau la question de savoir si l’autonomie dont use l’auteur pour évoquer la liberté de volonté, et penser la loi propre, doit rester sous le joug théorique de la morale. Jusqu’où pen- ser la morale ? Qu’en est-il de cette liberté des règles subjectives qui vont prescrire de la conduite ? Dit autrement, la liberté suppose-t-elle la loi morale comme l’avance Kant ? Causalité transcendante et causalité immanente renverraient-elles au même principe ?

Nous venons de le voir, chez Kant, la morale renvoie de manière privilégiée à du « tous », le « je » n’étant à considérer qu’aux vues de l’intérêt égoïstequi pourrait en constituer le travers. Mais c’est justement en pensant la distinction entre la morale et la « volonté » qu’il devient possible d’envisager ce « je » autrement. En se disant finalement « Et quand cette volonté n’est plus conforme à la loi universelle… » que reste-t-il ? De quel idéal s’agit-il ?Pour Nietzsche, la morale ne serait pas individuelle, qu’est-ce qui pourrait alors l’être ? Ce qui est « donné comme réel (…) notre monde de désirs et de passions »4, au point d’envisager le bien commun comme contradic-

toire à lui-même5.

En cela, cette lecture nous amène à penser qu’à la morale, viendrait s’opposer quelque chose de l’ordre de la nature, et pourrions-nous l’ajouter, de l’ordre du sujet qu’elle contraint. Une morale

1 Ibid, pp.74-75.

2 Pour Kant, l’autonomie serait au principe de la dignité, de la raison, et donc, de la morale, Ibid., p.78 et 84. 3 Ibid., p.94.

4 F. Nietzsche, Par-delà bien et mal, op.cit, p.87. 5 Ibid., p.93.

donc, qui n’existerait que parce que cela résiste en face.Si parallèlement nous suivons l’auteur dans la démonstration qu’il fait d’une pensée de la morale multiple, résidant dans les interpréta- tions relatives que l’on peut formuler à l’égard des objets et des phénomènes comme nous l’évoquions plus haut, alors une seconde dimension est à envisager. Celle qui permettrait d’expliquer que « ce qui est juste pour l’un peut n’être absolument pas juste pour l’autre »1, qu’il

existerait finalement quelque chose d’individuel, de subjectif, qui n’est pas une morale mais qui puisse exister à côté de, tout en lui étant lié ; un idéal donné aux côtés d’un idéal vécu supposant un déplacement des valeurs.

1.2.2 … au dégagement d’une problématique éthique à part entière.

C’est alors toute la question de l’éthique qu’il nous faut considérer et reprendre. Au-delà de la question du « comment se comporter ? », et nous l’avons vu en reprenant Kant puis Nietzsche, il importe de pouvoir introduire une nouvelle interrogation. Ne plus se demander uniquement ce qui est bon, mais ce que nous pouvons nous imposer, concevoir nous-même comme obligatoire – une « pratique réfléchie de la liberté » disait M. Foucault2.L’éthique renverrait alors davantage à

l’auto-interdit, au désir, au sujet, là où la morale renvoyait à un temps socio-historique donné3.

L’on conçoit le lien qui unit l’une à l’autre, mais un lien qui ne se satisferait plus de poserla se- conde aux fondements de ce qu’implique la première. L’éthique se situerait au-delà du jugement, transcendant la morale et venant qualifier un engagement traduit en acte, par-delà bien et mal, si nous nous permettons cette référence.L’adresse n’est plus la même, ni même celui qui interdit ou prescrit du comportement, de l’agir.Au demeurant sous tendu par l’axe de la culpabilité, le lieu de la transgression se déplace, tantôt du côté de la rupture, tantôt, du non respect du contrat.

En tant qu’elle désigne ce à quoi l’on s’autorise, l’éthique – à distinguer de la déontologie4 – im-

plique le rapport de soi à soi, où l’autre de l’échange n’est plus nécessairement.En effet, son ex- cès en vient à faire disparaître l’autre qui existait via la contractualisation morale, laissant le

1 Ibid., p.201.

2 Foucault, M., (1984), L’éthique du souci de soi comme pratique de la liberté, in M. Foucault, Dits et écrits II, op.cit.,

pp.1527-1548.

3Villerbu, L.M., Remarques critiques sur les notions de dangerosité et vulnérabilité psychiatrique et criminologique en

psychocriminologie, Villerbu, L.M., et coll. (2003), Dangerosité et vulnérabilité en psychocriminologie, Paris, L’harmattan, pp. 13-60.

4 Par déontologie, il s’agit de penser la prescription professionnelle, les obligations, les compétences, le mode et les

limites d’interventions, ceci, du côté de la responsabilité. Villerbu, L.M., Remarques critiques sur les notions de dange- rosité et vulnérabilité psychiatrique et criminologique en psychocriminologie, in Dangerosité et vulnérabilité en psy- chocriminologie, op.cit ; Samacher, R., (1990), De l’utilité de distinguer déontologie, morale, éthique, Bulletin de psycho- logie, Tome XLIII, n°394, pp295-298.

sujet aux prises avec ses inhibitions et ses concessions. L’inhibition lorsque l’on ne s’autorise pas et la concession lorsque l’on cède au désir et à la transgression, lorsque l’interdit ne tient pas ou plus et est consommé. Dans un cas comme dans l’autre, c’est cette position du sujet qui vient nous renseigner sur la place qu’il accorde à l’autre.

Ce qui est éthique pourrait dans l’absolu ne pas être moral. Ce serait là un nouveau Souci de soi1 au principe d’une immanence peu considérée mais pourtant révélatrice d’une axiomatique dé- terminante chez le sujet, source de valeurs, d’idéal, de références, de prescription, d’attitude ou encore, de comportements.Selon R. Samacher, l’éthique est « l’art de diriger sa conduite ». A ce titre, elle « transcende la morale commune »2, et pouvons-nous poursuivre avec F. Lerbet-Sereni,

« Là où la morale est pour moi auto-référencée, l’éthique renvoie à mon autoréférence. Là où la morale me dicte de ne pas agir ainsi pour ne pas apparaître tel ou tel aux yeux des autres, l’éthique me dicte de ne pas agir ainsi pour ne pas être tel ou tel à mes propres yeux »3.

Le lieu d’énonciation de l’interditdévoile ainsi ce qui uni le sujet à l’autre et ce qui l’en différen- cie dans la semblance. Par ce qu’il propose comme le triptyque « lier-délier-allier »4, F. Lerbet-

Sereni va donc plus loin, et nous permet d’étayer la condition du passage du désir à l’altérité, dans le respect des thèses de P. Ricœur5. Deux dimensions qui ne sont pas exclusives l’une de

l’autre mais qui au contraire, vont venir se croiser autour de notre objet, et nous donner à voir ce qui, d’une certaine manière, va pouvoir engager de la responsabilité chez ces adolescents, là où se manifestent des enjeux de pouvoir – scènes privée et publique.

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