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1.2 à la (re)mise en jeu de codes.

2.1. Pour un retour de la horde ?

2.1.2. La horde ou la question du père tué avant tout.

On le voit, si la différence entre horde et communauté reste peu développée dans les premiers textes, l’on peut néanmoins en retenir l’entremise d’un jeu à confronter aux théories récentes qui privilégient l’axe oedipien. Partant de l’idée d’une crise du lien social, la majorité des écrits publiés sur la question des banlieues et des violences en groupe qui leur sont fréquemment as- sociées mettent en avant, comme le résume J.-J. Rassial, la détérioration des liens familiaux, l’absence de réparation sociale, la démission parentale et à travers elle, la fameuse défaillance de la fonction paternelle ; « avatars donc des noms-du-père » 1 face à un discours qui ne permet pas

l’émergence de nouvelles métaphores.

Forte de cette opportunité, la communauté de frères y retrouve alors toute sa place. Une com- munauté valorisée contre le père (étatique) qui la renie. Une communauté « ethnique »2 – si

nous reprenons les mots de l’auteur – puisque « banlieusarde », qui se doit de convoquer l’Autre social pour lui rappeler sa mission. Et pour se faire, le groupe d’être à lui-même son moyen de reconnaissance quand autour, la réciprocité ne tient plus. Il viendrait occuper cette place laissée vide pour contenir et étayer, contraindre et autoriser, selon ce qui fait loi propre ; ce, dans la révolte contre un père (Etatique) qui l’assigne à un non-lieu sur la scène sociale.

La remise en cause des lois la régissant devient alors dans la littérature, le cheval de bataille d’une quête des limites à laquelle peuvent répondre les pairs, qualifiés de « tribal(s) » par J.J Rassial3, et qui ordonnent, obligent, alors même que le social auquel ils se confrontent pose tran-

sitoirement l’impasse du lien. Comme l’écrit l’auteur, « le sujet cherche dans le groupe de sa gé- nération, le groupe de « frères », un statut social que ne lui procure pas la société »4.

1 J.-J. Rassial, Y a-t-il une psychopathologie des banlieues ?, op.cit., p.12. 2 Ibid., p.13.

3 J.-J. Rassial, L’adolescent et le psychanalyste, op.cit., p.64. 4 Ibid., p.95.

La mise en acte ainsi contextualisée pointerait le refus du sujet, investi dans une autre groupali- té, d’être assimilé à la place de rejeton inutile, symbolisé par le fils de la horde; groupalité qui instaure le vécu d’un arrimage pseudo-généalogique venant parer plus ou moins efficacement à la mise à l’écart inaugurée.

Or, du fait de cette pseudo-généalogie, l’on négligera d’envisager l’investissement d’une dynami- que avant tout générationnelle, résultant non pas d’une négation de la filiation première mais peut-être davantage, d’un vécu d’illégitimité, plus avant chez certains, de délocation. Il importe donc de prêter une attention particulière à la constitution du frater, son émergence – à travers la destruction1 – et sa permanence – lorsque la rivalité se fait menaçante pour le sujet. Comme l’a

montré S. Freud2 en travaillant sur la horde et le meurtre du père, la rivalité apparaît comme un

élément majeur de la relation fraternelle. A travers elle se forme la communauté et s’instaure le lien social, sous couvert d’un pacte auquel elle a donné naissance.

Si ce pacte ne vient a priori que parer à la rivalité dangereuse, il n’en demeure pas moins qu’il pose les conditions mêmes de la relation avec « celui qui fait envie et qui provoque la haine ja- louse », quel qu’il soit3 ; et en détermine l’organisation. Aussi, l’hypothèse serait à vérifier d’un

mode de résistance différent, en convoquant notamment la menace intrusive, la « frérocité »4,

celle qui peut trouver à s’actualiser dans l’échange via la pulsion cannibalique, et non plus dans l’inceste. Un mode de résistance aménagé en mesure d’instaurer ailleurs que dans la filiation, et autrement, du frater.

Et si là où les frères de la communauté éprouvaient une culpabilité, les adolescents d’aujourd’hui affirmaient une responsabilité ? Comme le rappelle A. Abelhauser, il ne saurait y avoir de culpa- bilité sans loi, pas plus qu’il ne saurait y avoir de loi, tant que l’ordre social serait le fait du désir d’Un seul dominant5. Avec les adolescents, nous nous confrontons à une relation fraternelle qui,

loin de s’établir de fait, se construit.C’est ce que nous pourrions qualifier de fraternalité en nous saisissant du vocable de D. Marcelli6, une manière de se donner du frère via des pratiques sub-

jectives et normatives, contre toute réalité phénoménale. Rappelant les élaborations de Hegel

1 Ce serait dans la destruction que se fabrique du frère, ou pseudo-frère ; une émergence corrélative d’une disparition

du voisin, à savoir celui qui possède telle ou telle chose, et qui, plus que le radicalement Autre, représente l’impair – du latin imparis qui signifie dissemblable.

2 S. Freud, Totem et Tabou, op.cit.

3 Chatel, M. M., (1990), Pour introduire à la frérocité, in Revue de psychanalyse Littoral, 30, pp.7-10. 4 Cf. Revue de psychanalyse Littoral, La frérocité, 30, 1990.

5 Abelhauser, A., (1999), Pourquoi ai-je mangé papa ? in L.-M. Villerbu, Viaux, J.-L., (1999), Expertise psychologique,

psychopathologie et méthodologie, Paris, l’harmattan, pp.159-167.

6Marcelli, D. (1993), Œdipe fils unique ou le lien fraternel comme tâche aveugle de la théorie, in Adolescences, II, 2,

et Nietzsche, J. Butler nous rappelle que le sujet se contre-carre lui-même, il « accomplit son propre assujettissement, désire et fabrique ses propres entraves »1. Ce serait là toute la mise en

place d’un idéal régulateur venu se substituer à ce « Un seul », déterminant dans la place accor- dée à l’autre, et face auquel les adolescents seraient en mesure de répondre de.

Les jeux d’intrusions et les risques de fusion marquent le processus d’identification et d’individuation par rapport à cet autre de la génération, autre du domestique, du quotidien, avec qui le sujet doit faire, dans une évolution qui n’est pas tracée d’avance. Au totem originaire, à l’ancêtre, se substitue le pacte. Un pacte dont ils se réclament, face auquel ils se sentent plus res- ponsables que coupables ; un pacte conférant à la relation, droits et interdits, devoirs parfois, mais n’étant jamais référés à la loi du judiciaire. En cela, la situation qui se présente n’est pas sans nous laisser envisager un mode d’appréhension autre que celui auquel nous conduit le my- the freudien, à savoir, un mode d’appréhension essentiellement généalogique, qui nous contraint toujours en pensée, au clivage autorité/parité. Concevoir autrement ce qui fonde le groupe, et à travers lui, le lien social orientera la suite du travail.

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