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La TNI telle que proposée par Meyer et Rowan (1977), mais aussi DiMaggio et Powell (1983) apporte une représentation plus complète des SCG. Cette nouvelle façon d’aborder les SCG se caractérise par la mise en lumière « d’autres phénomènes que la recherche d’efficience » pour justifier le recours à certaines formes organisationnelles (Boitier et Rivière, 2011, p.82). Les organisations peuvent être amenées à adopter des SCG dans le but d’accroître leur légitimité

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(Colon, 2014). Dans ce cadre, les SCG traduisent certains idéaux (Hasselbladh et Kallinikos, 2000; Scott, 2001), tels qu’une prise en compte des aspects « politiques, mais aussi sociaux » du contrôle de gestion (Boitier et Rivière, 2011, p.82).

La TNI permet une prise en compte de l’influence du contexte social (1.1), des conflits d’intérêt et rapports de pouvoir sur les dispositifs de gestion et le SCG (1.2).

Prise en compte de l’influence du contexte social

Les travaux de Miller et O’Leary (1987) sont parmi les premiers à s’intéresser à la relation entre les dispositifs de gestion et la société. Les auteurs expliquent que la perte de pertinence des dispositifs de comptabilité dans les années 80 n’est pas uniquement liée à des facteurs internes à l’organisation. Des facteurs sociaux et extérieurs à cette dernière sont aussi à prendre en considération : « La comptabilité ne peut plus être considérée comme un processus neutre et objectif. Elle doit plutôt être appréhendée comme une importante partie du réseau des relations de pouvoir qui sont tissées dans la fabrique de la vie organisationnelle et sociale » (Miller et O’Leary, 1987, p.240). Pezet (2005, p.442) souligne que de tels développements placent les dispositifs de contrôle « au cœur des pratiques sociales, instruments de gouvernement de la vie économique, mais aussi des conduites individuelles, au service des idéaux de la nation ». Dès lors, les dispositifs de contrôle sont capables de diffuser au sein de l’organisation les idéaux d’une société. Pezet (2005, p.445) ajoute que l’étude de ces liens entre dispositifs de contrôle et société s’insère dans « une tradition européenne », représentée par les travaux d’Hasselbladh et Kallinikos (2000) ou encore de Lefrancq (2004), autour de l’analyse des dispositifs managériaux sous un angle « socialisé ».

Plus récemment, Boitier et Rivière (2011) appréhendent cette analyse au travers de la TNI, afin de mieux représenter les liens entre le contexte social et les SCG. Ces auteurs soulignent que la possibilité d’une meilleure représentation du « contexte social » de l’organisation figure parmi les « apports fondamentaux de la TNI à la compréhension des SCG » (Boitier et Rivière, 2011, p.82). Ils ajoutent que le contexte social et institutionnel « constituent l’ensemble des structures et des usages qui donnent du sens et de la stabilité au comportement des agents ». Ils poursuivent leurs propos en soulignant que les caractéristiques du contexte social de l’organisation se retrouvent principalement dans des « structures et des usages » qui déterminent le comportement des agents. Ainsi, la promulgation de nouvelles normes sociales se retrouve dans les SCG. Les auteurs démontrent que les SCG mis en place dans un contexte fortement normalisé apparaissent comme « une réponse formelle des organisations aux pressions exercées

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par leur environnement institutionnel ». Cette représentation du contexte social suggère que les institutions portent des dimensions symboliques et culturelles (Scott, 2001).

Dans leurs travaux, Dillard et al. (2004) s’appuient sur l’exemple du cas de General Motors pour souligner les liens entre le contexte social et les SCG. Boitier et Rivière (2011, p.83) ajoutent que la création d’un SCG représente pour l’organisation la possibilité de « rationaliser et renforcer » les opérations sociales. Les auteurs soulignent aussi que la mise en évidence des liens entre les SCG et leurs contextes sociaux permet d’entrevoir les SCG comme « le fruit d’un ensemble d’interactions se jouant au niveau du contexte économique et règlementaire national et européen, au niveau du champ institutionnel dans lequel la maison mère et les consultants ont un rôle clé, et au niveau local au sein de l’organisation ».

Ces travaux appréhendent l’importance des normes du contexte social et institutionnel au sein des SCG. Dès lors, Dillard et al. (2004) soulignent que le contexte social influence les pratiques des organisations, lesquelles peuvent en retour modifier ce contexte social et ses critères d’acceptation des nouvelles pratiques. Les SCG représentent « eux-mêmes des institutions en définissant des normes et valeurs à travers des codifications techniques » (Boitier et Rivière, 2011). Cette perspective nous renvoie aux composantes des dispositifs managériaux définis par Hatchuel et Weil (1992) : un substrat technique, une philosophie gestionnaire et une vision simplifiée des relations organisationnelles. Boitier et Rivière (2011, p.84) soulignent que « les SCG encadrent l’action au sein de l’organisation et déterminent les comportements en s’appuyant sur un cadre de contrôle plus large que celui perceptible à travers les dispositifs techniques ». Il existe donc bel et bien dans cette représentation des SCG une forme de déterminisme social et institutionnel. Les travaux de Chatelain-Ponroy et Sponem (2011, p.5) résument très bien cette idée « Au fond, le contrôle de gestion est un miroir de la société. »

Prise en compte des conflits d’intérêts et des rapports de pouvoir

Outre la représentativité du contexte social et institutionnel, la TNI permet aussi une meilleure représentation des conflits d’intérêts et des rapports de pouvoir qui s’exercent sur les SCG. Les travaux de Collier (2001) appliquent la TNI pour montrer les effets du pouvoir sur la construction organisationnelle. Le pouvoir permet alors une meilleure prise en compte des coalitions d’acteurs, mais aussi se positionner en appui aux valeurs, aux croyances et à la culture de l’organisation dans le but de légitimer son activité.

Collier (2001) poursuit son analyse institutionnelle du pouvoir en l’appliquant aux méthodes comptables. Il montre que la comptabilité n’est pas une activité neutre. Celle-ci peut être appréhendée comme un mécanisme relié aux problématiques de pouvoir. Une vision des

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méthodes comptables comme des « artefacts », souligne aussi que l’adoption de ces derniers peut « contribuer à provoquer des changements de pouvoir » (Colon 2014, p.55). De la même manière, Chatelain-Ponroy et Sponem (2011, p.5) soulignent que le contrôle de gestion est « un artefact, une construction de l'esprit, il n'est pas conçu sur des bases purement techniques, sans prendre en compte des intérêts. Il est donc autant l'expression d'un pouvoir que l'enjeu de pouvoirs ». Les auteurs ajoutent qu’une telle conception des SCG prend en considération leur capacité à être « porteurs d’un système de valeurs, l’expression d’un pouvoir, d’une autorité, qu’ils légitiment, renforcent et soutiennent ».

Les recherches de Bourguignon (2013) et de Morales et Sponem (2009) mettent en évidence que les discours sur les innovations en contrôle de gestion « visent d’abord à faciliter la quête de légitimité et de légitimation des dirigeants » (Morales et Sponem, 2009, p.17). Ces recherches ajoutent que « les systèmes de contrôle sont des mythes rationnels qui permettent de donner l’illusion de la rationalité (Meyer, 1983) ». Dans ce cadre, les SCG peuvent être adoptés par une organisation, non pas pour accroître son efficacité (Porter, 1995 ; Power, 2004), mais parce qu’ils se positionnent comme « le reflet d’un environnement institutionnel qui conduit à voir les chiffres comme une garantie de vérité » (Chatelain-Ponroy et Sponem, 2011, p.2). De ce fait, les SCG peuvent alors contribuer à légitimer les intérêts et le pouvoir des dirigeants de l’organisation.

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