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C HAPITRE I P RIS ENTRE MINORITE ET SUBJECTIVITE ADOLESCENTE

1.3. Evolution statutaire réifiante.

1.3.2. Une actualité discutée…

En Avril 2008 est inaugurée la commission de réforme de l’ordonnance, présidée par A. Vari- nard. Le projet politique qui la sous-tend prétend ainsi apporter des réponses aux questions soulevées et aux constatations qui avaient pu être énoncées en 2002 dans le rapport de la com- mission d’enquête sur la délinquance des mineurs1.Officiellement, il s’agit d’actualiser un texte

« qui a perdu de sa pertinence [et] de son efficacité »2. Mais plus que d’actualisation, il est ques-

tion pour la garde des sceaux de l’époque, d’une refonte de la justice des mineurs devant

1Schosteck, J.-P., Carle J.-C., Rapport de la commission d’enquête sur la délinquance des mineurs, publié au Journal Offi-

ciel le 27 juin 2002, faisant suite à une résolution adoptée par le Sénat en date du 12 février 2002. Ce rapport met en avant à l’époque toute l’actualité des principes de primauté éducative, de spécialisation des juridictions et d’excuse de minorité. Néanmoins, il insiste sur la nécessité de ne plus dissocier systématiquement mesures éducatives et peines, dans un souci « pédagogique » ; d’envisager de nouvelles mesures à l’attention des mineurs de moins de seize ans ; d’accélérer le processus judiciaire et l’exécution des décisions prises ; de créer de nouveaux établissements de déten- tion, spécialisés pour les mineurs, et enfin, de travailler la notion de parcours. Autant de point, non exhaustifs, aux- quelles font écho les directive du ministère de la justice à l’attention de la commission Varinard chargée d’envisager une révision de l’ordonnance de 1945.

2 Extrait du discours de Mme Rachida Dati, garde des sceaux à l’époque, prononcé en date du 15 avril 2008 à la chan-

« préparer l'avenir. Elle doit aider le jeune fautif à se relever. Elle doit faire comprendre le sens de la sanction. C'est tout l'enjeu du travail éducatif »1 [nous soulignons].

Et d’ajouter, lors de la remise dudit « rapport Varinard » que l’incarcération d’un mineur de 12 ans ne relèverait que du « bon sens »2.

Or, si l’on avait tendance à penser l’orientation de la justice des majeurs selon celle des mineurs, c’est au mouvement inverse que nous assistons3. Face aux principes inauguraux de spécialisa-

tion de la justice des mineurs, de souci de l’éducatif et d’excuse de minorité, sont soumis à révi- sion le seuil de responsabilité pénale, la cohérence des parcours pénaux, les mesures applicables et leur portée éducative, ou encore, la place de la victime – A titre illustratif, la définition de cette dernière ne semble plus, dans le discours politique, inclure en son sein la personne du « délin- quant » pourtant pensé comme tel dans le texte original de 1945.

Cet ensemble de points concourt au primat d’une considération de l’acte délictuel sur la person- nalité du mineur impliqué ; dit autrement, primat de la sanction pénale répressive, voire disci- plinaire, sur le caractère éducatif de son aménagement, ou encore, primat des devoirs sur les droits. Autant d’écarts creusés face à ce qui faisait la philosophie des mesures d’après-guerre, attentives au relèvement de l’enfant, qui se manifestent dans le temps – temporalité psychique, temporalité judiciaire – et dans l’espace – milieu ouvert, fermé. Autant de risques qu’à terme, la justice que l’on faisait intervenir dans le couple agresseur-victime, perde de son équivocité pour faire l’apanage subtil d’une vengeance sociale plus attentive à la création d’Etablissements Péni- tentiaire pour Mineurs qu’à celle de structures d’accueil ou de placement. En effet, si l’ordonnance initiale justifiait sa rédaction de l’avancée des sciences pénitentiaire, psychologi- que et pédagogique4, il serait aisé de penser que celle-ci soit la réponse faite à ce que d’autres

qualifieraient de malaise social : l’insécurité. Pour L. Mucchielli,

« Tout se passe comme si la fonction de la loi était désormais moins réformatrice que symbolique ou « déclarative ». Tout se passe comme si, paradoxalement, la lutte contre l’ « insécurité » devenait moins un problème qu’une solution pour les pouvoirs publics : le moyen d’afficher leur détermination et de montrer qu’ils agissent »5.

1Idem.

2Ibid., prononcée en date du 03 décembre 2008.

3Lazerges, C., Balduyck, J.-P., (1998), Réponses à la délinquance des mineurs, Mission interministérielle sur la préven-

tion et le traitement de la délinquance des mineurs, Rapport au premier ministre, Paris, La documentation française ; Aubusson de Cavarlay, B., (1999), « France 1998 : la justice des mineurs bousculée », in Criminologie, 32, 2, pp.83-99 ; Bailleau, F., Cartuyvels, Y., (2002), Introduction, in Déviance et société, 3, 26, pp.279-282.

4 Exposé des motifs de l’ordonnance de 1945.

5Mucchielli, L., Introduction, in Mucchielli, L., (Dir.), (2008), La frénésie sécuritaire, retour à l’ordre et nouveau contrôle

L’insécurité a animé promesses présidentielles et réformes hâtives, dans une progression où la révision de l’ordonnance n’est qu’un point à articuler à d’autres. En effet, le 10 Août 2007 a été promulguée la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, prévoyant une peine minimale dès la première récidive. Faisant suite à un rapport d’information déposé en 2004 sur le traitement de la récidive des infractions pénales auprès de l’Assemblée Nationale, cette loise présente comme venant palier à une « réalité insuffisamment prise en compte par la chaîne pénale »1.Elle témoigne d’un engagement ferme dans ladite « lutte contre l’insécurité »

jusqu’alors mise en défaut par une justice qualifiée d’ « aveugle », « qui tourne à vide » et « mé- sestim[e] la dangerosité »2 mais dont on attend pourtant qu’elle soit le bras séculier de la ré-

pression. S’inaugure là une « nouvelle » croisade qui se poursuivra quelques mois plus tard avec la loi sur la rétention de sûreté.

Moins d’une semaine plus tard, la loi est appliquée à l’encontre de deux hommes connus pour vol, condamnés à trois ans de détention pour une peine maximale encourue de sept ans. Dès le mois d’octobre est transmise la première convocation auprès de la Direction Ministérielle des Services Judiciaires, à l’attention d’un vice procureur qui avait « seulement » requis une peine à hauteur d’un quart de celle prévue par la récente loi. Quid de l’indépendance des magistrats et de l’exercice des conseils ? Ce sont là les promesses respectées d’un programme qui s’est voulu tranché et radicalement réformiste en matière de sécurité intérieure, un programme où la contention retrouve son privilège d’antan en se voyant adjoindre une dimension éducative que tous les professionnels cherchent à maintenir. J. Danet le souligne, après la prison, l’éducation, est venu le temps de l’éducation en prison3.

Ainsi, la loi contre la récidive vient étendre en deçà de l’infraction criminelle, dès le premier acte de récidive et dans des conditions plus répressives, une obligation minimale de peine carcérale qui était jusqu’alors seulement appliquée en cas de culpabilité criminelle avérée. Or, par

1Rapport d’information sur le traitement de la récidive des infractions pénales par la commission des lois constitu-

tionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 4 mars 2004. Déposée à l’Assemblée Nationale le 7 juillet 2004, présidée M. P. Clément et rapportée par M. G. Léonard. Document téléchargeable en ligne sur : http://www.ladocumentationfrancaise.fr /rapports-publics/044000402/index.shtml

2 Idem.

3Reprenant l’histoire de la pénalité au travers de la notion de risque, J. Danet retient successivement, dans une évolu-

tion croissante des mesures, la sanction sans la punition ; la punition et/ou la sanction ; la punition et le traite- ment/soin ; la punition, le soin et la surveillance ; et enfin, la punition, le traitement et le maintien en enfermement (Cinq ans de frénésie pénale, in L. Mucchielli, (Dir.), (2008), Frénésie sécuritaire, retour à l’ordre et nouveau contrôle social, op.cit., pp.19-29). Ces graduations correspondent toutes à des modes de prises en charge et par là même, à des institutions ou structures référentes. Les deux principales attentes formulées à ce panel, nous semble-t-il : saisir dans sa totalité le phénomène infractionnel et le neutraliser. Or, bien que prescrivant une circonscription quasi-totale de l’auteur alors « empoulpé », cette collection en est-elle plus pertinente ? Là encore, c’est au niveau intra et interinstitu- tionnel que les choses se jouent.

l’élargissement de ce fait de droit, c’est le principe plus général de l’individualisation de la peine, quels que soient son régime et sa motivation, qui est mis à mal, et plus avant, la philosophie juri- dique dont il est issu. Alors qu’en 1764, C. Beccaria exposait toute l’importance de motiver l’emprisonnement1, d’ailleurs affirmée dans le Nouveau Code Pénal de 1994, il faut désormais au

juge défendre la décision d’un maintien en liberté2. Une philosophie juridique donc, mais égale-

ment par voies de conséquences, une philosophie touchant aux fondements anthropologiques et éthiques d’une clinique dont le Droit cherche de plus en plus à se saisir.

En effet, le nouveau texte instaurant le système des peines minimales prévoit notamment, au titre des dérogations possibles, la prise en compte des circonstances de l’infraction et de la per- sonnalité de l’auteur. Personnalité qui pourra, d’une part, amener le juge à passer outre la peine minimale en matière de sanction de majeurs, et d’autre part, à passer outre l’excuse de minorité en matière de sanction de mineurs. C’est là toute l’implication de la démarche expertale qui se trouve prise d’emblée – et particulièrement en correctionnel – dans des enjeux politico- judiciaires, alimentant un peu plus encore le débat fait autour du pronostic.

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