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Les nouvelles tendances de l’étude du rapport entre famille et société

PARTIE 2 : CADRE CONCEPTUEL ET METHODOLOGIQUE

3.2 Les nouvelles tendances de l’étude du rapport entre famille et société

Les études qui accentuent la valeur de la famille dans la société connaissent, au cours des années 1950 et aussi durant les années 1970, un progrès significatif. Les thèmes abordés s’intéressent principalement à la solidarité dans le couple, à la division des rôles familiaux et

72 Ce discours sur l’émergence de la famille moderne conjugale a suscité des débats liés à la sociabilité familiale

et extrafamiliale, aux problèmes liés à la différenciation des rôles ainsi qu’à la construction d’un nouveau système normatif. Ce schéma explicatif vise d’une part la logique d’organisation de l’univers domestique, la famille étant considérée comme une microsociété et ainsi le thème de l’intégration devient central, étant défini en fonction des interactions et de la division du travail par âge et sexe, le consensus ou le conflit correspondant à une prédominance accordée aux fonctions affectives de la famille. D’autre part, la famille conjugale en tant qu’institution est influencée par l’État qui définit les limites dans lesquelles les droits et les obligations des membres qui la composent peuvent s’exercer.

aux rapports entre l’État et la famille. Les nouvelles approches qui visent le lien entre la famille et la société se regroupent en fonction de deux orientations : la première (sociologique) est centrée sur l’espace conjugal et est associée à la thèse de la désinstitutionalisation, la deuxième vision (ethnologique) privilégie les pratiques de solidarité dans la parenté et aborde l’analyse en termes institutionnels et de normes sociales (Déchaux, 1995).

3.2.1 L’interprétation sociologique qui privilégie le conjugal

La perspective sociologique contemporaine révèle un modèle de famille « relationnelle » qui met l’emphase sur le primat de l’affectif et l’autonomisation des acteurs, et qui manifeste de plus en plus sa dépendance envers l’État (de Singly, 1993). C’est ainsi que se développe la thèse de la désinstitutionalisation de la famille (Roussel, 1989) selon laquelle les mutations de la famille contemporaine, vues dans le contexte plus large du passage de la « société moderne » à la « société postmoderne », sont le résultat du processus de relâchement des normes qui définissaient l’institution familiale. Les nouvelles pratiques familiales dans la société contemporaine s’éloignent des normes sociales imposées, parallèlement à la diminution du rôle de la parenté. Pour certains, cette évolution représente l’affaiblissement des liens sociaux, et ainsi l’existence même de la famille et indirectement la viabilité de la société sont menacées (Théry, 1993). Mais pour d’autres (Kaufmann; Kellerhals, cités dans Déchaux, 1995), la diminution de l’influence de l’institution sur les pratiques des individus ne signifie pas nécessairement un fonctionnement familial libre ou sans règles, mais il implique plutôt la création de nouveaux rôles sociaux et de nouvelles normes relationnelles.

En dépit de ces tendances, les études des transformations récentes de la famille révèlent la pérennité de la structure de la famille élargie, comme entité de l’organisation sociale contemporaine. La complexité des rapports familiaux et l’affirmation de l’importance des échanges entre les membres de la famille mettent en doute l’affirmation de l’autonomie de la famille conjugale et sa rupture avec la parenté. Cela a amené à la réévaluation des approches sociologiques de la famille, tout en considérant que l’industrialisation ne conduit pas forcément à la disparition des liens dans la famille élargie et à l’isolement du couple conjugal

par rapport au réseau de parenté. Sont mises également en cause les approches qui affirment la privatisation de la famille, le repli sur le conjugal et l’affectif. Dans cette optique, la forme conjugale ne peut être considérée comme le seul repère normatif de la famille contemporaine, les réseaux plus larges de parenté devant être pris en considération dans les études actuelles (Déchaux, 1995)73.

3.2.2 Le nouveau « régime de parenté » et la reconnaissance des « solidarités familiales »

Comme nous l’avons déjà constaté, les travaux d’après la Deuxième Guerre mondiale ont continué de soutenir l’hypothèse de la progressive réduction de la taille de la famille, de son indépendance intergénérationnelle ainsi que le « repli conjugal ». Pourtant, à partir des années 1970, les enquêtes empiriques menées dans les pays occidentaux révèlent l’existence d’échanges et d’entraide au sein de la parenté, concluant que la famille nucléaire n’est pas isolée et que l’autonomie ne signifie pas nécessairement la rupture des liens avec la famille élargie. La thématique de solidarité s’impose comme nouvelle catégorie de réflexion non seulement dans la recherche scientifique, mais aussi dans le débat public et dans la décision politique à partir du milieu des années 1980 et ensuite durant les années 1990, dans le contexte marqué par l’instabilité du marché du travail et de la crise de l’État-providence. Dans cette conjoncture, la famille devient par les ressources mobilisées et par ses capacités protectrices un important vecteur de solidarité et de cohésion en jouant un rôle essentiel dans la lutte contre la précarité et l’exclusion sociale (Castel 1991)74. Certains auteurs se

demandent dans ce contexte si le « familisme »75 ne devient pas une norme sociale dans les

sociétés contemporaines (Martin, 2002 : 43).

73 Le concept de parenté dans le contexte que nous le décrivons ici a un sens différent que celui qui définit le

lien parental de la filiation biologique. La signification prise dans notre étude est celle de réseau familial incluant les ascendants, les descendants et les collatéraux.

74 Durant cette période les études consacrées à l’étude du social visent l’insertion/l’intégration ou à l’opposé

l’exclusion/la marginalisation, en faisant référence à l’insertion dans un tissu relationnel et à l’intégration professionnelle par le marché du travail. Le concept de « désaffiliation » qui est mise en place dans ce contexte vise la double forme de fragilisation de l’individu, autant par rapport à la non-insertion ou à la désinsertion professionnelle qu’à la perte de sociabilité et au manque du support familial.

75 Le terme « familisme » dans ce contexte relève d’une construction idéologique qui définit une forme

Les interrogations sur les relations familiales et les « solidarités » au sein de la parenté renvoient vers une vision pluridisciplinaire et exigent la mobilisation d’une diversité d’approches en fonction de la problématique visée. La notion de solidarité est fréquemment utilisée à un double niveau : comme pratique familiale au niveau microsocial et aussi comme institution garante de certaines fonctions nécessaires pour assurer la reproduction sociale, au niveau macrosocial. De cette façon, la perpétuation des réseaux familiaux et de l’existence de la « solidarité familiale » et sa triple fonction économique, domestique et sociale, ouvre une piste de réflexion anthropologique sur la dialectique de la parenté et la solidarité contemporaine (Weber, 2002). Déchaux (1990) avance l’hypothèse de l’émergence d’un nouveau régime de parenté dans les sociétés contemporaines, qui peut être qualifié « d’intimité à distance », un nouveau type de relations qui privilégie une proximité, mais sans des obligations quotidiennes. Dans la perspective économique, les analyses distinguent les forces et la faiblesse des relations familiales entre générations face aux solidarités publiques et en lien avec les principes de fonctionnement du marché concurrentiel (Masson, 2002). Sur le plan politique se confrontent des visions différentes qui visent d’une part la protection collective (plus spécifiquement le lien social et l’appartenance à la collectivité) et d’autre part les formes d’assistance assumées librement (ou pas) par les familles.

Les interrogations épistémologiques révèlent certains inconvénients potentiels dans la définition du concept de la solidarité familiale. Une des critiques vise la conception de l’autonomie et de la préservation de la liberté qui dévalorise toute forme d’obligation et d’intérêts matériels. Ces aspects amènent à une vision holiste de la famille, en présentant les relations familiales et de parenté actuelles plutôt comme un compromis entre tradition et modernité. Cette conception est argumentée par le fait que les relations familiales sont par excellence le lieu de déploiement du mécanisme du don76 qui doit être spontané et non

contraint, et par cela pouvant « réconcilier l’obligation et la liberté » (Martin, 2002).

domestique et sur le système de croyances normatives concernant la responsabilité de l’aide au sein de la famille.

76 Marcel Mauss explique la triple obligation du don par : donner, recevoir, rendre. Pour apprécier le sens et les

fondements de l’entraide et de la solidarité, il faut tenir compte des logiques d’échanges qui sont dépendantes des milieux sociaux et de types de réseaux.

Une autre critique porte sur l’organisation relationnelle de la parenté et concerne l’absence de prise en compte du cadre d’évolution et d’organisation sociale qui en effet conditionne le mode de fonctionnement de la parenté. Le lien familial est marqué par la dimension affective et aussi par les déterminismes matériels, et cela exige une rationalité empirique et analytique qui tient compte de ces deux dimensions. La fragilité relative au concept de solidarité s’explique aussi par référence à la dialectique entre protection collective et les formes de protection assumées ou pas par les familles. Si l’État ne doit pas se déresponsabiliser et transformer la famille en une institution d’assistance, la soumission et la dépendance de l’individu envers le groupe familial limitent les libertés individuelles. Ainsi, comme plusieurs études le montre, la solidarité peut avoir un aspect positif, mais considérée dans la complémentarité et la subsidiarité entre l’État et la famille.

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