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2.4 L’évolution de la famille roumaine durant la période communiste

2.4.1 Les changements de la famille durant les premières décennies

En prenant ce modèle idéologique imposé par l’Union soviétique, le Parti communiste roumain commence, après 1948, une offensive de déstructuration des institutions, en effaçant les normes et les valeurs traditionnelles (Mezei, 1991). L’adoption d’un nouveau cadre

législatif a comme objectif la disparition de la famille bourgeoise, un des piliers du système capitaliste, pour pouvoir soumettre la famille aux intérêts de l’État. Le but était la création d’un nouveau modèle, soit la « famille socialiste », fondée sur l’égalité entre hommes et femmes et dans laquelle la solidarité familiale était remplacée par une forme de solidarité sociale contrôlée par les mécanismes étatiques. Pourtant, le gouvernement communiste roumain a été obligé de tenir compte de toute une série de facteurs contraignants, liés au contexte culturel social et politique local. Dans le cas de la Roumanie, la famille paysanne traditionnelle49, attachée à la propriété privée et solidement structurée par des solidarités

internes, apparaît comme l’un des plus importants facteurs de résistance au nouveau régime et un obstacle majeur à la mise en place d’une idéologie subordonnant tous les intérêts à ceux de la lutte de classe et au loyalisme au parti et à sa cause (Mezei, 1991).

À partir de 1948, les dirigeants communistes roumains dressent les points principaux de la reconstruction politique de la vie familiale, surtout en matière de population. Dans l’optique communiste, la taille de la nation est directement liée à sa puissance, la diminution de la natalité étant considérée comme un obstacle majeur à la modernisation de la société. Selon la propagande, une natalité élevée assure et maintient la jeunesse, la vitalité et la force de la nation et, dans cette logique, la croissance démographique devient une question d’« honneur et une obligation pour chaque famille et pour tout le peuple » (Betea, 2004 : 256). Le souci de l’État à l’égard de l’évolution démographique pousse à l’adoption de politiques pronatalistes coercitives. Une des premières mesures est la promulgation, en 1948, d’un article du Code pénal stipulant la criminalisation de l’interruption de grossesse. Ainsi, les indicateurs démographiques seront à un niveau élevé durant les premières années après 1950 (Brezeanu- Staiculescu, 2006)50, cette situation étant en partie liée aussi à la tendance européenne de cette

époque qui visait à revaloriser la natalité pour récupérer les pertes humaines causées par la Seconde Guerre mondiale (Muresan, 1996 : 821). Mais, dans le contexte de la Roumanie, cette situation a eu aussi une forte connotation politique, s’inscrivant dans la logique

49 La paysannerie représentait en Roumanie 76 à 78 % de la population entre les deux guerres; il s’agissait d’un

groupe homogène qui échappait au contrôle de l’État.

50 Les études dont on dispose évoquent une évolution contrastée de la natalité au cours du XXème siècle. Durant

la première moitié du siècle, on observe une forte baisse passant de 42,1 ‰ en 1914 à 19,6 ‰ en 1945, avec une remontée jusqu’au milieu des années 1950 (Brezeanu-Staiculescu, 2006 : 218).

communiste d’augmentation de la force de travail indispensable pour créer une nouvelle base économique.

Dans la deuxième partie des années 1950, la politique concernant la famille connaît une nouvelle orientation. En 1957, par le Décret 463, l’avortement est autorisé sans conditions et les mesures concernant le divorce deviennent plus permissives51. Cet assouplissement du

cadre législatif doit être mis en lien avec la distance que la Roumanie voulait afficher face au modèle soviétique après la mort de Staline, en 1953. Mais, ce relâchement législatif auquel s’ajoutent d’autres facteurs entraînent plusieurs développements. L’influence des normes et des valeurs de la modernité, l’implication des femmes dans les activités économiques, le manque d’infrastructure et des services nécessaires et les problèmes quotidiens auxquels sont confrontées les familles roumaines durant cette période, vont amener entre, 1957 et 1966, au déclin de la natalité, qui diminue de 24 % en 1957 à 14 % en 1966. En 1966, l’indicateur de fécondité était de 1,9 par femme, comparé à 2,7 en 1957, soit sous le seuil de remplacement des générations, compte tenu que le taux de mortalité était également élevé à cette époque (Trebici cité en Mitrofan et Ciuperca, 1998 : 125 ). Vers la fin de la période entre 1958 à 1966, il y avait quatre avortements pour une naissance, cela grâce au relâchement de la légalisation à l’égard de l’avortement, adoptée en 1957. Comme la situation statistique l’indique, la tendance de la natalité à la baisse s’installe en Roumanie. Le déclin de la natalité, auquel s’associe la croissance de la mortalité, va inquiéter le régime socialiste qui considère que la réduction de la population a des conséquences défavorables sur le développement économique et implicitement sur les efforts de modernisation de la société.

51 Ces mesures législatives amènent à la baisse de l’indicateur conjoncturel de fécondité (nombre d’enfants par

femme) de 3,17 en 1950 à 3,09 en 1955 pour ensuite descendre à 2,33 en 1960. Cette tendance à la baisse va se maintenir jusqu’en 1965 quand elle sera de 1,9 enfant par femme (Ghebrea, 2000 : 24). Les effets des changements législatifs s’observent aussi dans la diminution de taux général de fécondité qui descend de 89,9 enfants nés vivants pour 1000 femmes en 1956, à 73,9 enfants nés vivants pour 1000 femmes en 1960 (Anuarul statistic al Romaniei, 1998 : 86). Le taux brut de natalité est de 26,2 enfants nés vivants pour 1000 habitants en 1950 et de 25,6 enfants nés vivants pour 1000 habitants en 1955, pour ensuite diminuer à 19,1 enfants nés vivants pour 1000 habitants en 1960 (Anuarul statistic al Romaniei, 1998 : 75). Il faut noter, que dans la pratique des démographes et des statisticiens en Roumanie, le « taux brut » de natalité est rapporté à 1000 habitants et le « taux général » de fécondité est rapporté à 1000 femmes. Cependant, les rapports statistiques et les études démographiques présentent les tendances selon les groupes d’âge, mais une étude de cette évolution dépasse l’espace de notre recherche.

2.4.2 La famille à l’épreuve de la politique nataliste coercitive durant l’époque de

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