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La famille à l’épreuve de la politique nataliste coercitive durant

2.4 L’évolution de la famille roumaine durant la période communiste

2.4.2 La famille à l’épreuve de la politique nataliste coercitive durant

Avec l’accès au pouvoir de Nicolae Ceausescu débute la période la plus exacerbée de la politique pronataliste, la Roumanie devenant ainsi une exception absolue dans le bloc communiste. À partir de 1966, le régime Ceausescu va instituer un nouveau cadre législatif afin d’accélérer l’accroissement de la population52. Dans l’optique communiste, la force

économique de la nation réside dans sa taille et les mesures adoptées afin de stimuler la natalité sont ainsi pleinement justifiées. On fixe des taux annuels de croissance qui impliquent des mécanismes semblables à la planification du domaine économique (Betea, 2004). Pour atteindre les objectifs natalistes planifiés, le régime adopte, en 1966, le Décret 770 interdisant l’avortement. Les articles de cet acte normatif prévoient des sanctions pénales sévères autant pour la femme qui subit une interruption de grossesse, que pour les médecins ou toute autre personne qui y participent. Le Décret prévoit pourtant quelques exceptions53, par exemple si

la vie de la femme est en danger, si les parents souffrent d’handicaps physiques ou psychologiques graves ou d’une maladie avec la possibilité de transmission héréditaire, si la femme est âgée de plus de 45 ans54, si elle a plus de quatre enfants55 ou si la grossesse résulte

d’un viol ou d’un inceste (Gheonea et Gheonea, 2003 : 187).

L’interdiction de l’avortement a été accompagnée d’autres éléments qui l’ont rendu très répressif, comme l’interdiction de tout moyen de contraception et aussi la suspension d’informations sur le planning familial. En complément, deux autres mesures sont adoptées, toujours en 1966. Il s’agit du Décret 1086, qui prévoit un impôt pour pénaliser les adultes de plus de 25 ans, célibataires ou vivant en couple, sans enfants, et du Décret 779, qui donne au divorce un caractère tout à fait exceptionnel, les procédures devenant limitatives et

52 La mise en place des politiques natalistes est stimulée non seulement par des raisons économiques, mais

comme les témoins l’affirment, Ceausescu avait des motivations plus subtiles, le désir d’être le chef d’un pays de 30 millions d’habitants.

53 Cette procédure d’exception était extrêmement difficile et supposait un examen strict, réalisé par une

commission médicale spécialisée.

54 En février 1972, l’âge la femme (pour l’avortement) passe de 45 à 40 ans.

55 On peut déduire que la famille de quatre enfants devient une norme obligatoire dans la conception du régime

Ceausescu. Les femmes avec une maternité nombreuse recevaient des récompenses symboliques, devenant les mères héroïnes et les héros de la compétition socialiste.

compliquées (Muresan, 1996). Les résultats de cette législation pronataliste et anti-avortement étant peu satisfaisants pour les dirigeants du Parti communiste, deux autres décisions seront prises, en 1973 et en 1984, afin d’introduire des mesures de surveillance et de contrainte. À partir des années 1980, les femmes seront obligées de se soumettre à un contrôle gynécologique périodique, pour les empêcher de mettre fin à leur grossesse. Un fort dispositif de répression se met en place, formé par des professionnels de la santé, la police, la justice et les entreprises. Ainsi, l’aide médicale d’urgence suite à un « avortement spontané » sera accordée seulement après une enquête de la police et de l’autorité judiciaire, la femme étant obligée de dénoncer la personne qui l’a aidée à se faire avorter; dans le cas du refus de dénonciation, la femme ne pouvait pas bénéficier de traitement médical même si elle était dans une situation critique (Kligman, 2000).

Ces mesures coercitives ont eu un impact social significatif, une de premières conséquences56

étant la croissance du taux de natalité qui en 1966-1967 augmente de 14 à 28 enfants nés vivants pour 1000 habitants soit le plus haut niveau des derniers cinquante ans (Mitrofan et Ciuperca, 1998 : 128). Très rapidement, la natalité reprend cependant la tendance à la baisse avec de 21,1 enfants nés vivants pour 1000 habitants en 1970 et de 16 enfants nés vivants pour 1000 habitants en 1989 (Ghebrea, 2000 : 24). Le dynamisme démographique résultant de la politique pronataliste n’était pas accompagné du support approprié, car l’Etat ne disposait pas de ressources et de services nécessaires pour faire face aux cohortes d’enfants nés dans cette période. Ainsi, les conséquences des mesures pronatalistes se reflètent dans l’accroissement de la mortalité infantile et du nombre d’enfants non désirés, les enfants étant abandonnés dans la rue ou dans des institutions de l’État. D’autres conséquences sont la précarisation de la santé et de la qualité de vie, la négligence, les handicaps. Le SIDA s’est

56 Parmi les conséquences de l’application de la politique pronataliste du régime Ceausescu on note aussi la

croissance du taux général de fécondité qui augmente de 55,7 enfants nés vivants pour 1000 femmes en 1966 à 105,5 enfants nés vivants pour 1000 femmes en 1967 et à 102,9 enfants nés vivants pour 1000 femmes en 1968. Par la suite, la tendance est en diminution et va suivre ce cours descendant jusqu’à la fin de l’époque communiste. Ainsi, le taux général de fécondité sera de 81,2 enfants nés vivants pour 1000 femmes en 1970, de 74,8 enfants nés vivants pour 1000 femmes en 1980 et de 66,3 enfants nés vivants pour 1000 femmes en 1989 (Anuarul statistic al Romaniei, 1998 : 86). Un autre effet de la mise en place de ces mesures législatives est la diminution du nombre d’avortements qui descend de 1 112 704 en 1965 à 206 000 en 1967, pour remonter ensuite à 413 093 en 1980 (Brezeanu-Staiculescu, 2006 : 219).

répandu parmi les enfants institutionnalisés, mais ce phénomène a été délibérément mis sous silence, pour ne pas porter ombrage à l’image de l’époque de Ceausescu.

Pour la famille, en général, et particulièrement pour la vie des femmes, les conséquences de cette politique sont dramatiques. Ces restrictions juridiques imposées ont conduit à l’augmentation du nombre d’avortements clandestins, dans des conditions d’hygiène impropres, avec des risques élevés, mettant en danger la vie des femmes ou causant fréquemment la mort. Un chiffre exact des femmes qui ont péri entre 1966 et 1989, suite à des avortements clandestins, est difficile à obtenir, étant donné les procédés du régime communiste de cacher la réalité derrière des statistiques falsifiées. Entre 1965 et 1989, il est estimé qu’environ 10 000 femmes57 sont décédées à cause de complications provoquées par

l’interruption de grossesse, mais ce chiffre n’est qu’approximatif, les médecins étant obligés à l’époque d’enregistrer les décès sous de faux diagnostics (Kligman, 2000). Ces mesures contraignantes, doublées par la détérioration du niveau de vie et des conditions matérielles, ont augmenté l’anxiété et ont eu des effets négatifs sur l’état émotionnel et le développement de la famille.

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