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2.2 La famille comme unité de l’ordre social

2.2.2 Les fondements du rapport entre la famille et l’État

Depuis le XIXème siècle, le rapport entre la famille et l’État est au cœur de nombreuses analyses en sciences sociales. Ainsi, Le Play, Durkheim, Comte et Tocqueville mettent en relation le modèle familial et l’ordre politique, en prenant également en considération la responsabilité de la famille dans la transmission des normes et des valeurs sociales (Comaille et Martin, 1998). Influencée par l’idéologie de la modernité, l’intervention étatique devient de plus en plus prégnante dans la sphère familiale l’objectif étant la lutte contre l’instabilité économique, la marginalisation et les risques sociaux résultant des processus d’industrialisation et d’urbanisation (chômage, appauvrissement des campagnes). C’est en raison de cette volonté de réduire les inégalités sociales et les risques sociaux, que des mesures de redistribution du revenu (droits sociaux) vont être pensées et puis appliquées. Fondées sur le principe de justice sociale, elles composent une partie de ce qui a constitué après la Seconde Guerre mondiale l’État-providence (Valois, 1993). Il s’agissait, en effet, de mesures déployées par les pouvoirs publics pour assurer tant la protection des individus que le maintien de la cohésion et de l’ordre social (Castel, 1991 : 27).

Notons aussi que la relation entre l’État et la famille se présente sous deux formes complémentaires : le droit civil et le droit social. Le droit civil inclut des dispositions

concernant les réglementations sur l’organisation de la famille en tant qu’institution sociale35.

La protection sociale de la famille se réalise dans le champ du droit social à travers des mesures spécifiques regroupées sous le nom de politiques familiales et qui désignent l’ensemble des réglementations ayant comme objectif le « bien-être des familles » (Gauthier, 2002). Les objectifs des politiques familiales ont deux volets: le premier vise l’élaboration de politiques familiales orientées vers la hausse de la natalité, exigeant en conséquence la mise en œuvre de mesures adéquates de support économique; le deuxième favorise l’instauration de mesures de protection sociale destinées à l’amélioration de la qualité de vie de l’ensemble des familles, dont l’effet sur la natalité n’est qu’indirect (Valois, 1993 : 297-299). Les dispositifs des politiques familiales incluent les prestations directes telles que les allocations familiales36. Aux prestations monétaires et à l’action sociale, il convient d’ajouter d’autres

aides situées à l’intersection de politiques relatives au logement, à l’éducation, à la santé ou à la lutte contre la pauvreté (Damon, 2006)37.

Plusieurs approches ont été développées pour saisir le degré d’implication et la conception des responsabilités gouvernementales vis-à-vis des familles. Dans une analyse comparative38

incluant plus de vingt pays occidentaux, Anne Gauthier (2002) étudie, à partir des typologies des États-providence39 réalisées par Esping-Andersen, les indicateurs concernant les dépenses

35 Le droit civil inclut des réglementations portant sur les relations entre époux, entre parents et enfants et

légifère principalement les réalités sociales liées au mariage, au divorce, à la séparation, à la cohabitation, à l’alliance et la filiation, aux rôles parentaux, aux droits des enfants, à la formation des ménages et aux relations sexuelles.

36 D’autres mesures de support aux familles découlent du droit du travail notamment le congé parental et

l’horaire flexible au travail. À cela s’ajoute des dispositifs fiscaux prévoyant diverses réductions d’impôts.

37 Notons qu’il y a aussi d’autres équipements sociaux comme les crèches, les garderies ou les centres sociaux.

Sans oublier l’existence de programmes visant le renforcement de la vie familiale via l’éducation, la contraception et la protection contre les maladies sexuellement transmissibles, ainsi que les services de médiation familiale et ceux axées sur la lutte contre la violence conjugale.

38 Les réformes amorcées dans les années 1970 renforcées ensuite dans les années 1980 et 1990, présentent deux

caractéristiques : d’une part, la réduction des dépenses sociales du système de protection sociale et d’autre part, l’emphase mise sur la nécessité d’introduire plus de cohérence dans les prestations sociales destinées aux familles. Ces réformes s’insèrent dans un contexte sociopolitique précis marqué par des défis auxquels doit faire face l’État-providence à savoir l’évolution démographique, le changement du contexte économique sous l’impact des récessions successives, l’émergence du marché commun européen et enfin la globalisation de l’économie mondiale.

39 Voire à ce sujet Martin, Claude, « La comparaison des systèmes de protection sociale en Europe. De la

classification à l’analyse des trajectoires d’État providence », Lien social et politiques-RIAC, 37 Printemps 1997, p. 145-155.

par famille et l’impact de ces mesures40. Ainsi, l’auteure distingue le modèle « social-

démocrate » prédominant dans les pays scandinaves, qui se caractérise par un niveau élevé d’aide aux parents qui ont un emploi rémunéré et aussi, par un fort engagement pour garantir l’égalité des sexes. D’autres pays comme l’Allemagne, la France et les Pays-Bas développent un régime plutôt « conservateur », qui implique un niveau moyen d’aide aux familles, selon le statut d’emploi des parents, en mettant aussi l’accent sur la vision plus traditionnelle de la division sexuelle du travail. Un troisième modèle, présent dans des pays comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal est caractérisé par un clivage à l’égard du statut professionnel, étant en effet une combinaison de services et de prestations publiques et privées. Enfin, le régime « résiduel » ou « libéral » se retrouve au Royaume-Uni, en Suisse, en Australie et aux Etats-Unis, et se caractérise par un faible niveau d’intervention de l’État, réalisé uniquement auprès des familles les plus pauvres, en laissant la place aux forces du marché, surtout en ce qui concerne la garde des enfants.

Or, ces études comparatives présentent des limites quant à la pertinence des typologies des systèmes de politiques familiales, comme c’est par exemple le cas des pays définis comme libéraux où on retrouve des politiques familiales très différentes d’un pays à l’autre, d’où la nécessité de se pencher sur d’autres dimensions dans la recherche (Gherghel, 2005). Ainsi, Dandurand et Kempeneers (2002), dans une étude comparative sur les enjeux des politiques sociales, prennent en compte les caractéristiques contextuelles en mettant l’accent sur les éléments liés aux traditions culturelles et historiques, les normes qui guident les rapports intrafamiliaux et les définitions de la famille, les aspects sociodémographiques qui révèlent des changements dans les pratiques familiales, et enfin la dimension sociopolitique qui met de l’avant l’intervention de certains acteurs sociaux. L’intérêt de ce type d’analyse comparative repose sur la mise en valeur des liens entre les différentes dimensions qui s’articulent autour de la création des systèmes de politiques familiales.

40 Il s’agit des allocations familiales, déductions fiscales et l’aide aux parents qui ont un emploi, notamment les

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