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Les études de la famille roumaine durant la période postcommuniste

PARTIE 2 : CADRE CONCEPTUEL ET METHODOLOGIQUE

3.4 La famille et le changement postcommuniste

3.4.2 Les études de la famille roumaine durant la période postcommuniste

Une première modalité d’aborder la famille en Roumanie, après 1989, a été développée dans le cadre des théories générales de la modernité. Dans ces travaux se distinguent deux directions d’analyse : l’une dans la perspective fonctionnaliste vise la différenciation structurelle dans le passage de la famille traditionnelle, élargie, multi générationnelle vers la famille de type nucléaire80, et l’autre concerne les transformations culturelles en référence aux

normes, comportements et valeurs familiales. Le plus important dans ces démarches a été la division entre les espaces sociaux, la tradition étant associée au rural tandis que l’urbain est associé à la modernité81.

80 La grille conceptuelle est fondée sur l’axe tradition/modernité, deux notions qui couvrent deux étapes

d’évolution qui se distinguent par les valeurs, les manifestations et les modes différents d’explication de la réalité sociale. Nous avons présenté dans le chapitre II les changements des fonctions, de rôles et de structures observées dans le passage de la famille traditionnelle à celle moderne.

81 L’urbanisation est assez souvent considérée comme un indicateur important de modernisation. Ce processus a

eu une évolution lente en Roumanie, la population urbaine étant de 21,4 % en 1930 et de 23,4 % en 1948 pour arriver à 48 % en 1977 et à 50 %, en 1988. Le pourcentage maximal d’habitants en milieu urbain est de 55 % en 1997 (Chiribuca, 2004 : 95).

En Roumanie la modernisation tardive fait que le modèle culturel de la famille patriarcale paysanne, reflété dans les mentalités, comportements, valeurs et conditions de vie archaïque et rural, reste persistant jusqu’au début du XXème siècle. Pourtant, durant la période de l’entre- deux-guerres la tendance à la modernisation, même lente, était clairement configurée, mais après l’instauration du régime communiste ce processus a été accéléré en mode forcé par des moyens répressifs. La désintégration du modèle traditionnel suite à cette mobilité sociale forcée imposée à partir des années 1950, n’a pas conduit à l’apparition d’un type de « ménage moderne ». Cette évolution s’est traduite dans la perspective culturelle/habitus par une interférence des modèles qui a fait coexister la tradition avec la modernité. On parle de la famille nucléaire, habitant dans un bloc d’appartements comme espace d’habitation moderne, mais qui entretient des relations de voisinage comme substitut du mode de vie rural. En même temps sont maintenues des interactions fortes à travers des réseaux de support de la famille élargie, ces connexions recomposant en effet l’ensemble des rapports de la famille traditionnelle multi générationnelle (Chiribuca, 2004). Si l’économie de crise et la pénurie de l’époque communiste ont été évoquées pour justifier ce modèle familial, l’influence de la tradition a été également prise en compte. Pourtant, cette situation ne représente pas un argument suffisant pour valider l’hypothèse d’une coexistence permanente entre la tradition et la modernité, étant donné qu’il n’y a pas un seul type d’évolution vers la modernité ; il s’agit plutôt d’une pluralité des trajectoires et d’une variété de destinations (Chiribuca, 2004 : 69- 70).

D’autres analyses développées autour de l’axe tradition/modernité reflètent les transformations culturelles dans la sphère de la famille, visant particulièrement les valeurs, les mentalités et les comportements démographiques. Les études réalisées dans la première décennie postcommuniste montrent qu’en Roumanie prédomine un modèle culturel spécifique avec des accents conservateurs (Popescu, 2003), caractérisé par l’universalité, l’âge précoce du mariage et la division inégalitaire des rôles et des tâches. Le taux modéré de divorces et de remariages et la faible proportion de célibataires montrent l’attachement envers les valeurs

familiales82. Les recherches récentes ont introduit dans l’analyse la variable postmoderne qui

inclut des formes de conjugalité autres que la famille nucléaire, l’individualisme et la libéralisation des comportements sexuels. Mais ces manifestations « postmodernes » n’ont pas une popularité dans l’opinion publique roumaine83, ce qui permet de conclure que

l’accomplissement humain reste encore dépendant de la vie de famille (Ghebrea, 2000). Pourtant, vu le manque de configuration des cadres conceptuels concernant les explications des changements multidimensionnels de la famille, il est difficile de conclure à la reconfiguration du modèle familial après 1989 en Roumanie. Le critère d’âge induit une différenciation, les jeunes générations roumaines étant dans un processus de libéralisation des valeurs et des mœurs, tout en montrant une certaine ouverture vers des manifestations « postmodernes » en ce qui concerne la sexualité, l’amour, le mariage, les rôles et les relations familiales.

Une nouvelle perspective d’analyse après 1989 en Roumanie essaye de relier la famille aux changements associés à la transition postcommuniste. En relevant l’ambigüité et l’indéterminisme du processus de transition, ces études montrent d’une part la capacité de la famille de faire face aux changements et d’autre part mettent en évidence les dysfonctionnements et les transformations structurelles du groupe familial (Ghebrea, 2000). Le concept à la base de ce modèle est celui d’adaptation dans la situation de catastrophe ou de crise, car effectivement certaines familles perçoivent et vivent la transition comme une catastrophe quasi naturelle, indépendante de leur volonté et de leur contrôle. Bien que cette approche offre des éclairages pour comprendre les conséquences de la transition sur la structure et le fonctionnement de la famille, elle a une portée limitée surtout en ce qui concerne la prédictibilité, puisque à la différence d’une catastrophe (inondation, tremblement de terre, ou guerre) où la durée est déterminée, dans le cas de la transition la dimension

82 Le processus de modernisation est plus avancé en milieu urbain, la mobilité sociale est plus développée, et la

diffusion culturelle plus intense, tandis que dans le milieu rural, étant donné la proportion de population vieillissante, le modèle traditionnel est encore persistant, exprimé par une dimension du ménage plus grande, un mariage plus précoce, une divortialité réduite, une fécondité plus élevée, un célibat peu répandu.

83 Même si après la chute du communisme il y a une diffusion du modèle culturel occidental, les conditions

matérielles et sociales, le degré de l’urbanisation, le développement des services, l’espérance de vie, la mortalité infantile, la taille et la structure des ménages font que la Roumanie garde un écart important par rapport à l’évolution des pays occidentaux.

temporelle reste indéterminée. Dans le même ordre d’idées d’autres études ont mis en évidence les valeurs qui assurent la cohésion de la famille dans cette période de bouleversements socio-économiques (Asay, 1998). Appuyées sur un appareil méthodologique qui permet l’étude en profondeur (observation participante et l’entrevue), ces études apportent une information riche, mais leur portée reste limitée en raison de nombre réduit des cas à l’étude, ce qui ne permet pas la généralisation des résultats.

L’expérience de la famille roumaine en transition a été analysée aussi dans la relation entre l’espace public et l’espace privé (Mezei, 1997 ; Kligman, 2000; Gal et Kligman, 2003). Cette réflexion tend à expliquer la construction idéologique et la production normative à partir de l’articulation entre le champ du pouvoir et la famille, pour dégager les prémisses des phénomènes et des processus sur lesquels pourra s’appuyer la reconstruction sociale et politique de la société postcommunistes. Avant 1989, la relation entre l’État et la famille en Roumanie a été complexe, la famille étant d’une part l’instrument par lequel l’État exerçait des représailles84 et le contrôle85 de la population, et d’autre part elle était l’espace de survie

quotidienne, de refuge et résistance contre le pouvoir dictatorial (Gal et Kligman, 2003). Ce retrait de l’individu dans l’univers familial a renforcé l’opposition entre la sphère privée et, la sphère publique, et a amené à un manque de confiance envers la sphère publique.

Après 1989, la relation entre la famille et l’État reste divisée. Le manque de confiance dans les institutions étatiques, le paternalisme qui a infantilisé la population et l’individualisme familial manifesté durant le communisme ont eu des conséquences politiques et sociopsychologiques qui ont empêché la manifestation de l’esprit civique et l’engagement dans les affaires publiques (Mezei, 1997). Dans la perspective de la reconstruction de la société civile, cette passivité et l’incapacité de transcender l’intérêt de la famille pour obtenir le bien commun, pourraient être interprétées par ce que Banfield (1958) a nommé le « familialisme amoral ». Il s’agit d’une mentalité orienté par l’ « ethos familial » qui empêche la participation civique, étant en même temps un obstacle au développement d’une une

84 Même si une seule personne était visée, les représailles s’étendaient à tous les membres de la famille.

85 Les mesures démographiques, la maternité obligatoire jusqu’au contrôle intrusif sur le corps des femmes dans

économie industrielle et d’un système politique démocratique86. Mais, la perspective de

division entre public et privé pose une série de problèmes théoriques et méthodologiques, étant donné la dualité des valeurs qui oppose un double référent : le rapport individu-société et la relation culture-personnalité. Cette double valeur culturelle et individuelle fait que les individus contribuent d’une part à maintenir une configuration sociétale donnée même si en même temps ils agissent comme agents de changements de cette configuration (Ilut cité dans Chiribuca, 2004 : 142).

3.5 La structuration de la trajectoire familiale au cours de la transition

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