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C HAPITRE I P RIS ENTRE MINORITE ET SUBJECTIVITE ADOLESCENTE

2.3. Un sujet en crise (d’imaginaire).

Tous les changements corporels que nous venons d’évoquer ne sont pas sans déclencher ce que nous pourrions aisément qualifier de « crise subjective » ou « psychique » ― de sorte que nous pourrions nous interroger sur l’existence de l’adolescence sans la puberté. C’est là le pubertaire,

1 A. Birraux, Violence à l’adolescence et clivage du moi, op.cit, p.136-s.

2 Rousseau, J.-J., (1762), Emile ou De l’éducation, Paris, Garnier, 1961. Document téléchargeable en ligne sur : http://

tel que P. Gutton l’a nommé1.Pour cet auteur, ce processus serait finalement à la psyché ce que la

puberté est au corps. Aussi, la présente crise serait à mettre en perspective avec la probléma- tique caractéristique de cette période de vieque soulignait déjà en 1962 P. Blos en évoquant un « processus psychique d’adaptation à l’état de pubescence »2, engageant déconstruction puis

reconstruction pour l’avènement identitaire.L’adolescence appelle un travail de la psyché qui se voit imposer un corps devenu pubère avec lequel elle doit faire. Ainsi, au même titre que l’organisation corporelle, l’organisation psychique est à réélaborer dans un objectif de réaména- gement et de réajustement post-critiques.

Le vécu du corps, et par là même, l’image subjective qui est désormais à assumer, alimentent l’interface au lieu de la relation à soi et à l’environnement. C’est toute la question de la probléma- tique narcissique à l’adolescence renforcée par l’autre qui occupe une place prégnante dans le processus, autre qui se moque parfois, qui devient support de comparaisons, plus généralement, autre qui entoure et accompagne sur différents modes affectifs.L’adolescent est confronté à un cheminement subjectif oscillant entre étrangeté, inquiétude, doute et angoisse, qu’il doit gérer face à lui-même et à ceux qui lui renvoient son image. En cela, nous ne saurions que difficilement appréhender l’adolescent, sa construction et l’élaboration de sa position de sujet hors de toute dynamique relationnelle dans laquelle il est nécessairement pris d’emblée.

F. Richard l’expose, la crise du corps vient marquer le sujet de blessures narcissiques qui vont l’éloigner de l’Idéal du moi auquel il se référait, et tourmenter, dans ce mouvement, l’imaginaire aux prises avec des affects négatifs et ce qu’il qualifie de narcissisme exacerbé3. Pour certains,

l’on risque de noter le refus de ces modifications, à l’image du breakdown de M. et M. E. Laufer4,

repris ultérieurement par J.-J. Rassial en terme de cassure développementale5, pour signifier une

panne de la pensée, des investissements, des différenciations structurantes mais aussi, des réfé- rences. Alors, la dynamique psychopathologique peut se manifester par l’effondrement psychi- que oula répétition de passages à l’acte à défaut d’une élaboration possible.

Reprenant les termes de P. Blos, l’on conviendra que

« Le changement de l’image du corps et une réévaluation du sentiment de soi sont deux

1 Gutton, P., (1991), Le pubertaire, Paris, PUF.

2 Blos, P., (1962), Les adolescents, essai de psychanalyse, Paris, Stock, 1967, p.14. 3 F. Richard, Les troubles psychiques à l’adolescence, op.cit.

4 Laufer, M., Laufer, E., (1984), Adolescence et rupture du développement, une perspective psychanalytique, Paris, PUF,

1989.

des conséquences psychologiques du changement dans l’état physique »1.

Et l’auteur, de préciser que le complexe à l’œuvre s’avèrera plus ou moins conflictuel selon les modes de prise en charge culturels de ces transformations, entre ritualisations, formalisations et idéalisations.Or, il nous semble que le monde occidental moderne, n’offre plus à l’adolescent de modèles ou de figures sur lesquels il pourrait « calquer son mode de résolution personnel »2,

comme cela pouvait être le cas à la belle époque. Les professionnels s’accordent à le dire et les adolescents eux-mêmes sont parfois bien en peine de nommer ce qui serait leur modèle : peu nombreuses sont les figures en mesure de se détacher du lot. Est-ce à dire que les possibilités de formalisations sont insuffisantes pour permettre cette intégration ; et que le flottement, réguliè- rement dénoncé dans la littérature ou dans l’opinion publique, en est responsable ? Est-ce à dire qu’il faut reconnaître tout le poids de figures identificatoires hétérogènes, dans la difficulté d’élaboration d’une image de soi, qui soit clairement circonscrite et cohésive ? Au vu de ce dont témoigne la clinique, rien n’est moins sûr.

Quand bien même l’assimilation sociale apparaît relativement peu assurée, l’on ne peut sous- estimer les ressources dont disposent les adolescents actuellement. Des ressources à considérer non plus comme des substituts en place à défaut de…3 mais bien comme des actualisations à part

entière. La quête d’identité ainsi animée n’en serait pas moins légitime et positive. Le groupe de pairs auquel le sujet se confronte, se montre tout autant porteur que structurant, refusant de n’être qu’une béquille. Pourquoi dès lors continuer à penser l’espace paritaire comme une étape parmi d’autre, au titre seulement d’une transition filiative ? Ne pourrait-il pas, bien que faisant « suite » au familial, être pareillement le lieu d’un cheminement identificatoire nuancé dont l’organisation n’appartiendrait qu’à lui, et non simplement le lieu d’une rupture aménagée face à l’enfance devenue angoissante ? Finalement, la crise dispense-t-elle nécessairement d’un certain équilibre ? P. Blos parlait de « sentiment d’identité »4, P. Jeammet de « défense de l’identité »5.

L’hypothèse d’une situation narcissique à part entière, maintenue pour un temps donné, un temps de quête, se pose.

1 P. Blos, Les adolescents, essai de psychanalyse, op.cit., p.19. 2 Ibid., p.21.

3 L’on soulignera ici la persistance théorique à considérer l’investissement de la sphère paritaire comme

l’aménagement d’une nécessaire distance à la sphère parentale, faisant du groupe le lieu manifeste d’une sous-culture, en quelque sorte, d’un moins que….

4 P. Blos, Les adolescents, essai de psychanalyse, op.cit., p.69.

5 Jeammet, P., Comportements violents et psychopathologie à l’adolescence, in F. Marty, L’illégitime violence. La vio-

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