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Les définitions du concept de logique institutionnelle (2.1) et ses conditions d’émergence (2.2) montrent ses limites : une approche plus sociétale qu’organisationnelle (2.3).

Définitions

Depuis les travaux précurseurs de Meyer et Rowan (1977) et de DiMaggio et Powell (1983), la TNI s’est élargie et enrichie, s’affranchissant de son « déterminisme originel » (Boitier et Rivière, 2016, p.50). Le concept des logiques institutionnelles s’inscrit dans le champ de la TNI, dont l’objet premier est de faciliter l’analyse scientifique des liens entre les théories de l’action et les processus institutionnels (Bastedo, 2009).

Il existe aujourd’hui différentes utilisations et définitions du concept des logiques institutionnelles (Greenwood, 2008). Une des approches intéressantes du concept des logiques institutionnelles est celle d’Ezzamel et al. (2012, p. 283), qui s’axe sur le fait que « les intérêts, identités et valeurs des individus ainsi que des organisations peuvent être reliés à des logiques institutionnelles prédéfinies ». Les logiques institutionnelles permettent de repérer les comportements adéquats pour réussir (Thornton, 2005), ce qui facilite l’interprétation des

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réalités organisationnelles. Toutefois, nous retenons principalement les définitions développées par Friedland et Alford (1991), Thornton et al. (2012), reprises par Boitier et Rivière (2016), ainsi que celle proposée par Reay et Hinings (2009). La première approche définit de manière détaillée le concept des logiques institutionnelles comme « un système de croyances et valeurs, socialement et historiquement construit, composé de symboles et pratiques matérielles, par lesquels individus et organisations donnent du sens à leurs activités » (Boitier et Rivière, 2016, p.49). La seconde approche propose quant à elle une vision certes plus concise, mais tout aussi utile : « la base de règles prédéfinies, acceptées par tous et qui dicte le comportement des acteurs au niveau d’un champ » (Reay et Hinings, 2009, p.629). Les travaux d’Amans et al. (2015, p.49) mobilisent cette dernière définition et précisent que les « règles prédéfinies et acceptées » sont constituées de valeurs et de croyances qui vont déterminer le comportement des acteurs de l’organisation. Ces différentes définitions se distinguent les unes des autres dans le degré de détail qu’elles apportent aux composantes des logiques institutionnelles.

Émergence et développement du concept des logiques institutionnelles À l’origine, les logiques institutionnelles ne font référence qu’à de simples processus de travail, sans connecter explicitement les pratiques ou structures organisationnelles à un mode de pensée (Greenwood et al., 2009). Fligstein (1987) y fait référence en parlant « d’un point de vue global des managers ou entrepreneurs qui leur permet d’aborder et de traiter les problèmes de leurs environnements d’une certaine façon ». Elles ne sont alors pas identifiées comme un concept théorique à part entière, mais comme une simple idée implicite dans les travaux scientifiques. Il faut remonter au début des années 1990 (Friedland et Alford, 1991), pour assister à la reconnaissance des logiques institutionnelles et à l’analyse de leurs confrontations dans le champ des organisations. Cette période voit le passage d’une idée à l’émergence d’un concept théorique spécifique appliqué à l’étude des sociétés occidentales. Dans leurs travaux, Friedland et Alford (1991) conçoivent le concept des logiques institutionnelles afin de pouvoir « ancrer les analyses organisationnelles dans leur contexte sociétal, pour décrire les pratiques et croyances contradictoires inhérentes aux institutions des sociétés modernes occidentales » (Thornton et Ocasio, 2008, p.101 in Colon 2014, p.35). Une telle approche par un niveau d’analyse sociétal et tout particulièrement de la société occidentale, permet à Friedland et Alford (1991) l’identification de cinq logiques principales. Ainsi, leur formulation théorique initiale identifie : le capitalisme, l’État, la démocratie, la famille et la religion comme des logiques de référence. Chacune des logiques institutionnelles peut être expliquée et caractérisée au travers de différentes catégories. Ces différentes catégories permettent de déterminer

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comment les individus ou les organisations, influencés par l’une des logiques institutionnelles, sont capables de donner du sens à leur identité et à leur perception d’eux-mêmes (Thornton et

al., 2012). Le tableau suivant résume les caractéristiques de ces cinq logiques institutionnelles,

que nous commentrons à la suite.

Catégories Famille Religion État Marché

Métaphore

racine Famille en tant qu’entreprise Le temple comme banque L’état redistributeur Transaction Sources de

légitimité Loyauté inconditionnelle Importance de la foi et du sacré Participation démocratique Prix de l’action Sources

d’autorité Domination patriarcale Charisme du prêtre Domination bureaucratique Actionnaires Sources

d’identité Réputation de la famille Association avec les divinités Classe sociale économique Sans visage Bases des

normes Appartenance au foyer Appartenance à une congrégation Citoyenneté dans la nation Intérêts personnels Bases de

l’attention Statut dans le foyer Relation au surnaturel Statut des groupes d’intérêt La position dans le marché Bases de la

stratégie Accroître l’honneur de la famille

Accroître le symbolisme religieux

Accroître le bien

commun Accroître l’efficience et le profit

Mécanismes de contrôles informels

Politique

familiale Profession de foi Manœuvres politiques Les analystes de l’industrie Système

économique Capitalisme familial Capitalisme occidental Capitalisme social Capitalisme de marché Tableau 1 : Les idéaux types du système interinstitutionnel, extraits (Source :

Thornton et al 2012, p.73 ; traduit par Colon 2014, p.37)

Le Tableau 1 ci-dessus caractérise les logiques fondamentales ou « idéaux types » tels que proposés par Friedland et Alford (1991) et résumés par Thornton et al. (2012, p.73). L’axe horizontal du tableau présente les différentes logiques institutionnelles qui sont amenées à coexister et l’axe vertical les différentes dimensions des logiques. Ces dimensions constituent des sources de conflits potentiels, liés aux valeurs fondamentales et aux missions d’un champ, d’un secteur d’activité ou d’une organisation selon le niveau d’analyse choisi. La logique du capitalisme ou du marché renvoie à « l’accumulation, la codification et le marchandisage de l’activité humaine » (Colon, 2014, p.35 ; Friedland et Alford, 1991, p.249). La logique de l’État représente la rationalisation et la régulation de l’activité humaine par des hiérarchies de règles et bureaucratiques (Colon, 2014, p.35). La logique de famille fait référence à la « communauté et la loyauté inconditionnelle de ses membres et à leur besoin de reproduction » (Colon, 2014,

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p.35 ; Thornton et al., 2012, p.44). Enfin, la logique de religion fait référence à « l’explication de l’origine du monde et l’expression des principes moraux basés sur la foi » (Thornton et al., 2012, p.44).

Les sources potentielles de conflit entre ces différentes logiques sont multiples (Greenwood et

al., 2011 ; Thornton et Ocasio, 2008) et ne se manifestent pas « de la même manière au niveau

macrosocial et au niveau organisationnel » (Boitier et Rivière, 2016, p.54). Le but des travaux de Friedland et Alford est alors de conceptualiser la société occidentale comme un système interinstitutionnel comprenant différents niveaux et supposant que chacun d’eux peut être associé à une logique institutionnelle unique. Dans ce sens, la société est décrite comme un ensemble constitué de multiples logiques institutionnelles « interdépendantes tout en étant contradictoires » (Friedland et Alford, 1991, p.250).

De nombreuses recherches ont recours à la typologie proposée par Friedland et Alford, laquelle détaille ces différentes catégories. Parmi ces recherches, nous retenons celle de Thornton (2005) et Thornton et al. (2012). Dans un premier temps, Thornton (2005) met en lumière les améliorations possibles à apporter aux travaux de Friedland et Alford. Il montre le besoin de développer un modèle théorique plus général des « idéaux types interinstitutionnels » et donc des logiques institutionnelles. Il repense notamment la liste des logiques institutionnelles et distingue 6 logiques : la famille, la religion, l’État, le marché, la profession et l’entreprise. Parallèlement à cela, il enrichit le nombre de catégories nécessaires à la caractérisation des logiques. Plus tard, les travaux de Thornton et al. (2012) poursuivent cet enrichissement autour des logiques institutionnelles et des idéaux types des systèmes interinstitutionnels en proposant une septième logique de référence : la communauté. Ces différents travaux améliorent l’explication des « marges de manœuvre des organisations vis-à-vis des pressions de leurs champs de fait de la coexistence de plusieurs logiques de référence » (Boitier et Rivière, 2016, p.50). Cette approche des logiques institutionnelles ouvre deux perspectives pour mieux conceptualiser la société et les situations de conflit, sources d’incertitude. Premièrement, les logiques institutionnelles peuvent être multiples et interagir entre elles pour influencer les différents niveaux de la société (Greenwood et al, 2011 ; Nigam et Ocasio, 2010). Secondement, il peut se développer des situations de conflit, voire de compétition entre les différentes logiques, ce qui a pour conséquence l’émergence de potentielles situations d’incertitude. Actuellement le développement du concept des logiques institutionnelles est tel qu’il est qualifié de « buzz word » par Thornton et Ocasio (2008). En effet, les auteurs montrent que les logiques institutionnelles font partie des aspects théoriques qui connaissent la plus forte évolution dans les théories académiques sur les organisations. Cette croissance exponentielle

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des travaux sur les logiques est rendue possible par de nombreux efforts visant à expliquer comment les institutions, au travers des logiques, affectent les stratégies, les structures et les pratiques organisationnelles (Thornton, 2005 ; Thornton et Ocasio, 1999 ; Thornton et al., 2012). Ainsi, Scott (2000) montre par quels moyens les logiques à l’intérieur d’un champ influencent les stratégies et les pratiques organisationnelles. Marquis et Lounsbury (2007) se focalisent sur l’impact des logiques sur les prises de décisions. Enfin, Battilana et Dorado (2010) étudient la manière dont les logiques influencent l’identité et les pratiques de l’organisation dans lesquelles ces logiques évoluent.

Principales limites de l’approche par les logiques sociétales

La littérature sur les idéaux types (logiques sociétales) apporte de nombreux éléments de réponse sur les relations entre les organisations et les institutions, ou sur la manière dont l’une et l’autre s’auto-influencent (Lounsbury, 2002 ; Thornton et Ocasio, 1999). Ces études s’intéressent aussi à la manière dont les logiques s’expriment au niveau d’un champ organisationnel, principalement par l’analyse des mots, expressions et valeurs qu’elles véhiculent ou des groupes d’acteurs auxquels elles se rattachent (Benford et Snow, 2000 ; Jones et Livne-Tarandach, 2008 ; Loewenstein, et al., 2012 ; Lounsbury et Glynn, 2001 ; Ocasio et Joseph, 2005 ; Rao et al., 2003 ; Greenwood et al., 2002). Diverses informations permettent de comprendre la manière dont les logiques influencent les stratégies et activités spécifiques à un champ organisationnel (Murray, 2010 ; Scott, 2000).

Toutefois, aucune étude ne se focalise sur la manière dont les logiques sont constituées et utilisées par les acteurs à l’intérieur de l’organisation (McPherson et Sauder, 2013). En effet, une approche par les logiques sociétales n’apporte pas les connaissances suffisantes sur la manière dont les acteurs les reproduisent et les transforment (Thornton et al., 2012). Les recherches de Lok (2010) mettent en évidence les limites de la connaissance académique sur la manière dont les acteurs, qui évoluent dans des contextes organisationnel, environnemental et institutionnel complexes, mettent en place des réponses adaptées aux contradictions institutionnelles auxquelles ils sont confrontés. Pour répondre à ces limites, une nouvelle approche par les logiques institutionnelles « locales » plus proches des problématiques et des spécificités intrinsèques d’une organisation, ainsi que celles des membres qui la composent tend à se développer (Boitier et Rivière, 2016 ; Ezzamel et al., 2012 ; Reay et Hinings, 2009).

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