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Les études centrées sur les changements politiques et économiques

1.3 L’interprétation des changements postcommunistes

1.3.1 Les études centrées sur les changements politiques et économiques

Les transformations postcommunistes ont fait, après 1989, l’objet de nombreuses questions et interprétations. Elles ont mobilisé des approches et des outils méthodologiques appartenant à des champs disciplinaires différents.

1.3.1.1 La transformation postcommuniste selon le modèle occidental de modernisation

Les schémas d’interprétation qui se sont imposés durant la première décennie de la transition privilégient l’hypothèse selon lequel la transformation dans les pays est-européens est orientée vers une fin unique, celle du modèle de la démocratie et de l’ordre capitaliste néolibéral

développé à l’Ouest (Mot, 2002 : 37)24. Suivant cette logique, le processus de transition peut

être réalisé comme un grand projet d’ingénierie sociale sur la base de stratégies politiques et économiques, et par des procédures institutionnelles. L’application de ce modèle occidental doit se faire par le biais des politiques radicales et par la réforme des institutions. Il s’agit d’un processus de transformation réalisée par des élites, dont l’objectif est la modernisation des anciens pays communistes. Cette vision fondée sur une stratégie d’action caractérisée par un support idéologique a été non seulement à la base d’approches théoriques, elle a également constitué le fondement des programmes de réforme proposés par les organisations internationales, aux gouvernements postcommunistes. Ainsi, l’objectif n’a pas été exclusivement de décrire ou d’expliquer la réalité, mais de la changer (Zamfir, 2004)25.

Ce paradigme de modernisation, propre à la pensée occidentale fondée sur l’idéologie néolibérale et qui privilégie la convergence des sociétés vers la réalisation d’un modèle anticipé, a été critiqué pour son caractère artificiellement dichotomique, ethnocentrique et déterministe. Ces dimensions (déterministes, ethnocentriques) s’expriment par l’incapacité d’adaptation des sociétés de l’Europe de l’Est aux valeurs occidentales et, aussi par l’image contrastante avec l’idéal de prospérité et de stabilité typiques aux sociétés industrialisées de l’Ouest (sans nécessairement mettre en évidence les problèmes sociaux avec lesquels se confrontent les pays occidentaux eux-mêmes) (Shinar, 1995 : 311). On reproche également à cette vision du changement d’être prescriptive et normative parce qu’elle est concentrée sur une certaine direction du développement historique. En ce sens, si le but de la transition est le modèle (économique, politique, culturel) occidental, le changement radical postcommuniste doit être vu comme un processus de rattrapage vers la modernisation, ou un mouvement de la

24 Parmi les courants qui ont dominé les débats sur les transformations postcommunistes durant la première

décennie après 1989 on note l’approche rationaliste (volontariste) qui exprime une vision centrée sur la rupture du passé, radicalement anticommuniste et pro-occidentale, et le paradigme évolutionniste centré sur l’histoire et le passé (mettent l’accent sur l’évolution et la continuité). D’autres modèles explicatifs accentuent le rôle des acteurs, le type de reforme privilégié et les résultats. Il convient de rappeler dans ce contexte, la perspective individualiste (choix rationnel des acteurs) et l’approche collectiviste (l’école de la rupture, l’école de la modernisation et la perspective structuraliste).

25 La mise en place des réformes selon les principes néolibéraux a été imposée aux pays de l’Europe de l’Est

sous la pression politique et économique des institutions internationales, soit comme précondition pour l’adhésion à leurs structures, soit comme exigence pour obtenir des aides et de l’assistance financière. Parmi les institutions internationales, on inclut la Banque Mondiale, le Fond Monétaire International, la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement, le Conseil de l’Europe, la Commission Européenne et l’Organisation Internationale du Travail.

périphérie vers le centre. La périphérie est synonyme de retard et rime aussi avec une dépendance de l’Europe de l’Est par rapport à l’Europe de l’Ouest (Bafoil, 2002 : 11). Enfin, on souligne que les études qui s’inscrivent dans cette vision de modernisation occidentale n’expliquent que le changement formel et les procédures institutionnelles, sans porter attention aux particularités nationales, aux conditions initiales différentes, à l’histoire et aux intérêts de chaque pays (Mot, 2002).

1.3.1.2 La « transitologie » - un cadre analytique pour le processus de démocratisation

Liées au concept de modernisation et également développées durant la première décennie postcommuniste, les théories conçues dans le cadre de la « transitologie »26 définissent les

caractéristiques du processus de « transition » entre l’effondrement d’un régime autoritaire et la mise en place des mécanismes pour le fonctionnement de l’État démocratique (O’Donnell et Schmitter, 1986). Selon ces théoriciens, le déroulement du processus de transition comprend généralement trois phases : la libéralisation, la démocratisation et la consolidation.

À l’instar d’autres auteurs, Bafoil décrit la première phase (la libéralisation) comme la période où domine l’incertitude quant aux modalités de l’issue de la crise. Il s’agit aussi d’une période de mobilisation de plusieurs groupes, l’apparition des chefs, de mouvements, la restauration de partis politiques et l’émergence de la société civile (Bafoil, 2006 : 135). Cette phase de libéralisation27 n’est pas suffisante pour mettre en place un régime démocratique

(O’Donnell et Schmitter, 1986; Przeworski, 1991). La deuxième phase, la démocratisation, est une période de stabilisation. Des mécanismes pour le fonctionnement de l’État démocratique sont mis en place (une société civile autonome par rapport à l’État, une classe

26 La « transitologie» est une branche des sciences politiques, développée dans les années soixante-dix et quatre-

vingt et qui a comme objet d’étude les phénomènes post-totalitaires, plus particulièrement les processus de démocratisation en Amérique Latine et en Europe du Sud.

27 La première étape de la transition qui n’amène pas nécessairement à la démocratie, consiste dans la

libéralisation qui suppose principalement la reconnaissance de certains droits civiques, l’acceptation de l’opposition et l’affaiblissement de certaines contraintes. La libéralisation peut être initiée, soit par la décision des représentants politiques soit sous la pression de la population, ou bien elle peut être une combinaison de ces deux niveaux.

politique représentée par des partis politiques et des élections libres). Lorsque les règles et les normes ne sont pas clairement établies, le parcours vers la démocratie reste imprévisible, incertain et potentiellement réversible. La consolidation, la troisième phase, assure la validité des règles du jeu démocratique et confère de la légitimité aux nouvelles structures politiques; elle implique un « consensus social, autant au niveau de l’élite politique, qu’au niveau de l’ensemble des citoyens » (Diane Ethier citée dans Guilhot et Schmitter, 2000 : 618). Ainsi, pour assurer la consolidation du système démocratique, il faut considérer la capacité des forces politiques à articuler les intérêts et à entrer en compétition tout en développant la capacité de régler les conflits d’une manière démocratique par la négociation (Przeworski cité par Bafoil, 2006). Pour qu’un régime démocratique soit consolidé l’engagement des citoyens doit aussi être maintenu comme signe de leur confiance dans les institutions.

Même si les études centrées sur les concepts de « démocratisation » et de « consolidation » ont orienté un grand nombre des travaux de recherche portant sur le processus de transition dans les pays de l’Europe de l’Est, elles comportent certaines limites. Les critiques émises à l’égard de ces modèles explicatifs soulignent leur vision minimaliste de la démocratie parce qu’elles mettent particulièrement l’accent sur le rôle et le comportement des élites dans le processus de démocratisation politique (Mot, 2002). De plus, les critiques accentuent la prépondérance accordée à la dimension politique dans la transformation postcommuniste au détriment de celle économique. Bien que dans le cas des pays de l’Europe de l’Est on évoque souvent la simultanéité des processus économiques et politiques, il n’y a pas toujours symétrie entre la démocratie politique et le développement d’une économie de marché.

1.3.1.3 Les études portant sur le passage à l’économie de marché

Dans les études consacrées à la transition postcommuniste, l’explication des changements politiques a été mise en relation avec d’autres dimensions, l’économie notamment. La stratégie de réforme économique visant le passage de l’économie centralisée au marché libre, a supposé la destruction du système planifié, la modification du cadre législatif visant le régime de propriété, la privatisation des activités productives, la légitimation de l’intérêt individuel, la compétition, et la mise en place des modalités d’insertion dans l’économie

mondiale (Wild, 2002). Pour accomplir ces conditions, une révision du cadre institutionnel dans le domaine de la production, de la répartition des biens et de la rationalisation de l’allocation des ressources s’imposait.

Les réformes économiques ont entraîné des déséquilibres macro-économiques qui ont eu comme résultats l’inflation, la dé-régularisation des prix, le chômage et le déclin de la productivité. Les conséquences se sont reflétées dans des coûts sociaux considérables dont l’impact a été la détérioration de niveau de vie d’une grande partie de la population. Pour arrêter l’inflation et améliorer la situation financière de l’État suite à la désorganisation et à la libéralisation, il était nécessaire de mettre en place non seulement un plan de « stabilisation », mais également un système de sécurité sociale afin de compenser les risques de la transition (Kornai, 1995). Plusieurs dilemmes sont apparus ainsi. Un de ces dilemmes se réfère à l’incompatibilité entre les valeurs de l’autonomie et de l’éthique de marché et, les attitudes égalitaristes développées dans l’économie socialiste (McFalls, 1992). D’autres questions visent le rapport de causalité entre le développement économique et le processus de démocratisation politique (Przeworski, 1991). Le dilemme était ici de voir dans quelle mesure les nouvelles démocraties dépendent de leurs performances économiques, vu que l’ouverture d’une économie qui a été centralisée et planifiée à une économie de marché et la démocratisation de la sphère de décision politique peut avoir des conséquences inattendues, ces deux processus pouvant soit s’exclure ou s’obstruer mutuellement, soit se renforcer l’un l’autre (Offe, 1992 ; Greskovits, 2000).

1.3.1.4 La dépendance face au passé

Les approches de la modernisation, de la démocratisation tout comme les approches concernant les réformes économiques ont été vivement critiquées parce qu’elles mettent peu d’accent sur les particularités locales historiques, culturelles, identitaires, des pays concernés. C’est dans ce contexte qu’un autre type d’analyse des transformations postcommunistes s’est développé : la dépendance du passé (path dependance). Inscrite dans une perspective critique face aux théories mises de l’avant dans le cadre de la transitologie, la path dependance vise à identifier les facteurs internes, hérités du régime antérieur, qui sont considérés comme

déterminants pour la reconfiguration institutionnelle et le comportement des acteurs durant la période qui suit la chute du régime communiste. Dans le contexte de l’Europe de l’Est, les conditions sociales, économiques et culturelles spécifiques à chaque pays, conjugués avec les facteurs de pression externe, ont configuré des modèles différents de développement. Il s’agit ainsi d’une pluralité de transitions (Bunce, 2000)28 dépendantes chacune de particularités

locales (Dobry, 2000).

L’approche de la path dependance a fait l’objet de nombreuses critiques, surtout dans les études qui transgressent les cadres nationaux et qui placent les changements dans le contexte international de la globalisation ou de l’européanisation (Forest et Mink, 2004). Ce modèle explicatif a été considéré aussi inadéquat en raison des difficultés d’établir et d’identifier des critères pour la sélection des éléments du passé qui peut être présumé à se perpétuer durant les processus de transition (Cîrstocea, 2005). D’autres critiques font référence au caractère empirique de ces recherches; en se limitant à des études inductives leur portée théorique générale reste limitée.

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