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Selon Wacheux (1996), l’épistémologie peut être appréhendée comme l’approche philosophique de la construction scientifique. Krief et Zardet (2013, p.215) soulignent que l’épistémologie représente « un filtre pour assurer la validité scientifique du travail entrepris et

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guide le chercheur dans une recherche-intervention ». L’épistémologie en recherche- intervention renvoie donc à la relation entre le chercheur et son objet d’étude. De cette relation peuvent se créer des formes de dépendance ou d’interdépendance. La recherche-intervention fournit donc des principes méthodologiques, mais aussi épistémologiques aux chercheurs. En ce sens, Savall et Zardet (2014) montrent que la recherche-intervention diffère des autres méthodologies par l’importance qu’elle accorde à l’action. De ce fait, la mise en place et l’aboutissement d’une recherche-intervention sont directement liés « aux modalités d’accès au terrain » (Château-Terrisse, 2013, p.145).

Les recherches en sciences de gestion ont l’habitude de confronter plusieurs courants épistémologiques différents : le positivisme et la phénoménologie. Le positivisme se caractérise par la mise en place d’hypothèses réalistes et indépendantes de l’objet d’étude. Pour le positivisme, la réalité est donc indépendante du chercheur et celui-ci ne cherche pas à la modifier, mais juste à l’appréhender (D’Amboise, 1996). Dans leurs travaux, Avenier et Gavard-Perret (2012) soulignent que le positivisme comporte trois hypothèses centrales que sont : l’ontologie réaliste, la détermination naturelle et l’épistémologie objective dualiste. Ces hypothèses caractérisent le positivisme comme un paradigme qui considère que le réel est unique (ontologie réaliste), que les résultats de la recherche ont une portée universelle (détermination naturelle), et que le chercheur est neutre, mais aussi indépendant vis-à-vis de son objet d’étude (épistémologie objective dualiste). Cette approche établit donc des liens de causalité entre des faits et une réalité pour généraliser les résultats d’une recherche.

De son côté, la phénoménologie ne recherche pas la généralisation des résultats, mais l’analyse d’un phénomène dans un contexte bien particulier (Wacheux, 1996). Au travers de cette approche, il existe une très forte dépendance du chercheur envers l’objet d’étude. Les travaux d’Essid (2010, p.236) soulignent que l’objectif majeur de la phénoménologique est de construire « une réalité ou une connaissance qui se comprend comme étant la représentation de l’expérience cognitive des individus. En d’autres termes, l’objectif de la phénoménologie est d’aboutir à la description d’un phénomène par celui qui le vit ou l’a vécu ». L’auteur ajoute que la phénoménologie est « une introspection faite par des acteurs sur des évènements antérieurs vécus, pour permettre la conscience, la connaissance puis la transmission des expériences rationalisées ». Nous pouvons décomposer la phénoménologique en deux sous parties : le paradigme interpétativiste et constructiviste (Girod-Séville et Perret, 2001). L’interprétativisme appréhende la connaissance comme dépendante de l’expérience et du vécu des individus. En ce sens, Avenier et Gavard-Perret (2012) réfutent l’existence d’un réel indépendant du chercheur. L’interprétativisme appréhende donc la production de la connaissance comme un élément

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« dépendant de l’environnement, des pensées et des actions des individus guidées par les intentions et les finalités de ces derniers » (Cherkaoui et Haouata, 2016, p.10). Pour sa part, le constructivisme considère que l’objet d’étude ne peut exister que si le chercheur est en mesure de le construire (Largeault et Jean, 1993). Les travaux de Cherkaoui et Haouata (2016, p.9) s’inscrivent dans la lignée de ceux de Glasersfeld (2001), Le Moigne (1995, 2007), ou encore Piaget (1967) pour souligner que le paradigme constructiviste se fonde sur « trois hypothèses fondamentales ». La première renvoie au statut de la connaissance. Cherkaoui et Haouata (2016, p.9) stipulent que celle-ci peut être directement reliée à l’expérience et au vécu du chercheur. Il ne peut donc pas disposer d’une vision du réel au-delà de sa propre expérience du monde. La deuxième renvoie à l’hypothèse phénoménologique. Celle-ci considère que la connaissance scientifique a un rôle déterminant dans le processus de construction du chercheur. Ce dernier ne peut qu’interpréter le monde ou participer à sa construction. La représentation du monde proposé par le chercheur est donc faite « d’interprétation » et la connaissance produite devient « contextuelle et subjective » (Cherkaoui et Haouata, 2016, p.9). Enfin, la troisième renvoie à l’hypothèse téléologique et met en évidence que « la production de la connaissance scientifique suit un processus avant de se produire en résultat, et dans ce processus l’esprit humain, ne sépare pas aisément le connu du connaissant » (Cherkaoui et Haouata, 2016, p.9). Cette troisième hypothèse renforce la vision portée par le constructivisme autour des interactions entre l’objet d’étude et le chercheur.

Le Tableau 5 ci-dessous revient en détail sur les caractéristiques que nous venons de présenter des approches phénoménologiques, interprétativiste et constructiviste.

Partie 2 : chapitre 3 119 Traditions philosophiques Le positivisme La phénoménologie Les positions et questions épistémologiques

Le positivisme L’interprétativisme Le constructivisme Quel est le statut de la

connaissance ?

Hypothèse réaliste Il existe une essence propre à l’objet de la

connaissance

Hypothèse relativiste

L’essence de l’objet ne peut être atteinte (constructivisme modéré ou interprétativisme)

ou n’existe pas (constructivisme radical)

La nature de la « réalité » Indépendance de l’objet et du sujet Hypothèse déterministe Le monde est fait de

nécessité

Dépendance du sujet et de l’objet Hypothèse intentionnaliste Le monde est fait de possibilités

Comment la connaissance est-elle engendrée ? La découverte Recherches formulées en termes de « pour quelles causes ? » L’interprétation Recherches formulées en termes de « pour quelles motivations des acteurs » La construction Recherches formulées en termes de « pour quelles finalités » Le chemin de la connaissance scientifique Statut privilégié de l’explication Statut privilégié de la construction Statut privilégié de la construction

Quelle est la valeur de la connaissance

Vérifiabilité Idiographie Adéquation

Les critères de validité Confirmabilité Réfutabilité Empathie (révélatrice de l’expérience vécue

par les acteurs)

Enseignabilité

Tableau 5 : Les positions épistémologiques en recherche en gestion (Perret et Séville 2003, p.14-15)

La recherche-intervention, de par sa visée collaborative et transformative (Cappelletti, 2009 et 2010 ; Lewin, 1946 ; Van De Ven et Johnson, 2006) se rapproche plus d’une position épistémologique phénoménologique que positiviste. Notre recours à la recherche-intervention pour la création du SCG de la Régie de Montpellier justifie notre inscription dans le courant constructiviste de la phénoménologique. En effet, notre participation au processus de création du SCG de la Régie porte un objectif transformatif où l’influence de notre expérience et notre vision du monde ne peuvent être écartées. Une telle inscription de notre recherche au sein du paradigme constructiviste renvoie aux travaux de Cappelletti (2009). L’auteur souligne le bien- fondé d’une inscription de la recherche-intervention dans le paradigme constructiviste. Pour cela, il revient sur le rôle des approches constructivistes comme source de « coproduction des connaissances » entre « les chercheurs et les praticiens » dans le but de créer des processus d’interactions (Cappelletti, 2009, p.8).

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