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humaine, op.cit., p.104).

3.1. Violence et destruction en jeu : au risque d’une frérocité.

3.1.1. Un détour par les trois complexes.

Nos lectures nous permettent d’envisager un mode d’entrée possible par la dynamique du com- plexe convoqué autour du lien fraternel. Les inspirations freudiennes empruntes des probléma- tiques oedipiennes le soulignent : complexe d’Oedipe et complexe fraternel ne sont pas sans en- tretenir un rapport d’actualisation réciproque. D’où vient cet intrus qui, par ailleurs me fait concurrence ? A la question de l’origine vient s’adjoindre celle de l’alliance possible et de la des- truction dont elle menace. On ne se détruit jamais mieux qu’entre soi, c’est le risque du trop pro- che. Mais parallèlement, c’est bien dans cette destruction que peut s’engager la fabrication du frère et s’aborder à terme la disparition de celui qui n’était « qu’un » voisin.Les émeutes dans la ville semblent l’exprimer ainsi. Si donc c’est autour de l’échange et de ce qui le vectorise que cela se parle, il n’en demeure pas moins que s’observe là tout un processus dynamique et un enjeu subjectif. Le frère constitue la figure de rivalité par excellence, il est l’autre visage de la haine ;

sa thèse, elle reprend les conceptions philosophiques du 18ème siècle et de la première moitié du 19ème siècle pour poser le sujet comme acteur de son propre assujettissement, à l’origine de ses propres entraves, contre le désir qui l’anime (La vie psychique du pouvoir (2002), Paris, Léo Scheer, p.52.). Quand bien même nous évoquons le problème autrement que sous l’unique implication d’une référence paternelle, l’hypothèse d’un idéal régulateur, que mettait en avant M. Foucault s’impose à nouveau. Ce même idéal que nous supposons à travers les prémisses d’une clinique, et qui vient structurer au moins un temps une dynamique subjective, entre ce que le sujet se donne comme possible ou impossible, entre ce qu’il s’autorise ou s’interdit, tant au sein du groupe qu’en dehors. C’est là l’idéal comme produc- teur, au-delà ou aux côtés du désir, comme norme éthique qui subordonne, et qui organise le rapport du sujet à l’autre pair, tantôt camarade, tantôt ami, tantôt frère de cœur ou partenaires d’ « affaires », que ce soit dans l’adhésion ou la résistance.

1 Birman, J., Fraternité, Destins et impasses de la figure du père dans l’actualité, in Lévy, P., (Dir.), (2003), Le lien fra-

alors, quand ce rapport est déconnecté du lien social, quand le tiers disparaît, c’est la destruc- tion. En ces conditions, comment faire de l’autre le frère qui ne se consomme pas ?

Comme l’écrit M. Zafiropoulos, « les ressorts de la formation des familles sont nombreux »1.

Toute relation apparaît être le résultat de négociations engagées dans une réalité sociale, parta- gée au titre des représentations diverses et variées du contemporain. Pourquoi alors assimiler comme improbable l’indépendance de cet investissement, dans une certaine mesure au moins, par rapport à ce qui en serait le fondement au sein de la génération passée ? Pourquoilui attri- buer systématiquement le reflet d’un aménagement défensif face à la haine éprouvée en direc- tion d’un premier objet d’amour2 ?Comme le rappelle A. Aubert-Godard3, J. Lacan a pu proposer

un complexe fraternel distinct du complexe d’oedipe auquel il ne saurait se résumer, puisque supposant en amont sevrage et intrusion. Tel que repris, le complexe d’oedipe nous apparaît être un point tout à fait particulier pour penser l’évolution retracée d’une dynamique intersub- jective, a priori bio-familiale mais pas seulement.

En 1938, J. Lacan publie pour l’Encyclopédie Française Les complexes familiaux dans la formation de l’individu. Essai d’analyse d’une fonction en psychologie. Sous certains de ses aspects, ce texte nous semble 70 ansplus tard d’une portée heuristique des plus saillantes, notamment dans ce qu’il nous autorise à appréhender de la clinique d’aujourd’hui, à travers la notion de complexe. J. Lacan y définit le complexe comme l’un des objets primordiaux de la recherche psychologique sur la famille, une famille elle-même « objet et circonstance psychique »4. Emprunt de facteurs

culturels, il joue le rôle d’organisateur dans le développement psychique, puisque, entre autre, porteur d’imago confrontés à une réalité perçue, vécue, et crue. Plusieurs complexes vont se succéder dans le développement du sujet eu égard dans un premier temps, à la sphère familiale, mais qui auront leurs répercussions par la suite dans la sphère sociale : le complexe de sevrage, le complexe de l’intrusion et le complexe d’oedipe, les uns n’étant pas indépendants des autres

1M. Zafiropoulos, Lacan et les sciences sociales, op.cit., p.225. A noter également que si pour J. Lacan, les composants

normaux observés dans la famille occidentale correspondent à ceux de la famille biologique, il ne s’agit là que d’une égalité numérique. Il introduisait alors la possibilité de concevoir la famille autrement que par le sang et sous d’autres formes, desquelles pourraient être dégagées des dynamiques ou des configurations différentes. La famille ne prescri- rait plus d’un type unique de parenté. Et d’ajouter que « la parenté n’est reconnue que par le moyen de rites qui légi- timent les liens du sang et au besoin en créent de fictifs : faits du totémisme, adoption, constitution artificielle d’un groupement agnatique » (Les Complexe familiaux dans la formation de l’individu, op.cit., p.26). L’on comprend alors en quoi, par cet élargissement du champ qui instaure l’assise politique comme fondement de la notion de famille, les complexes qui s’y jouent seraient avant tout du ressort de la culture. La culture tiendrait une part non négligeable dans l’organisation du développement psychique, et à travers elle, les idéaux.

2 Brusset, B., (1981), Le transfert fraternel dans les groupe thérapeutique, in Bulletin de psychologie, 37, 363, 1983,

pp.121-129. Pour l’auteur, une question se pose aux vues de la clinique des groupes, à savoir si frères et sœurs ne pourraient être, aux côtés des figures parentales, des objets d’investissements primaires à part entière.

3 Aubert-Godard, A., Mon frère, intrus, compagnon de toujours, autre moi ? Du lien fraternel génétique comme révéla-

teur d’un lien fraternel fondamental, in F. Marty, Le lien et quelques unes de ses figures, op.cit., pp.233-263.

dans le mode de relation à l’objet qu’ils sous-tendent et dans les processus d’identification qu’ils alimentent. C’est ce que nous allons reprendre brièvement.

Le premier complexe, complexe du sevrage, marque la première rupture biologique, celle qui sépare le nourrisson de sa mère, laissant le sein maternel au ressort d’une nostalgie. C’est là le parcours inauguré par l’identification cannibalique, constituant le premier rapport à la réalité et à la discordance à venir de l’autre : « ne pas se faire bouffer », dans le champ du social et de la réciprocité, comme peuvent le dire certains adolescents. Le second complexe, complexe de l’intrusion, est celui qui fait émerger l’autre à l’horizon. Il s’engage lorsque le sujet se reconnaît un frère. Il accompagne l’émergence du sentiment de jalousie qui, comme le rappelle J. Lacan, s’avère davantage représenter une identification mentale qu’une rivalité vitale. L’autre prend l’image d’un double spéculaire, objet d’investissement affectif, d’amour et d’agressivité à la fois. Mais il est aussi celui qui, une fois apparu, va donner consistance au sujet comme discordant bien que semblable. Ce mouvement suppose « l’introduction d’un tiers objet qui, à la confusion affective, comme à l’ambiguïté spectaculaire, substitue la concurrence d’une situation triangu- laire (…) une alternative nouvelle »1 ; une alternative nouvelle rendant possible contrat et régu-

lation à venir.

Il s’agit là du troisième complexe, complexe d’oedipe, parachevant l’évolution initiée avec les deux précédents, et qui voit l’objet de l’identification ne plus être celui du désir mais celui qui s’y oppose2, tenant de la triangulation.C’est le temps propice à l’identification mimétique.

Et voilà nous semble-t-il l’impasse qui amène les auteurs à convoquer systématiquement la ver- ticalité dans le champ de l’identification, à faire dépendre la parité de l’autorité. Lorsque l’on s’intéresse à la littérature qui traite des relations fraternelles, l’on peut constater à quel point la dynamique oedipienne conditionne les élaborations faites autour de ce rapport. La pensée d’une identification qui ne serait que symbolique amène nécessairement à alimenter une dimension filiale.Nous le soulevions plus haut à travers les travaux de D. Marcelli, ou encore, en nous ap- puyant sur ceux de M.M. Chatel.Dans son article, et en référence à Freud, M.M. Chatel3 fait de la

jalousie l’opérateur de l’émergence de l’autre : ce qui fait le frère est la proximité d’avec le père, le frère insupportable notamment puisque étant l’autre avec lequel le sujet se dispute l’objet parental. Or, c’est peut-être là qu’il nous faut suspendre l’interprétation en prenant acte d’une identification qui ne soit plus seulement symbolique mais, avant cela, imaginaire et donc, plus

1 Ibid., p.47. 2 Ibid., p.54.

propice pour penser la relation identificatoire hors de la stricte filiation.

Lorsque F. Marty pose le fratricide comme étant le meurtre originaire, producteur de généalogie, nous devons regretter que les générations qui en sont issues tiennent leur importance de la suc- cession descendante qui les caractérise, au point de n’être finalement que des repères filiatifs1.

La génération n’est pas l’ancêtre, sauf à être pensée dans un abus du mythe. Et cette génération, d’être plus encore que la filiation, aux prises avec l’interdit cannibalique. Alors justement que l’ascendance filiative s’impose, la coexistence générationnelle a priori se négocie, entre simili- tude et altérité. Caïn, fils d’Adam, certes, mais avant tout, frère d’Abel ; et c’est de ce temps, de cet espace, dont il nous faut observer la dynamique pour envisager le lien social. Nous ne saurions que trop rejoindre l’auteur pour qui, au sein de la fratrie, il s’agira dès lors

« moins d’une rivalité déterminée par le désir de posséder l’objet (thème typiquement oedipien) que d’une problématique liée à un processus d’identification »2.

Est-ce à dire pour autant que le procès narcissique, devançant ici le conflit objectal, est nécessai- rement préoedipien ? Plus avant, est-il nécessaire de faire appel à l’oedipe, à un moment donné, pour penser le groupe ?

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