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1.2 à la (re)mise en jeu de codes.

2.2. L’exception fondatrice de l’ensemble.

2.2.3. Nouvelle question d’origine.

L’intérêt de ces derniers développements : nous permettre d’envisager plus avant, que le pou- voir puisse s’exercer avec – et non « sur » – comme l’a montré M. Foucault. Aussi, si nous repre- nons la question fraternelle qui émergeait, l’on peut se demander en quoi la fabrication du frère impliquerait nécessairement une indifférenciation et au-delà, un ancêtre commun. R. Girard est clair à ce propos : la perte des différences n’a rien d’une fraternisation1. Plus avant, la violence

fraternelle elle-même, fondatrice, infirme l’idée selon laquelle le père est la condition d’existence du frère. Derrière ces questions, c’est bien encore celle de l’origine qui se pose, et dont l’épistémologie de G. Le Gaufey nous laisse envisager la possible révocation.

Au départ donc, la conception freudienne, celle qui permet de penser la déformation de ce qui est figure, notamment dans la répétition, celle qui implique a priori et de fait, une origine, ou plutôt l’origine à perpétuer. C’est alors l’hypothèse de la trace qui émerge, trace d’une antériori- té. Or, pour l’auteur, c’est dans une dimension d’articulation logique et non temporelle qu’il convient de la saisir. L’antériorité devient « un réquisit »,un nécessaire qui laisse dans cette pro- gression une place vide et autorise ce qu’il nomme la « procession des pères » 2.Le rapport ainsi

introduit est important. G. Le Gaufey écrit « le chef de la horde n’est pas un père »3, ce n’est que

dans la valeur qu’il prend, via la mise en lien, qu’il existe et tient en tant que tel. Et d’ajouter, « la paternité est le lien »4. Si un il y a, ce n’est que dans le rapport de deux différenciés. Le un est ce-

lui qui n’a de visibilité qu’à se lier à l’autre dont il n’est plus obligatoirement le fils. C’est ce que l’on pourrait nommer le complexe de la fourchette5. La figure de l’Un Père comme paradigme

exclusif vacille.

Dès lors, ce n’est plus d’originaire, de point zéro, dont il serait question – nous n’y avons pas ac- cès – mais de primaire. L’on glisse d’un commencement princeps inobservable à ce qui est pre- mier d’un ensemble, à ce qui est placé au début d’une série, ce qui inaugure… par rapport à… et qui là, peut s’observer.Et c’est à l’issue de ces développements, la conclusion tirée par l’auteur,

trait : s’il en est un qui manque, pourquoi ne manquerais-je pas à mon tour ? La déduction « si tous l’ont, je l’ai aussi de droit » (L’éviction de l’origine, Paris, EPEL, 1994, p.166) n’est plus si certaine. L’unité, confortable comme il la qualifie, se voit contrariée de même que l’indifférenciation du « quelconque ».

1 R. Girard, La violence et le sacré, op.cit., p.166.

2 Le Gaufey, G., (1994), L’éviction de l’origine, Paris, EPEL, p.101. 3 Idem.

4 Ibid., p.102.

5Démonstration faite de G. Le Gaufey (Le lasso spéculaire, op.cit., p.257) corrélative de l’idée selon laquelle « une rela-

tion n’est ni du un, ni du deux, c’est du un… incomplet, du un avec au moins un trou » (L’éviction de l’origine, op.cit., p.205).

selon laquelle le père serait non plus un donné, mais un construit1 ; le résultat d’une élection de

signifiants, matrices en quelque sorte, avec les dimensions de choix et d’assignations que cela suppose de la part d’un sujet ainsi fait sujet.

L’idée même du rapport fait preuve de son intérêt via la valeur et le sens que ce dernier accorde à son objet référentiel. La relativité prend ici son assise structurelle,

« Le sujet (…) ne procède pas de lui-même, ni d’un sujet encore plus sujet : un père. (…) Il est devenu l’index permanent du renvoi à … »2 et pouvons-nous le penser, réciproque-

ment.

C’est le concept majeur de relation, comme scène de jeu autorisé qu’il convient alors d’investiguer pour saisir différemment le lien social ; la relation d’un sujet à son point de régula- tion,le rapport du désir à ce qui le balise singulièrement,soit, autrement que dans la norme. En effet, s’il y en a plusieurs, c’est qu’il n’y en a pas Un qui soit, seulement des fictions dessinant autant de topos possibles sur une géographie subjective. Nous retrouverions là l’affrontement des dialectiques permis-pas permis (social) / possible-pas possible (subjectif) auxquelles confronte le processus du pubertaire notamment3. Et n’est-ce pas cette géographie que nous

pourrions deviner derrière le collectif des dits « émeutiers », sans unité préalable, si ce n’est so- ciologique, sans leader reconnu ou incarné ; mobilisés selon des motivations parfois singulières et pourtant tous dans une même action ? Le mythe chute et le tiers référentiel, traditionnel, avec, pour en permettre l’élaboration autre part, sur une autre mode… ces groupes, sans leader, tien-

1Ibid., p.167. 2 Ibid., p.196.

3 Cette dialectique, S. Lesourd a pu l’expliciter dans plusieurs de ses textes (Notamment, Les désarrimés de la loi, in J.-

J. Rassial, Y a-t-il une psychopathologie des banlieues ?, op.cit., pp.33-41 ; La violence du groupe est-elle évitable, in Gaillard, B. et coll., (2005). Les violences en milieu scolaire et éducatif. Connaître, prévenir, intervenir, Rennes, PUR, pp.85-94). Elle suppose l’appui des processus d’envie et de jalousie qu’il a pu repérer suite aux travaux de D. Lachaud. Et serait, selon l’auteur, à l’œuvre dans les conduites délinquantes, avec cette distinction faite entre une délinquance ayant pour objet la démonstration d’une certaine puissance face à laquelle le rappel à la loi resterait efficace, et une délinquance qui cette fois-ci y résisterait, celle qui s’attaque à l’autre, celui qui regarde et face auquel le sujet refuse de se soustraire. Une distinction donc pouvant correspondre à cette dialectique. Dans le premier cas, il ne serait question que de jalousie, celle-là même qui se fonde sur ce que J. Lacan a appelé le « sentiment de l’autre » dans le cadre du complexe d’intrusion, et que l’on retrouve également à l’âge adulte. Dans le second, d’une envie excluant le sujet de la scène, impliquant sa disparition subjective dans le rapport à l’autre semblable qui prend la place de son aîné, à l’image du passage à l’acte en quelque sorte. Nous voyons bien là la dissymétrie de la relation et les enjeux auxquels elle donne lieu sous couvert d’une part de dépossession, d’autre part, d’exclusion. Poursuivant ses travaux, et traitant du phénomène de violence en groupe, S. Lesourd a pu mettre en avant quelques années plus tard un système référentiel différencié qui n’est pas sans nous permettre d’articuler cette dialectique à la question de la mise en acte infraction- nelle (). Passer de la jalousie à l’envie serait glisser d’un contrôle social fonctionnant sur le « permis-interdit », c’est-à- dire la transgression et le rapport à la loi du Père, à un contrôle social fondé sur le « possible-pas possible » au-delà de ce qui fait autorité. Dernier discours que promeut paradoxalement de plus en plus celui du social malgré les réponses sécuritaires qu’il apporte, et par lequel le sujet ne se sent plus confronté à de l’interdit mais à de l’impuissance, celle d’être celui qu’on n’est pas. Et aussi, confronté à la charge de s’inscrire dans la survivance subjective, au risque de disparaître psychiquement. Au fond, nous pouvons penser les formes de violences contemporaines, notamment à l’adolescence, non plus comme une transgression des interdits, mais comme une tentative de sortie active d’un senti- ment d’impuissance face au discours du libre arbitre qui recherche l’attestation, la preuve, la trace, la démonstration.

dront des semaines durant, lors des évènements de 2005.Après la disparition du père, place au pacte fondateur, et la clinique de l’adolescence, d’en montrer, nous le verrons, toute la prégnance actuelle.

Voilà là une question qu’il nous fallait dans un premier temps soulever. Quoiqu’il en soit, et c’est là l’intérêt de la confrontation de nos lectures, si pour les auteurs de tradition freudienne, c’est au référent symbolique, paternel, qu’incombe cette place d’exception, fondatrice du registre si- gnifiant, pour G. Le Gaufey, il n’existe pas un signifiant qui soit plus primordial qu’un autre… Le signifiant paternel est un signifiant parmi d’autres ; et le symbolique, d’être le registre qui per- met de penser l’unité du groupe et celle de chacun de ses membres, contre l’imaginaire de la totalité. Le groupe peut ainsi se penser hors transcendance, autrement que par l’exception qui vient fonder la règle ou que par la négative qui le caractérisait jusqu’alors eu égard au premier groupe constitué. C’est en quelque sorte la femme en soi et non celle différente de l’homme, celle qui ne possède pas, celle qui est moins que.J. Lacan l’enseignait,

L

femme n’existe pas, il en est une puis une puis une… . Chacune constitue une exception à elle seule.

L’Un – paternel – ne serait donc plus le seul à pouvoir fonder puis sceller l’ensemble. La figure faisant référence pour le sujet en construction ne serait plus nécessairement celle qui, le précé- dant, le transcendant, l’aurait créé ou l’aurait fait advenir à l’origine.

Serions-nous des « non-dupes » errants à vouloir déplacer notre regard, à discuter l’exclusivité d’une inscription subjective dans la lignée verticale imposée par le Nom paternel ? Pour C. Moz- zone, il ne s’agit que d’ « artéfact », et l’auteur d’en suggérer la perte comme bon usage1. Une fois

de plus, ce n’est pas notre propos que de nier l’existence de cette verticalité, seulement d’avancer que l’on ne saurait la convoquer comme modèle explicatif systématique. Fonctionnelle chez certains adolescents, le processus métaphorique ne l’est pas chez tous ; et J. Lacan de souli- gner dans ses deniers séminaires, tout le rôle de nouage attribué aux Noms-du-père.

Selon A. Zenoni,

« Il ne s’agit plus d’une fondation du symbolique par le symbolique, qui s’avère impossi- ble, mais d’une « fondation » pour ainsi dire sans fondement, puisqu’elle est plutôt de l’ordre de la déclaration, de l’inauguration, du choix, que de l’ordre de la démonstration. Le père se déplace de sa valeur d’universel, de sa confusion avec la loi, vers ce qui, dans la loi, n’est pas dicté par la loi ».

L’auteur poursuit,

« Le lieu de l’Autre ne se présente plus alors comme étant simplement le siège du code, mais comme le lieu où du nouveau, du non-codifié, de l’original peuvent être admis en modifiant du même coup le code lui-même »1.

Une place supplémentaire ainsi donnée à l’hypothèse d’un champ de l’immanence où se fonde- rait une loi du sujet au côté d’une autre, puis d’une autre, puis d’une autre… auxquelles il peut résister successivement. A chacun son nœud, pourrait-on dire.

S’intéresser à ce qui va venir faire référence pour un sujet ou un groupe de sujet, institué ou non, c’est repérer en partie ce qui se constituera comme dimension axiomatique, intrinsèque, des rapports entretenus entre eux et face aux autres. Il n’est dès lors plus question d’origine mais de légitimité : aunom de quoi… le registre change. Comme le précise P.L. Assoun,

« La mort de l’Urvater (le père originaire) ouvre la voie du passage de la « psychologie des masses » à la « psychologie de l’individu » »2.

L’accent se déplace, depuis ce qui faisait tenir une âme collective jusqu’à ce qui se pose comme idéal pour chacun dans le rapport à l’autre, un idéal choisi comme symptôme d’un mythe indivi- duel.

C’est là l’hypothèse que nous posons, nous permettant d’envisager qu’il peut y avoir du lien so- cial autrement ; que le père, en tant qu’il donne la raison sociale, peut ne pas être nécessaire pour distinguer le sujet du groupe, pour créer du 1+1+1+1… dans une parité différenciée, ou dans ce que F. Noudelmann pourrait qualifier d’ « imaginaire non analogique »3. La clinique en

témoigne, il n’est plus le seul à produire de la différence. Celle-ci tient aussi, et surtout, d’une dynamique affective emprunte d’investissements propres.

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