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humaine, op.cit., p.104).

3.1. Violence et destruction en jeu : au risque d’une frérocité.

3.1.2. Une configuration narcissique du face à face.

Et de poursuivre nos interrogations : est-ce là, dans le manque morbide, le seul reste possible pour la post-modernité décriée actuellement ?Le discours des adolescents ne laisse-t-il pas en- trevoir autre chose que l’absence pure et simple de ce qui pourrait faire loi pour eux et qui les soumettrait désormais à la rivalité permanente ? Rien ne semble moins sûr.Qu’il soit question de défense contre la détresse, comme l’avance J. Birman, l’on ne peut le rejeter systématique- ment, mais il conviendrait de situer celle-ci par rapport à un processus autre que celui d’une perte que l’on traînerait derrière soi, d’époque en époque… de génération en génération.Comme l’écrit l’auteur, « [ce ne serait pas] là la seule forme d’existence possible du lien fraternel, car celui-ci pourrait être suscité autrement par le sujet »3, un sujet non plus soumis ou assujetti au

(seul) père, mais à l’autre de la relation, à l’autre de la réciprocité et de la mutualité, et qu’il convoque en ce contexte ; ce que nous enseignent L. Althusser, M. Foucault, et J. Butler, notam- ment.

1 Marty, F., (2000), Le meurtre du double. Fonction mythique du fratricide, in Dialogue, 3, 149, pp.11-18. 2 Ibid., p.17.

L’horizontalité, et c’est l’hypothèse que nous cherchons à asseoir, n’aurait pas besoin d’une auto- rité supérieure – postée en haut pourrions-nous dire – pour se maintenir, seulement d’une légi- timité, qu’elle soit incarnée ou non. Pourquoi l’objet qui suscite l’envie serait-il donné dès le dé- part comme transcendant la relation ? Jalousie et envie ne trouveraient-elles pas au sein d’une co-présence et d’une seule génération, leur objet ? La manière avec laquelle M. Zafiropoulos pose la complexité du passage identificatoire du frère au père1 met bien en évidence qu’il existe là

deux processus distincts, même s’ils ne sont pas sans liens dans la continuité qu’ils supposent. Non qu’il convienne d’assimiler les adolescents aux prises avec leur groupe de pairs à des psy- chopathes, suivant les observations faites par J. Lacan en 1938 ; leur rapport à la loi le conteste. Mais c’est là la mise en relief de deux systèmes propres et la possibilité de faire fonctionner la dynamique fraternelle en dehors ou à côté d’une référence paternelle, théoriquement attendue comme gage d’une évolution « salutaire ». La dimension de l’Unien à l’image de celle que nous reprenions en lisant G. Le Gaufey, loin d’illustrer la psychopathie, soulignait avant tout les impli- cations que cela pouvait avoir en terme de « mutualité ».

Si nous prenons le temps de suspendre notre analyse en nous arrêtant sur cette identification mimétique, mentionnée par J. Lacan et objet des élaborations les plus reconnues de R. Girard, nous nous verrons interpellés par les enjeux de relations fraternelles qui se veulent à la fois por- teuses de semblance et de différence. L’identification mimétique apparaît comme une figure possible, objective ou du moins observable, du rapport engagé entre pairs.Au sein du groupe, C. Néri pense la mimésis dans la tradition platonicienne, à savoir, dans le rapport entretenu entre idées et choses sensibles2. Il s’agit d’un rapport qu’il juge actif, où, plus que de représenter, il est

question de rendre présent et d’actualiser in situ, sur la base d’une constellation émotionnelle fantasmatique a priori informe ; mais une constellation qui va trouver à se préciser au gré du tissage des relations. A mesure, quelque chose émerge de l’ordre d’une définition groupale, un point d’identification à partir duquel chaque membre va pouvoir se positionner, reflétant ce qu’il aura pu percevoir de l’autre.

Alors, si certains peuvent adopter, selon l’auteur, une position de recul3, jalousie et rivalité peu-

vent se manifester ; ce, sur un axe caractéristique d’horizontalité. Le désir engagé induit l’interchangeabilité des éléments qui se confrontent et les amène à être le double l’un de l’autre. Le désir mimétique, résultat de conjonctions et de convergences fait ainsi de la scène collective,

1 M. Zafiropoulos, Lacan et les sciences sociales, op.cit., p.137.

2 Néri, C., (1997), Le groupe, Manuel de psychanalyse du groupe, Paris, Dunod, p.89. 3 Ibid., p.93.

groupale, le lieu d’émergence d’une violence qui trouvera à s’exercer sur la victime émissaire 1

pour voir se rétablir l’ordre social mis à mal par l’approche de l’indifférenciation et le refus d’une réciprocité dans l’échange.

Lorsque R. Girard évoque cette réciprocité, c’est pour dire que d’elle naît de la rivalité, effet d’une violence interindividuelle, et ce, même lorsqu’elle trouve à se détourner sur du tous contre un. Par ce mouvement du désir, le rival apparaît comme le modèle du sujet au sein de la relation, un modèle et donc, une figure d’identification. C’est là, le phénomène de la mimesis, celle qui se risque à l’obstacle, au conflit, à la destruction du trop semblable, du même. Et là également, toute l’illustration faite par les frères ennemis qui tentent de résister à l’indifférence, au « double monstrueux »2 que convoque l’auteur ; des frères dans la destruction.

Le lieu du fraternel est paradigmatique du conflit que la symétrie engage. A mesure que la diffé- rence s’efface, la violence se fait jour, ne laissant parfois qu’une alternative : moi ou l’autre. Et ce, d’autant plus lorsque rien ne satisfait plus au principe de régulation et qu’il n’y a aucun contrat. Nous le voyons avec Freud, à la mort du père : les fils deviennent frères en risque d’inimitié quand il ne reste plus de différence, jusqu’à la mise en place du totem où il s’agit pour eux de se donner un principe régulateur. Pour R. Girard,

« C’est la symétrie conflictuelle qui définit le rapport fraternel, et cette symétrie n’est même plus limitée ici à un petit nombre de héros tragiques ; elle perd tout caractère anecdotique ; c’est la communauté elle-même qui passe au premier plan »3.

Et l’auteur d’expliquer par effet de suite, le parricide comme

« L’instauration de la réciprocité violenteentre le père et le fils, la réduction du rapport paternel à la « fraternité » conflictuelle »4.

Alors, en deçà d’une chute de la transcendance, l’on voit que la perte d’un point de régulation conduit à l’affront réciproque d’une horizontalité à peine différenciée.

Si en psychologie, la différence de génération se pose comme fondamentale au côté de celle du genre, il convient de prendre acte de cela dans l’observation des groupes de pairs que l’on ren- contre actuellement, et de nous intéresser aux modes de gestion et de régulation des identifica- tions en place, sachantque ceux-ci répondent au contenu que le sujet donne au pair, et que nous

1 R. Girard, La violence et le sacré, op.cit. 2 Idem.

3 Ibid., p.102. 4 Ibid., p.114.

cherchons à définir. Qu’en est-il lorsque les identifications se manifestent sur le versant d’un excès de réciprocité et d’une carence de mutualité ? Ou sur celui d’une carence de réciprocité et d’un excès de mutualité ? Qu’advient-il de la parité, a fortiori, de l’autre fraternel ?

Lorsque B. Viard1 définit la fraternité comme une égalité de deux libertés, ce n’est là que la mani-

festation homéostatique de la relation engagée, en quelque sorte a-conflictuelle. Elle suppose la mise en place d’aménagements défensifs face à la différenciation radicale ou l’indifférenciation. L’imaginaire est le premier espace où se trament les rapports de réciprocité, mais il est aussi et avant cela, l’espace aux prises avec une mutualité excessive favorisant l’abolition de quelques remparts à l’individuation : être sur le même bateau au point de porter sur soi ce qui incombe à l’autre, au point de faire vaciller les frontières, au point de penser que l’autre n’est pas différent de soi, ou plutôt, qu’il n’est pas un autre que soi mais le reflet du miroir.Et c’est là, soutenue par une réciprocité pervertie, l’identification au risque de la fusion, qui appelle un point de régula- tion, tiers – non nécessairement exclus2 – en mesure de garantir une semblance, entre différence

radicale et identité menaçante : se donner du frère sans risquer de se perdre soi-même.

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