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C HAPITRE II D U SUJET EN TANT QU ’ IL EST SEUL A LA QUESTION DE L ’ AUTRE TOUJOURS DEJA LA

1.1. Du lien social…

Nous l’avons vu, le groupe est plus qu’une addition d’éléments. Aussi, sommes-nous en mesure de nous interroger sur ce qu’il y a au-delà de la collection, ou plus précisément, de la collectivité.

1Papilloud, C., (2003), La réciprocité. Diagnostic et destins d’un possible dans l’œuvre de Georg Simmel, Paris,

L’harmattan, p.139. En abordant la thématique du « Moi et l’autre », Lévinas (Totalité et infini : essai sur l’extériorité (1961), Paris, Flammarion, 1990) met justement l’accent sur cet au-delà d’une totalité totalisante, allant jusqu’à sup- primer toute dialectique possible entre ces deux pôles, refusant l’idée d’un engendrement réciproque. Adhérer à cette thèse reviendrait à nier l’idée d’une certaine forme de configuration groupale, elle en serait une illustration de départ, forçant le lecteur à se dégager de tout préconçu naïf, et à prendre conscience que l’un et l’autre peuvent être, malgré la groupalité, distincts et séparés tout en étant une multitude à la fois.

Une entité semble se dégager de celle-ci, permettant notamment d’unir les individus et les sub- jectivités.Quel fondement donc lui attribuer ? Quel fondement au lien social ? Si cette entité est couramment reprise dans les travaux de recherche pour venir justifier et légitimer nombre de processus, il nous semble important de revenir brièvement sur ce qui en a été développé dès le 18ème, et ainsi continuer de poser les jalons de la réflexion à suivre.

Au-delà des différences théoriques et des conceptions particulières qui opposent les auteurs entre eux, le consensus qui émerge fait état du lien social comme ce qui lie, du latin ligare. Il est ce qui unit et « attache » les individus entre eux dans la visée d’un maintien, définissant tant la société, la collectivité que le groupe, et les interactions qui se jouent en leur sein.Remettant en cause un certain nombre de principes sociopolitiques, la Révolution française a été à l’origine de nombreuses réflexions de la part des philosophes des lumières, notamment en matière de régu- lation sociale, avec l’idée de déterminer ce qui avait pu faire défaut ou être détruit et mettre à mal ce lien.Substituer à l’état naturel du lien social d’autres modélisations n’est pas sans susciter un risque de destruction de celui-ci et par là même, d’altération des relations entre individus.

Ces réflexions philosophiques visent donc à l’époque une réorganisation sociale qui pourrait être bénéfique pour l’ensemble. Les écrits font état de sociétés utopiques, idéales, où sont décrits la place de l’homme, les rapports interindividuels, et définis des systèmes de règles institutionnali- sés, entre lois et conventions. Un présupposé apparaît : la raison comme fondement du lien so- cial, inauguré par Montesquieu1 quelques temps plus tôt suite aux débordements de la Régence.

Le récit conté de la société des troglodytes illustre ce risque. Dès lors, l’accent est mis par l’auteur sur l’importance et le caractère fondamental des lois, nécessaires à la conservation du lien.

Puis vient le contrat social de J.-J. Rousseau2, inspiré du constat particulièrement négatif qu’il fait

en observant l’attitude de l’homme en société, aux prises avec les inégalités. En 1754, le discours qu’il propose à l’Académie de Dijon sur l’origine et le fondement de l’inégalité parmi les hommes3,

défend l’idée que le mal ne serait pas inné et qu’il conviendrait, bien que cela soit une utopie, d’en revenir à l’état primitif, à l’état de nature ayant précédé la société, pour retrouver celui qu’il appelle le « bien-heureux » – « l’homme sauvage » qu’il oppose à Hobbes.Pour Rousseau, la so- ciabilité est le mal de son époque. Fort de sa thèse, se pose alors pour lui le problème de trouver

1 Montesquieu, (1721), Lettres persanes, Paris, Livre de poche, 1972.

2 Rousseau, J.-J., (1762), Du contrat social ou principes du Droit politique. Document téléchargeable en ligne sur

http://classiques .uqac.ca/ classiques/Rousseau_jj/contrat_social/contrat_social.html

3 Rousseau, J.-J., (1754), Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Paris, Flammarion,

un « contrat social » qui serait en mesure de ménager la société, partant de sa naturalité. Un contrat sur lequel reposerait non pas l’être seul mais l’être-en-commun d’une communauté ; un contrat qui assurerait la protection des individus sachant que les lois qui en découleraient de- vraient s’appuyer sur les lois naturelles préexistantes.Une conception qui s’entend d’autant plus si l’on considère que pour l’auteur, le lien social n’existe pas a priori, mais advient de l’effacement de la liberté naturelle.

L’homme étant fait pour en être en-dehors, s’il reste au sein de son entourage alors qu’indépendant, ce serait par volonté et non par nature. On entre alors dans le contrat social, instituant et conventionnant le lien.Il pourrait être pensé comme la performance, la forme opé- ratoire du maintient de l’autre, de l’altérité, une formalisation, une mise en application.Par celui- ci, l’homme naturel renonce à sa liberté primitive en vue de l’intérêt public, tout en y consentant du fait des avantages qui lui seront ainsi rapportés. C’est par ce « pacte d’association », aliénant, que les individus constitueraient une communauté et un état de droits leur assurant liberté et sûreté, par la garantie des lois consenties communément, et auxquelles il leur faudrait obéir. Comme l’écrit J.-J. Rousseau,

« Chacun de nous met en commun sa personne et sa toute puissance sous la suprême di- rection de la volonté générale : et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout »1.

L’on quitte ainsi l’état de nature, solitaire, pour entrer dans l’état civil, collectif.

Cette pensée contractualiste, relayée par les travaux qui ont inauguré la naissance de la sociolo- gie, ne cesse de nous enseigner depuis des siècles la primauté du lien social et ses enjeux, que ce soit pour permettre à la société un gain de force selon les thèses de J.-J. Rousseau, de sécurité selon celle de Hobbes ou de paix selon celle de Kant. Autrui devient cet autre qui est là d’emblée, nécessaire tant à la société, aux individus qui la composent qu’au sujet tel que nous l’envisageons dans ce travail ; tant au niveau de la collectivité que des passions ; tant comme figure d’obstacle que d’allié, de stimulateur, de moyens que de fin.

Ceci n’est pas sans faire écho à la question de l’horizontalité des relations – paritaires. L’on voit apparaître une forme de lien social pris entre réciprocité et mutualité. Deux dimensions sur les- quelles il nous faudra revenir mais qui d’ores et déjà introduisent un certain jeu quant aux thè- ses couramment entretenues, impliquant la transcendance comme garantie du lien social. Qu’il soit question de contrat, voire, de pacte, l’opportunité d’une autre hypothèse est à saisir. En effet,

que l’on ne puisse attraper le sujet en dehors de ce lien, certes, encore faut-il appréhender la manière dont le sujet s’y inscrit.

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