• Aucun résultat trouvé

La philia comme espace de responsabilité contractualisée.

humaine, op.cit., p.104).

3.2. Des processus de circulation « à plat ».

3.2.3. La philia comme espace de responsabilité contractualisée.

En deçà donc des expressions sociologiques que sont les frères et les pairs, c’est la relation à l’autre qui se donne à voir diversement, tantôt par l’origine, tantôt par la place occupée. Mais ce constat ne nous dit rien pour l’heure de la manière dont l’adolescent fait puis maintient du groupe lorsque le fantasme originaire n’est plus – et non pas, pas encore – ou lorsque l’enveloppe ne se soutient plus d’un point d’exception unique et supérieur. C. Naveletinsiste sur ce point, cherchant à définir cette relation entre l’intime et le politique, la famille et l’Etat, et met- tant en garde le lecteur avec l’idée que l’alliance ne va pas de soi1.Elle est spécifiquement struc-

turée ; structurée, ajouterons-nous, par l’obligation, la responsabilité, et quelle qu’en soit sa forme, quelle qu’en soit son expression, familiale ou amicale. Le point d’émergence du groupe frater ne saurait prescrire autre chose.

Ce qui se constitue comme société fraternelle tient d’une histoire, d’un désir et perdure par l’organisation que lui confère le lieu de son pouvoir. La dimension éthique est prégnante2, tantôt

supportée par l’affectif, tantôt par l’utilitaire, voire, l’idéologique. A ce titre, l’espace de partage concerné ouvre au champ de la responsabilité. C’est d’ailleurs sur ce mode que J. Derrida intro- duit son exposé sur la fraternité puis l’argumente3. La responsabilité qui constitue le point de

départ de l’échange se fait jour en tant qu’elle désigne un sujet en mesure de répondre de… (face) à cet autre qui nous assigne à une place depuis la sienne. C’est ainsi que l’on construit de l’altérité, et notamment du frère, par l’engagement que nous fait prendre cette réponse, par la légitimité que l’on fait nôtre et la réciprocité promise. A ceci près que dans la dynamique pari- taire, une injonction supplémentaire se fait jour, consensuelle, celle du rapport d’égalité entre les

1 Navelet, C., Frères, fratrie et lien fraternel : des mots au concept, in O. Bourguignon, Le fraternel, op.cit., p.91.

2A. Aubert-Godard, Mon frère, intrus, compagnon de toujours, autre moi ?, op.cit. ; Birman,Fraternités, Destins et

impasses de la figure du père dans l’actualité, in P. Lévy, Le lien fraternel, op.cit, p.48.

valeurs de chacun des pôles. L’égalité – ou equi-valence – condition absolue de la parité, devient l’obligation faite à soi et à l’autre.

Cette responsabilité, J. Derrida en fait la garantie initiale, la « racine » écrit-il, de la démocratie, en ce qu’elle instaure justement « une altérité sans différence hiérarchique »1. L’égalité ainsi

posée se voit soustraite au canon familial, phallogocentrique, se donnant par là même toute une horizontalité, toute une génération, pour s’établir. Fraternité et parité trouvent à leur tour cette qualité, cette configuration qui les amènent à s’illustrer respectivement : un lieu que l’on ne peut réifier, occupé successivement par des figures mobiles, substituables les unes aux autres. Repre- nant les propos de l’auteur, nous pouvons penser que le frère, pair avant tout, prend ainsi une place qui « ne trouve jamais son emplacement que depuis un horizon »2 [nous soulignons] –

« voici les frères pour en finir avec le fantôme »3.

Un espace de responsabilité contractualisée donc, certes, encore faut-il l’acter d’un consente- ment. P.L. Assoun4 le souligne, la relation à l’autre de la fratrie se présente comme le résultat

d’un contrat stipulant la « clause de l’assentiment »5. Autrement dit, au sein même de la fratrie

familiale, biologique pourrions-nous dire, l’investissement du frère ne va pas de soi. Et nous ne saurions penser qu’il en va différemment dans la sphère paritaire, sociale, où le sujet est aux prises avec des logiques semblables de reconnaissance de l’autre. Le pair ne saurait devenir frère parce qu’il partage une même horizontalité. Reprenant les étymologies grecques du terme, l’auteur nous rappelle que l’adelphos du sang n’est pas le frater de la figure ; et il revient au consentement, en ce qu’il concède et dans ce qu’il concède, d’assurer le passage de l’un à l’autre. Aussi, qu’il soit question de frère de sang ou de frère de cœur − si tant est que nous puissions en envisager ainsi la distinction − l’on en dégage un même processus, la différence tenant essentiel- lement du lieu d’où s’énonce la désignation fraternelle et la référence commune qui la fonde.

Comme l’écrit l’auteur,

« Point de consentement en effet sans cette fonction de « jugement » qui consiste à « at- tribuer ou à refuser une propriété à une chose » ou à accorder ou à contester à une re- présentation l’existence dans la réalité ». Et d’ajouter qu’il faut pour cela « admettre

1 Ibid., p.259. 2 Ibid., p.294. 3 Ibid., p.298.

4Assoun, P.L., (2001), L’épreuve du consentement : à propos du lien fraternel, in La lettre du grape, Ruptures et

consentements, 44, Ramonville-Saint-Agne, Erès, pp.39-49.

l’ « étranger » dans son intimité − psychique autant que « géographique » » 1.

Nous retrouvons là ce que nous évoquions en terme de réciprocité : reconnaissance et proximité subjectives. Qu’il soit ou non question de généalogie filiative, le rapport à l’autre frater suppose- ra toujours désignation, prononciation, acceptation, et perte simultanée, dans le champ du nar- cissisme. Un frère est « un « autre » pris dans une relation spéculaire »2 ; et le partage, une des

conditions au maintien de cette place privilégiée. La clinique en témoigne : l’autre est comme le frère jusqu’à ce que…

En quoi finalement y aurait-il une dynamique non semblable dans la relation du sujet au frère de sang et celle au frère de lait ou de cœur, si ce n’est en considérant le facteur génétique, et par lui, le corps brut, seul reste explicatif ? Il ne tient a priori qu’aux aménagements et au vécu de ces liens, de faire la différence, de créer de l’écart et donc, du jeu fraternel.

Documents relatifs