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PARTIE 2 : CADRE CONCEPTUEL ET METHODOLOGIQUE

3.3 La recherche d’un modèle familial opérationnel

3.3.4 La définition de la famille dans les nouvelles sociologies

À la fin des années 1980, le champ des études du lien entre la famille et la société comprend des mutations importantes suite à la transformation des schémas analytiques formulés dans le cadre des paradigmes classiques. La réflexion sur les limites des cadres théoriques et notamment sur les contradictions concernant la connaissance empirique a conduit à l’ouverture vers l’interdisciplinarité et en même temps à la diversification méthodologique. Ce glissement épistémologique et méthodologique va stimuler la valorisation d’une approche constructiviste du lien social et la valorisation des méthodes qualitatives du recueil des données. Les recherches seront progressivement centrées sur le sujet qui va retrouver son importance dans l’étude de l’ordre social (Cicchelli–Pugeault et Cicchelli, 1998). Cette nouvelle orientation soutient la construction identitaire au sein de la famille, la priorité étant donnée à l’interdépendance, mais aussi au vécu et aux trajectoires de vie des individus.

Dans le contexte intellectuel contemporain, le retour du sujet ne signifie pas le renouvellement de l’ancienne contradiction entre le niveau macrosocial et le niveau microsocial, entre l’analyse qualitative et l’analyse quantitative. La perspective épistémologique actuelle découvre le sujet comme « agent compétent » engagé de façon rationnelle dans l’action sociale. Cette rationalisation de l’action s’exprime par la révélation de la conscience qui d’une part confère à l’individu la connaissance tacite sur sa vie sociale (conscience pratique) et d’autre part lui donne la capacité d’exprimer par le langage les circonstances de son action et de celle des autres (conscience discursive) (Giddens, 1987). Ce nouveau point de vue qui met en évidence le lien entre conscience, discours et action, accentue en effet la dimension réflexive de la société contemporaine. L’expression, la conscience individuelle en interdépendance avec la rationalisation de l’action, donne une autre perspective de l’intelligibilité de la société actuelle qui ne peut être comprise dans une vision holistique comme une totalité qui agit sur ses membres à travers une conscience collective. La continuité de la vie sociale est assurée par la réflexivité qui constitue ainsi l’élément engagé dans l’organisation récursive des pratiques sociales dans le temps et l’espace (Giddens, 1987; 1994). Ces pratiques sont constamment examinées et reformulées en

fonction de l’information qui rentre, ce qui modifie en permanence leur caractère (Segalen, Lapierre et Attias-Donfut, 2002).

Si le concept de l’agent lié à l’esprit réflexif de la modernité occupe une place importante dans la sociologie contemporaine, il a été mis en discussion à côté du paradigme de l’acteur qui retient à nouveau l’attention des sciences sociales et humaines. Cette perspective reformulée cherche à reconnaître le rôle de l’acteur selon plusieurs visions. Ainsi, Bourdieu (1994) conçoit les stratégies de reproduction des conditions et de la permanence de l’ordre social, en les rapportant aux formes du capital (économique, culturel, scolaire) dont les acteurs sociaux disposent en fonction de leur appartenance de classe. Dans l’optique de Bourdieu, les individus en tant qu’acteurs sociaux détiennent des dispositions culturelles acquises au cours de la socialisation à partir de ce qui a été défini comme habitus de classe, qui leur confère une position dans le champ social hiérarchisé (Corcuff, 1995). Mais cette vision où la position sociale de l’acteur est conditionnée par son appartenance à une classe a été critiquée pour son aspect déterministe.

Actuellement, le paradigme de l’acteur en référence à la famille, trouve un terrain privilégié dans l’expérience de la vie quotidienne, où se structurent les liens sociaux et les identités, éléments qui donnent du sens à l’ordre social. La nouvelle orientation de l’intérêt scientifique et culturel vers l’étude de la famille est guidée ainsi par l’intérêt manifesté envers la thématique du quotidien conçu à partir de la routinisation, articulé au repli sur la vie privée, caractéristique de l’époque contemporaine. C’est dans cette articulation entre le quotidien et le cadre familial que se sont développés divers concepts79. Ainsi, le « mode de vie » défini par

Bertaux et Bertaux-Wiame (1980), met en lumière la nature des rapports structurels, plus concrètement la production et la reproduction de la vie privée et les ressources mobilisées. Cependant, pour comprendre la réalité familiale actuelle, d’autres termes sont véhiculés de plus en plus dans le langage courant, tels que « genre de vie », « style de vie », « conditions de vie », dont la signification renvoie à l’étude de marché, au marketing, généralement

79 La synthèse des principaux concepts et de l’orientation actuelle dans la sociologie de la famille est inspirée

par le livre de Bernadette Bawin-Legros, Familles, mariage, divorce : une sociologie des comportements familiaux contemporains, 1988.

assimilés à une conception économique. Si le « mode de vie » renvoie vers l’étude des réponses que les acteurs sociaux donnent à leur condition d’existence, les autres termes évoqués plus-haut, fondés principalement sur l’intérêt, révèlent des limites importantes dans l’intelligibilité du quotidien. Dans cette optique, l’idée selon laquelle la sphère de la vie privée est entièrement conditionnée par la sphère productive ou que les modes de vie sont configurés en fonction des contraintes matérielles, a été rejetée.

L’argument avancé contre cette thèse qui soutient le déterminisme matériel est fondé sur l’idée que les acteurs et les familles n’agissent pas dans un vide culturel et social. Les choix qu’ils font et les stratégies qu’ils construisent sont influencés par les normes sociales caractéristiques de chaque contexte historique. En outre, les « stratégies » que les acteurs familiaux mettent en place tout en mobilisant des « ressources » ne signifient pas de simples processus d’adaptation-régulation à une réalité changeante, il s’agit plutôt de l’existence d’un « projet » de vie. Dans cette perspective, le « mode de vie » révèle la stabilité et la continuité de l’espace privé en s’écartant de l’influence des contraintes qui découlent de la structure; il est ainsi défini comme une structuration du quotidien. Cette vision ouverte par l’approche de la structuration présente une importance particulière pour les recherches actuelles et nous donne les pistes d’ancrage pour notre propre étude.

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