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PARTIE 3: L’ANALYSE DES RESULTATS DE L’ENQUETE DE TERRAIN

5.1 Stratégies d’ascension sociale

5.1.2 Une famille prospère durant les deux époques

Le deuxième cas choisi pour illustrer la typologie, présente plusieurs similitudes avec la famille Boeriu. Cela nous a conduits à le classer dans la même catégorie, malgré certaines spécificités et distinctions, tel le groupe d’âge (60-70 ans) à l’intérieur duquel s’inscrit la famille Iancu et qui marque différemment la structuration de la trajectoire familiale. Lors de notre entrevue, les deux membres du couple étaient à la retraite, la femme a pris une retraite anticipée en 1997 et son mari a pris sa retraite en 2000. Durant l’époque Ceausescu et jusqu’à sa retraite, M. Iancu a été cadre administratif supérieur (directeur) dans une entreprise industrielle et sa femme a été cadre administratif moyen dans la même entreprise. Cette famille a deux enfants dans la trentaine, soit un fils et une fille, qui sont mariés, ayant à leur tour des enfants. Les Iancu habitent dans une ville située près de la capitale, Bucarest.

La définition de la situation actuelle

Du point de vue économique et social, cette famille se situe également dans la haute classe de la société. Contrairement au premier exemple, le niveau économique et le niveau de vie élevé de la famille Iancu n’est pas exclusivement le résultat de l’évolution postcommuniste. Cette famille a eu une situation privilégiée aussi avant 1989. Même si les membres du couple sont à la retraite, leurs salaires et les fonctions détenues pendant la période active leur donnent la possibilité d’avoir actuellement des pensions d’un montant élevé. Ainsi, ils déclarent que les ressources qu’ils détiennent leur permettent de couvrir leurs besoins et de bien se débrouiller dans la vie.

Leur stratégie économique inclut parallèlement aux revenus salariaux et à la pension de retraite actuelle, des patrimoines hérités. Les parents tant de la femme que de l’homme leur ont transmis des maisons et des terrains agricoles. Si les maisons parentales sont transformées

dans des résidences secondaires pour eux et leurs enfants, les lopins de terre, comme nous l’a dit M. Iancu, « ne sont pas productifs, n’apportent pas de revenus ou de bénéfices particuliers, parce qu’on n’a pas l’outillage pour les exploiter. Les dépenses sont égales aux bénéfices, ou peut-être les revenus dépassent-ils de très peu les frais. » Pourtant, ils déclarent, qu’aller à la campagne et faire du travail agricole est plutôt une activité de plaisir qui rappel les souvenirs d’enfance.

En ce qui concerne les activités de loisirs, des vacances, et les réunions de famille, dans leur cas la variable « âge » joue un rôle important. En comparaison avec la période d’avant 1989, ces activités ont beaucoup diminué. Comme nous l’a expliqué M. Iancu, il n’est pas question d’argent, mais à leur âge ils préfèrent se rendre plus souvent à la campagne, passer plus de temps avec les autres membres de la famille élargie et avec leurs amis et voisins du village et s’occuper un peu d’agriculture. Dans le passé, ils partaient chaque année en congé et pour les travaux agricoles, ils payaient des personnes de l’extérieur (des travailleurs journaliers), tandis qu’actuellement, comme l’affirme M. Iancu, même s’ils sont âgés, ils font ce qu’ils peuvent faire sans demander de l’aide extérieure.

Le parcours de vie familiale de l’époque communiste à la période postcommuniste

En comparaison avec la famille Boeriu où la situation professionnelle et économique a été peu satisfaisante pendant l’époque communiste, cette famille présente une situation favorable durant toute la trajectoire. M. Iancu a été directeur dans une entreprise industrielle; sa femme a travaillé dans la même entreprise, comme cadre moyen. Par sa fonction, M. Iancu se situe dans le groupe des hauts fonctionnaires industriels, ce qui lui a apporté non seulement des bénéfices matériels mais aussi un prestige social important. La période d’avant 1989 a été très bénéfique pour eux sur le plan économique et pour leur niveau de vie en général, et la situation a continué d’être bonne, même de s’améliorer après 1989.

Comme dans l’exemple de la famille Boeriu, la profession est fortement valorisée par les membres du couple. Mais dans ce dernier cas, elle a une valeur symbolique liée à la

transmission d’un patrimoine familial. Ainsi, comme nous l’a révélé M. Iancu ils ont bénéficié non seulement de la transmission matérielle mais ce qui a compté davantage dans leur stratégie de vie a été la transmission symbolique du métier de leurs parents. Ainsi il nous a déclaré:

« Ma femme et moi, on provient de familles ouvrières, mais j’ai aimé faire des études. J’ai hérité la tradition de la famille dans le domaine de la pétrochimie. Mon père a été ouvrier dans le même domaine, et moi j’ai travaillé dès l’âge de 16 ans. Quand j’ai fini les premiers trois ans de l’école technique, j’ai fait des études universitaires pendant cinq ans dans le domaine de la technologie et d’usinage des produits pétrochimiques. Tout cela se passait dans les années soixante-dix. J’ai obtenu à la fin de mes études une affectation gouvernementale dans une usine où j’ai travaillé jusqu’à la retraite. Pendant ces 30 ans de travail, j’ai franchi tous les échelons hiérarchiques. »

Cette transmission symbolique a une forte importance dans la conception de vie de cette famille. À son tour, le fils de la famille Iancu a suivi la même profession, il devenant ingénieur dans la même entreprise où ont travaillé ses parents. Pour M. Iancu qui par sa position a été la source de l’évolution positive de sa famille, l’emploi reste le fondamentale. Ainsi il affirme: « pour moi, le programme commençait à 6h du matin et finissait à 8h du soir. » Il pense que son travail et ses efforts ont été reconnus et ont constitué les raisons pour lesquels il a avancé dans la carrière.

L’accès à la propriété privée après 1989 a également eu un rôle important dans la stratégie familiale. De la sorte, la famille Iancu a réussi, grâce à son niveau économique ainsi qu’en profitant des changements postcommunistes, à acheter l’appartement reçu par l’entreprise où il travaille et où la famille a habité durant une longue période pendant l’époque communiste. En plus, étant donné leurs moyens économiques d’un niveau élevé, cette famille a réussi à doter ses deux enfants avec des appartements et des maisons de vacances. Ainsi, dans la stratégie de cette famille un aspect important est la dynamique résidentielle qui a deux caractéristiques importantes: la première, comme pour la famille Boeriu, consiste dans l’accès à la propriété privée. Les Iancu détenaient déjà deux maisons à la campagne comme héritage de leurs parents, ce qui rendait impossible à l’époque communiste d’acheter d’autres propriétés. Une fois les restrictions légales abolies, ils ont acheté l’appartement dans lequel ils

ont habité depuis l’époque communiste et qui jusqu’à cette date était la propriété de l’État. Le deuxième aspect important vise la transmission intergénérationnelle. Les deux maisons parentales de la campagne, reçues en héritage par M. et Mme Iancu, ont été rénovées, pour ensuite être transmises à leurs enfants par donation. Cette transmission de l’héritage qui s’inscrit dans la logique de la succession des générations, a, au delà de sa valeur matérielle, une valeur symbolique significative.

L’entraide a aussi un rôle fort important dans la stratégie de vie de cette famille, mais il est de nature exclusivement économique. À la différence de la famille Boeriu, où l’entraide avait un double sens, c’est-à-dire les parents assumaient les tâches domestiques et leurs enfants leurs donnaient une aide financière, dans le cas de la famille Iancu, l’aide se fait dans une seule direction, soit de la famille vers leurs enfants sous forme d’aide économique. L’investissement a visé les études de leurs enfants et l’achat des appartements et de l’équipement nécessaire. Étant donné leur situation économique, les Iancu ont aidé financièrement aussi d’autres membres de la parenté. Pourtant cette entraide n’a pas eu toujours comme finalité le renforcement des liens familiaux. Si le retour matériel n’était pas attendu, la reconnaissance de la part des bénéficiaires n’a pas été visible. De ce point de vue M. Iancu en parlant de sa famille élargie, nous a révélé que « les relations sont bonnes, mais parfois unidirectionnelles; certains ont profité du fait que nous ayons eu certaines possibilités économiques, et après les avoir aidés à résoudre leurs problèmes, ils nous ont peu à peu oublié. »

La structuration des transformations postcommunistes

Les éléments principaux qui ont favorisé la mobilisation sociale ascendante consistent d’abord dans les ressources économiques, provenant de la position privilégiée de M. Iancu à la direction de l’entreprise avant et après 1989. Cette position lui a favorisé l’accès non seulement à des ressources économique, mais il a aussi eu l’accès à des ressources sociales importantes. Dans la construction de la stratégie de vie familiale, il s’y ajoute les propriétés héritées. La transmission implique dans ce cas aussi la dimension symbolique par la transmission de la profession d’une génération à l’autre. En suivant son père, M. Iancu a eu la

chance d’accéder à un domaine économique privilégié. Mais cette tradition est retransmise par M. Iancu à son fils, ce qui a aidé aussi ce dernier à mieux se positionner dans la société. D’autres opportunités, dont cette famille a profité après 1989, découlent des changements dans le domaine de l’accès à la propriété privée. Cela leur a permis de détenir plusieurs propriétés. D’abord ils ont acheté pour eux et leurs enfants, des appartements dans la ville où ils habitent, et en même temps ils ont rénové les maisons parentales de la campagne et les ont transformées en une résidence secondaire.

En ce qui concerne les pratiques de solidarité familiale, elles sont très différentes du cas Boieriu. D’abord, on observe que les échanges sont unidirectionnels, étant orientés des parents vers leurs enfants. Etant donné que les revenus de la famille Iancu sont élevés, il a été possible d’offrir une aide importante aux enfants, et aussi aux autres membres collatéraux de la famille, sans rien attendre en retour. Ce couple a eu les ressources nécessaires pour offrir aux enfants une éducation de haut niveau et aussi pour leur acheter des appartements et les équiper. Le support parental offert a permis aux enfants une bonne intégration sociale. Ces actions de la famille Iancu sont orientées vers l’aide à la promotion sociale et peuvent être interprétées selon Pitrou (1978) dans le sens d’une mentalité de classe. Dans cette logique la famille Iancu, consciente de son statut social privilégié, met en place une stratégie pour garder ce statut.

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