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PARTIE 3: L’ANALYSE DES RESULTATS DE L’ENQUETE DE TERRAIN

5.2 La stratégie familiale de repli

5.2.3 Un parcours familial postcommuniste chargé de difficultés

La définition de la situation actuelle

Le troisième exemple de ce groupe est représenté par un couple qui constitue une sous- catégorie, mais à la différence des deux premiers cas où la situation socio-économique a été précaire durant les périodes avant et après 1989, pour ce couple le niveau économique durant la période communiste a été relativement bon et stable. Une autre différence consiste dans le flux des échanges et de l’entraide. Si, dans les premiers cas, l’entraide venait de réseaux extérieurs, dans ce cas il s’agit d’un échange réciproque parents-enfants et enfants-parents. Les aspects qui nous conduisent à classer cet exemple dans cette catégorie sont la similarité avec deux autres cas en ce qui concerne les ressources qui proviennent de l’économie familiale, de l’héritage et des activités informelles. Une autre similarité consiste dans l’évolution postcommuniste qui n’a pas favorisé l’intégration sociale et économique de cette famille.

L’âge de membres de la famille Iorgulescu se situe entre 63 et 68 ans, et ils sont tous deux à la retraite. Ce couple habite dans une ville près de Bucarest et a un fils marié dans la même ville et une fille célibataire partie en Espagne. Les ressources financières soit la pension de retraite de M. Iorgulescu, d’un niveau moyen, et la pension de retraite de sa femme d’un niveau très bas, ne couvrent pas leurs besoins; les deux se déclarent insatisfaits. Pour arrondir les revenus de la famille afin de couvrir les dépenses, Mme Iorgulescu garde deux enfants d’un jeune couple de leur réseau d’amis, contre rémunération. Ils ont aussi une garçonnière reçu en héritage de la mère de M. Iorgulescu, qui est louée et constitue une source supplémentaire de revenus. Malgré que les Iorgulescu aient reçu des terrains en héritage, ces derniers sont loin de la ville où ils habitent et difficilement exploitables en raison d’un manque de moyens mécaniques. Ils ont laissé l’exploitation de ces terrains aux autres membres de leur famille restés à la campagne. Selon M. Iorgulescu ces terrains n’apportent pas de revenus pour son couple.

Avec leurs pensions de retraite, les Iorgulescu couvrent seulement les frais d’électricité, de chauffage et de téléphone. Ils doivent donc trouver une solution de compromis pour couvrir les frais de leur habitation, de la nourriture, des médicaments et des autres besoins de stricte nécessité. Pourtant, comme dans les autres exemples, ils sont contents parce qu’ils ont pu bénéficier des modifications de la loi et acheter après 1989 leur appartement où ils vivaient comme locataire de l’État. Leur appartement est composé de trois pièces, d’une salle de bain et d’une cuisine. L’espace est satisfaisant, mais leurs ressources limitées n’ont pas permis d’améliorations.

La fille des Iorgulescu, partie en Espagne, leur envoie parfois des petites sommes d’argent. Mais elle non plus ne dispose de beaucoup de moyens, affirment ses parents. Elle a fait des études de journalisme en Roumanie, mais en Espagne elle occupe des emplois non qualifiés; on ignore exactement comment elle se débrouille. Mais elle aide ses parents, sporadiquement. En même temps, Mme et M. Iorgulescu en tant que grands-parents gardent à certaines périodes les enfants de leur fils. Il y a des périodes où leur belle-fille part elle aussi travailler à l’étranger, en Italie, et pendant ces périodes Mme et M. Iorgulescu s’occupent de la garde de leurs trois petits-enfants.

Avec une vie chargée d’obligations comme celles d’occuper des petits emplois pour gagner leur vie et pour aider leur fils, les Iorgulescu ont renoncé aux loisirs et vacances. Mais cela c’est fait également en raison surtout du manque de ressources économiques. En ce sens, M. Iorgulescu affirme que, alors qu’ils sont à la retraite, ils pourraient faire des voyages, visiter des sites historiques, mais lui et sa famille n’ont pas la possibilité financière. Comme il le dit: « ce que nous n’avons pas vu avant 1989, maintenant nous n’avons plus la possibilité de le voir. Beaucoup des gens en Roumanie ne peuvent plus se permettre de voyager, même pas les jeunes. »

Le parcours de vie familiale de l’époque communiste à la période postcommuniste

Pour les deux membres de cette famille, la profession a été très importante et est vue comme une valeur fondamentale. Par rapport au parcours professionnel, M. Iorgulescu fait une mise au point en reprenant sa trajectoire depuis l’école professionnelle. Il nous a raconté comment, dans les années de l’après-guerre, lors d’une période économique difficile, l’État communiste donnait une aide matérielle substantielle aux enfants provenant de la campagne pour former des cadres industriels. Comme d’autres de sa génération, M. Iorgulescu a suivi la tradition de son père en devenant ouvrier. C’est dans le contexte de son emploi qu’il a connu sa femme qui était technicienne dans la même usine. Ils se sont mariés dans la deuxième moitié des années 1960.

En tant que jeune couple, ils ont habité dans un foyer appartenant à l’usine mais où ils n’avaient pas de bonnes conditions de vie. Ils ont cherché un emploi dans une autre entreprise où ils ont obtenu une maison entourée d’un petit jardin et située à proximité de l’usine. C’était une sorte de colonie compacte où habitaient plusieurs ouvriers de la même entreprise. Mais comme l’affirme M. Iorgulescu: « il y avait tout ce qu’il fallait. » Leur premier enfant est né dans ces conditions, à la fin des années 1960. Au fur et à mesure que l’usine prenait de l’ampleur, ils ont obtenu un appartement du fonds de l’État « comme tout le monde le recevait à l’époque », selon les paroles de M. Iorgulescu.

Les membres de ce couple se déclarent satisfaits de leur vie et de leurs activités durant la période d’avant 1989. M. Iorgulescu affirme :

« J’ai été très satisfait, même si je pouvais suivre les cours d’une faculté moi je me contentais d’une école de métiers, et la pratique de ce métier m’a donné tout ce dont j’avais besoin : une maison, la possibilité d’avoir une voiture, et de très bonnes conditions de vie. »

M. Iorgulescu a pris sa retraite au début des années 1990. On observe, dans cette trajectoire, que la sécurité de l’emploi et du logement est une caractéristique des ouvriers de l’époque communiste, souvent évoquée. M. Iorgulescu a travaillé dans cette usine jusqu’au début des années 1990 quand il a pris sa retraite.

Pour Mme Iorgulescu, restée active sur le marché du travail après la retraite de son mari, la période postcommuniste est caractérisée par des mécontentements à propos de son emploi. Elle a travaillé comme technicienne dans la même usine que son mari. Si jusqu’en 1989, elle a été en quelque sorte satisfaite de son emploi, après cette date, elle a ressenti beaucoup de stress et d’ennuis. Elle nous a présenté cette situation ainsi:

« Mon mari a pris sa retraite avant moi, il n’a pas senti vraiment cet état de stress, mais moi je l’ai senti beaucoup depuis 1989 et jusqu’en 1995, quand je suis entrée en chômage. À la direction de notre entreprise sont arrivés des « parvenus » (…) qui ne te prenaient pas en compte s’ils ne te connaissaient pas (…). Les anciens chefs ont pris leur retraite, et les nouveaux ne savaient pas comment fonctionnaient certaines choses. Ils ont employé leurs relations personnelles, ceux qu’ils connaissaient. Des gens comme moi ont été mis en chômage. Moi j’ai trouvé, à un moment donné, dans mon bureau, quelqu’un d’autre qui avait pris ma place. Il n’y avait plus de place pour les personnes capables, et avec expérience (…) ; le salaire était misérable. Les nouveaux chefs nous ont invités aux négociations, et ils ne négociaient rien; ils mettaient devant nous une décision et nous on devait signer. Une fois, je me suis déclarée mécontente et j’ai refusé de signer, mais finalement j’ai dû signer, je n’ai pas eu le choix (…) C’était effroyable. »

Ces moments de détresse ont envenimé l’atmosphère familiale. Tous les membres de la famille vivaient cette incertitude, cette menace de la perte d’emploi de Mme Iorgulescu. Pour elle et sa famille, cela a été un souci permanent. M. Iorgulescu se souvient de ces moments:

« Quand ma femme arrivait à la maison, et me disait qu’elle était mécontente (…) qu’il y avait du désordre, des injustices, des abus extraordinaires, bien sûr qu’on éprouvait du stress. Mais elle est partie, elle ne pouvait pas supporter, car elle ne pouvait plus continuer à cause des injustices, et cet état, on l’a ressenti, nous tous. »

En ce qui concerne les relations avec la parenté, à la différence des deux couples précédents au sein desquels la relation de solidarité était unidirectionnelle, dans cette famille les échanges et l’entraide entre parents et enfants se développent dans les deux sens. La solidarité est pour cette famille une valeur qui transgresse les générations. Pendant l’époque communiste, quand les deux membres du couple travaillaient, la mère de Mme Iorgulescu gardait les enfants. Après que la mère de Mme Iorgulescu ait pris sa retraite, ce fut elle qui s’occupait des petits- enfants. Elle prenait en charge d’autres tâches telles les tâches, ménagères dans la maison de la famille Iorgulescu.

Mme Iorgulescu se rappelle également de l’aide précieuse que sa mère a donné à la famille durant la période de crise alimentaire des années 1980, aidant à faire face aux difficultés qu’il fallait surmonter pour assurer l’équilibre et le fonctionnement de leur famille. Pour se procurer les produits alimentaires de base, il fallait attendre des jours, dans de longues files d’attente. Comme l’affirme Mme Iorgulescu: « pour le lait par exemple, moi je me réveillais très tôt, ou quand ma mère était chez nous, comme moi je devais aller au travail ma mère, la pauvre, attendait plusieurs heures pour acheter un litre de lait. »

Tout comme nous avons constaté une transmission de l’héritage ou de valeurs symboliques comme le métier, il nous faut remarquer cette transmission de pratiques d’une génération à l’autre. Les parents de Mme Iorgulescu ont aidé la famille, et actuellement la famille Iorgulescu aide leur fils; plus précisément ils gardent leurs petits-enfants pendant la période où leur belle fille part en Italie pour travailler. Mme Iorgulescu explique ainsi la situation:

« Notre belle-fille était partie quatre mois en Italie pour travailler. Nous avons habité chez eux et nous nous sommes occupés de tout ce que fait une mère dans la maison. Nous avons gardé les enfants, on a aidé le petit-fils à faire ses devoirs, moi je fais la cuisine, et le ménage. Nous les appuyons quand ils en ont besoin. »

La structuration des transformations postcommunistes

Nous observons dans ce cas un parcours de vie satisfaisant par rapport aux revenus et à l’emploi avant 1989. En revanche, la période postcommuniste est caractérisée par certaines difficultés et mécontentements autant au plan professionnel qu’au niveau économique. Les bouleversements vécus par Mme Iorgulescu après la privatisation de l’entreprise ont marqué son parcours après 1989. Au niveau des ressources économiques, la pension de retraite des deux membres du couple est insuffisante pour couvrir les besoins, et ainsi la famille Iorgulescu doit faire un « bricolage » des ressources pour assurer leur survie. Parmi ses ressources, on compte la garde des enfants, qui ne se déroule pas dans un cadre officiel, pouvant ainsi la classer comme travail au noir. L’héritage a aussi une contribution aux revenus familiaux. Par exemple, la garçonnière louée apporte un petit revenu.

Une autre contribution économique vient de leur fille partie à l’étranger. L’entraide intergénérationnelle est une source relationnelle importante pour l’équilibre familial. Il représente une valeur familiale qui a une continuité. Ainsi l’aide que la famille Iorgulescu accorde à son fils et à leurs petits-enfants est particulièrement importante. Un autre aspect qui a marqué le parcours postcommuniste de cette famille a été l’accès à la propriété par l’achat de l’appartement après 1989. En ce qui concerne les loisirs et les vacances, ceux-ci ont diminué considérablement pour des raisons économiques. Les représentations que les membres de ce couple se font des changements postcommunistes, sont négatives à l’égard de la période postcommuniste et sont nostalgiques pour la période d’avant 1989.

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