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PARTIE 3: L’ANALYSE DES RESULTATS DE L’ENQUETE DE TERRAIN

5.2 La stratégie familiale de repli

5.2.2 La famille monoparentale : la survie très difficile

La définition de la situation actuelle

Cette famille est composée d’une femme âgée de 70 ans, Mme Asavei, qui a trois enfants mariés. Cette femme a divorcé quand elle était très jeune. Elle avait 24 ans lors de son divorce, et après cet épisode, elle a pris en charge toutes les responsabilités de sa famille. Présentement, elle et ses trois enfants mariés vivent dans la capitale à Bucarest. Ce cas, comme celui de la famille Bujor, en est un d’une famille qui éprouve actuellement de fortes difficultés économiques. En réalité, ces difficultés se sont accumulées tout au long de la trajectoire de la famille. L’aggravation progressive de la situation matérielle de cette dernière a été accompagnée d’un risque de marginalisation et de précarisation, qui a rendu très difficile son intégration sociale.

Mme Asavei, maintenant à la retraite, a reçu des qualifications minimales après son école secondaire avant 1989, en travaillant comme couturière. Présentement, le montant de sa pension de retraite est très bas et ne permet pas de couvrir ses besoins. Pour contrecarrer les risques économiques et sociaux, elle emploie dans sa stratégie de vie diverses ressources. D’abord, elle trouve des solutions qui dérivent de l’économie domestique. Comme elle nous a dit: « je fais une jupe, une dentelle; plus que ça, je ne peux pas, car ni l’âge, ni la santé ne me le permettent. » En même temps, elle réalise des petits travaux d’entretien dans le bâtiment où elle habite pour gagner un peu d’argent. Pour arrondir les revenus, elle a loué à un étudiant

une chambre, car elle a une grande maison, très spacieuse dans une zone assez centrale de Bucarest; il y a trois pièces assez grandes, une salle de bain et une cuisine.

Malgré ces solutions sporadiques, Mme Asavei reste très dépendante de l’aide de ses enfants. Mais le réseau d’entraide, comme elle nous le fait comprendre, implique (à côté de ses enfants) d’autres personnes dont des amies. Elle déclare que ses enfants ou des amies l’aident pour survivre: « chaque mois un de mes enfants paie l’électricité, l’autre paie le chauffage. » Les relations avec les autres membres de la parenté ne sont pas développées. Pourtant, elle reçoit l’aide de ses amies qui constitue un support économique et relationnel important. Ce sont en fait les enfants de ses amies qui ont une bonne situation financière et qui peuvent l’aider quand elle en a besoin. Ainsi, durant une certaine période, un des proches de Mme Asavei lui a payé les médicaments; une autre fois, l’étudiant qui habitait chez elle a acheté la nourriture.

Le parcours de vie familiale de l’époque communiste à la période postcommuniste

Cette femme a élevé depuis sa jeunesse, toute seule, ses trois enfants. Les ressources matérielles ont été très limitées et la situation très critique avant et après 1989. Son mari ne l’a jamais aidée après leur divorce et les autres membres de la parenté ont été peu présents tout au long de son parcours. Ayant une qualification minimale, Mme Asavei a disposé pendant les deux époques d’un salaire insuffisant pour faire face aux besoins de sa famille. À cause de son état de santé, elle a été contrainte d’alterner les périodes actives et inactives sur le marché du travail. Mais l’indemnité de maladie était d’un montant très faible. Ainsi, malgré son état de santé précaire, il était préférable pour elle de travailler pour toucher son salaire. En même temps, il a été très difficile d’assurer la conciliation entre le travail et la famille. Sur ce fait, elle nous dit: « mais comment faire face à la situation ? J’avais ces trois enfants. Ils étaient à un âge où ils avaient besoin de moi. »

Les efforts de Mme Asavei pour élever ses enfants ont été très grands pendant l’époque communiste, malgré certaines opportunités mises en place par l’État communiste afin d’encourager la natalité. Elle résume la situation ainsi:

« J’ai passé des nuits blanches pour la survie et pour pouvoir gérer la situation. Les trois enfants ont été à l’école et j’ai été obligée au début de les laisser dans un foyer pour enfants pendant la semaine, depuis le moment où ils avaient trois ans, jusqu’à ce qu’ils soient partis à l’école; mais même là-bas je prenais soin d’eux. »

On observe également l’implication des enfants dans certaines tâches à l’intérieur du foyer, enfants qui ont pris des responsabilités depuis leur jeune âge. Après 1989, même si les enfants étaient déjà adultes, ils ont tous éprouvé de fortes difficultés économiques et sociales. La situation critique se transmet d’une génération à l’autre et se perpétue d’une époque à l’autre. Les conditions de vie se dégradent après 1989 à cause aussi de l’état de ses enfants : la fille de Mme Asavei a perdu son emploi après plus de vingt-cinq ans de travail; son beau-fils souffre d’une maladie incurable; un de ses fils a divorcé et elle n’a pas de très bonnes relations avec lui. On observe aussi dans cette famille la cohabitation ou le retour à la cohabitation temporaire. Mme Asavei a cohabité durant de courtes périodes avec ses enfants après le mariage de chacun d’entre eux jusqu’au moment où ils pouvaient s’installer dans leur maison.

En comparaison avec le cas des Bujor qui avaient une appréciation positive envers la période communiste même si leur situation a été toujours critique, Mme Asavei déclare que sa souffrance et son ennui sont continus durant les deux époques. Ainsi, elle a beaucoup souffert avant 1989 et elle souffre jusqu’à présent. Elle ne voit pas vraiment de changements positifs dans la société. Elle est très mécontente de l’augmentation des prix, de l’inflation, de sa pension qui n’est pas en corrélation avec ces changements. Les charges de la maison dépassent de beaucoup les moyens dont elle dispose. Le seul changement positif, après 1989, a été l’achat de sa maison. Elle a habité depuis sa jeunesse comme locataire auprès de l’État, tandis qu’après 1990, lors de changements dans la législation dans ce domaine, avec l’aide de ces enfants, elle a réussi à acheter la maison. Pourtant, elle n’a pas réussi à faire des rénovations ni des améliorations, car les ressources disponibles ne le lui permettent pas. Quant aux loisirs, compte tenu de la situation économique critique pendant tout son parcours de vie, elle n’a pas eu de vacances, ni avant ni après 1989.

La structuration des transformations postcommunistes

La vie monoparentale a représenté pour Mme Asavei et pour ses enfants une source de problèmes économiques et relationnels continus. L’intégration sociale a été difficile avant 1989 et a continué de l’être après cette date. L’alternance congés médicaux-travail en raison de sa maladie, a rendu la réintégration sur le marché du travail très difficile et a réduit ses ressources matérielles. Ces contraintes ont conduit à la nécessité de trouver d’autres moyens de survie, comme l’économie domestique, avec la couture à la maison, des travaux ménagers et la sous-location dans sa maison. Après 1989, la situation est plus critique en raison de l’âge de Mme Asavei. La mobilisation des ressources relationnelles extérieures à la parenté, dont la contribution des amies, est indispensable pour la survie. Pourtant, cette aide qui a, comme dans la famille Boujor, une seule direction, provient des réseaux de parents et des amis. Cette solidarité à dimension économique est sporadique, sans être vue comme une obligation, ou comme une dette. C’est une entraide faite dans l’esprit de l’altruisme et de la charité.

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