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La stratégie familiale comme déterminant dans la construction

PARTIE 2 : CADRE CONCEPTUEL ET METHODOLOGIQUE

3.6 Stratégie et projet: deux concepts privilégiés

3.6.1 La stratégie familiale comme déterminant dans la construction

autour de différents axes, comme par exemple la division individu/famille, famille/travail, famille/développement économique. Nous avons retenu quelques définitions89. Ainsi, la

stratégie peut être définie comme le résultat d’accords et de compromis entre les membres de la famille afin de produire un effet optimum sur les ressources familiales (Carbonero- Gamundi, 1996 : 295 ). En prenant en compte la construction du mode de vie familial, le concept de stratégie est interprété en fonction des opportunités et des moyens qui influencent les pratiques familiales (Menahem, 1985 : 74). Dans le contexte social changeant, les stratégies sont analysées par rapport aux expériences, attitudes, représentations et pratiques d’ajustement aux environnements mises en œuvre par les acteurs familiaux (Vatz-Laaroussi, 1994 : 76).

Pierre Bourdieu en reconnaissant aux acteurs la capacité de développer des stratégies, propose une interprétation à partir du concept d’habitus, défini comme « principe générateur et organisateur de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée consciente des fins et la maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre » (Bourdieu, 1973 : 88). Le concept de stratégie familiale est aussi employé dans l’analyse et la compréhension des différents modèles de développement économique. Si dans la vision structuro-fonctionnaliste parsonienne, la modernisation réduit la famille à sa structure nucléaire qui perd toute importance économique et devient un simple instrument de la reproduction culturelle et économique de la société, la persistance des relations privilégiées avec la parenté devient antithétique aux besoins de l’économie moderne. Ainsi, ce « familialisme et particularisme » est vu comme un trait typique des sociétés archaïques et arriérées, et est considéré un échec de la modernisation (Magatti et Mingione, 1994).

89 Une synthèse des définitions du concept de stratégie qui a inspiré notre travail est celle élaborée par Brais

(2000). Ces quelques définitions rendent compte des principales dimensions inhérentes au concept de stratégie : la poursuite d’un but, d’un objectif ou encore la réalisation d’un projet, la prise en compte des contraintes extérieures, la mobilisation de ressources ou la prise en compte des moyens, la prise de décision.

Il est assez rare que les définitions données aux stratégies prennent en compte le caractère dynamique associé à la trajectoire de vie familiale. Dans cette perspective longue, la stratégie représente non seulement le lien construit par le groupe familial entre son passé, son présent et son avenir, mais aussi la logique des pratiques mises en place au quotidien. Dans l’élaboration des stratégies c’est la praxis pour reprendre l’idée de Giddens, qui détermine le fil conducteur des pratiques quotidiennes à partir d’événements ou de changements dans le cours de la vie. Les pratiques sociales, fondées sur l’expérience sociale, mettent en relief plusieurs logiques d’action des acteurs. Elles représentent, comme la précise Bertaux, la mise en actes ou en d’autres mots, la trace concrète dans la vie quotidienne de la place objective occupée par les acteurs sociaux dans le système socio-culturel (Bertaux, cité en Desmarais, 2010 : 374). En suivant cette logique, pour saisir la dynamique de la stratégie familiale celle- ci doit être reconstituée dans son contexte d’élaboration. Le concept de stratégie apparaît ainsi intéressant dans un environnement social marqué par l’incertitude, comme celui de la transition postcommuniste. Il s’agit d’étudier comment les individus organisent leur présent et se projettent dans l’avenir tout en essayant de «contrôler les zones d’incertitude » (Crozier et Friedberg; Pollak et Hoarau, cités par Brais, 2000).

La stratégie n’est pas clairement conscientisée et réfléchie. Pour la reconstituer, nous avons visé à recueillir des données subjectives fournies par des sujets interrogés sur les événements de leur groupe familial au cours de la transition postcommuniste. Nous nous sommes intéressés non seulement aux évènements crées par les sujets-acteurs (ici les membres de la famille), mais aussi aux évènements extérieurs à la famille, c’est-à-dire les actions exercées par l’environnement, qui sont de nature plus ou moins prévisible mais qui structurent le parcours de vie familiale. Ces évènements constituent comme le souligne Bertaux (cité en Desmarais, 2010), « le noyau commun de toutes les formes possibles de mise en intrigue de l’histoire par les sujets-acteurs ». Tous ces évènements marquants structurent et ordonnent le parcours de vie, car les membres de la famille en tant que sujets-acteurs réagit aux évènements et réorganisent leurs vie en transformant leurs pratiques et aussi leurs représentations (Desmarais, 2010 : 376). Dans cette optique, il y a un « avant » et un « après » qui modifient le parcours biographique. La reconstruction de ce parcours de vie a été fait par le récit de vie qui renvoie d’emblée à « la réalité historico-empirique » et qui comprend non

seulement la succession des situations objectives, mais concerne aussi la manière dont les acteurs familiaux les ont vécues, c’est-à-dire perçue, évaluées et agies sur le moment (Bertaux repris par Desmarais 2010 : 375).

Pour ce faire, nous avons laissé les individus nous parler de leur vécu, de leurs projets, le but étant de découvrir les « raisonnements » de leurs pratiques et de connaître les modifications dans leurs trajectoires de vie durant les années associées à la transition. Notre intérêt portait davantage sur les faits et les actions et, ainsi, nous avons laissé les individus parler de leur vie pour retracer la logique de leurs pratiques. Nous avons également exploré les opinions, les perceptions et les perspectives envisagées. Même si l’accent a été mis sur l’expérience vécue, nous n’avons pas ignoré l’influence des contraintes structurelles exercées par l’environnement social, celles qui opèrent au plan plus ou moins conscient. Ces contraintes objectives, d’ordre matériel, économique, social, culturel, politique, influencent partiellement les choix de comportement, étant ainsi intériorisées sous formes de valeurs ou de prédispositions qui sont relativement durables et spécifiques à chaque société. Ainsi, au delà de l’évaluation du vécu, nous avons demandé des récits de pratiques en situation, méthode qui sera détaillée un peu plus loin.

Cette manière d’envisager la construction de la stratégie familiale s’éloigne de certaines dimensions attribuées couramment à la définition de ce concept. En ce sens, on se distancie du contexte strict de compétition où on suppose que les stratégies sont élaborées en tenant compte du jeu des acteurs. Nous nous écartons aussi d’une vision utilitariste avec comme principal mobile d’action la fonction d’utilité individuelle et on n’accorde pas une attention particulière à la question d’intérêt. Si dans le sens utilitariste comme certains auteurs l’affirment, l’intérêt est vu comme un mobile d’action commun à tous les individus (Brais, 2000), dans notre démarche la notion d’intérêt n’a qu’un rôle réduit, car on n’accorde pas une grande attention aux acteurs individuels et à leur positionnement social. Les aspects liés à l’intérêt que nous retiendrons visent plutôt la structure des représentations et des valeurs en fonction desquelles sont élaborées les stratégies familiales, tout en tenant compte des conditions objectives de la réalité sociale.

3.6.2 La structuration des stratégies familiales dans le contexte de la transition

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