• Aucun résultat trouvé

Les recherches sur les logiques « locales » (3.1) permettent une plus forte prise en compte de la complexité (3.2), des conflits et incompatibilités entre logiques (3.3). Cependant, ces travaux présentent des limites ; ils explicitent peu la retranscription des logiques en actions (3.4).

Travaux de références sur les logiques locales

Plusieurs auteurs de référence commencent à identifier et analyser dans leurs recherches des logiques différentes de celles proposées par le tableau de Thornton et al. (2012). Tout d’abord, Greenwood et al. (2011) développent un niveau d’analyse plus organisationnel pour leurs terrains de recherche et cherchent à identifier les logiques institutionnelles qui leur sont propres. Ainsi, leurs travaux dans un département des sciences académiques à l’Université identifient la présence des logiques de sciences et de commerce. Ils ajoutent ensuite l’exemple d’une entreprise comptable qui peut être caractérisée par les logiques de service professionnel et commercial. De leur côté, Amans et al. (2015) travaillent sur des problématiques budgétaires de différents théâtres. Cette recherche identifie les logiques politiques, artistiques et managériales comme prédominantes. Les auteurs montrent ainsi par quels mécanismes chacune des logiques influence l’utilisation des budgets de différents théâtres. D’autres recherches telles que celles développées par Reay et Hinings (2009) étudient la présence d’une logique d’affaires et plus particulièrement d’une logique hybride entre celles des affaires et des soins de santé, plus communément appelée « Business-like health care logic » (que l’on pourrait traduire par logique « d’industrie médicale »). Cette logique a pour but de venir directement concurrencer et remettre en cause la logique de profession médicale qui faisait figure de référence dans le secteur hospitalier. Reay et Hinings proposent donc des logiques plus contextualisées, telles que la logique de « Business-like health care », appliquées au secteur médical.

Enfin, nous relevons les apports non négligeables des travaux de Boitier et Rivière (2016), a

priori seuls auteurs mobilisant le tableau de caractérisation des idéaux types de Thornton et al.

(2012) dans le cadre de logiques locales. À travers leur étude du cas des Universités françaises, les auteurs identifient quatre logiques institutionnelles locales : la logique académique, politique, bureaucratique et gestionnaire (Tableau 2 ci-dessous).

Partie 1 : chapitre 1

37 Caractéristiques Logique

académique Logique politique Logique bureaucratique Logique gestionnaire Métaphore originelle de l’université Communauté autonome de savants Arène démocratique paritaire Acteur du

service public Acteur de l’économie de la connaissance Valeurs

fondamentales Indépendance académique Collégialité Rationalité procédurale Culture du résultat et efficience Fondement de la

stratégie (mission) Production et transmission d’un savoir universel Préservation des moyens et défense des territoires Formation

pour tous Promotion d’un capital immatériel au service de la compétitivité Sources de légitimité pour le pilotage organisationnel Expertise et /ou réputation Statut Négociation en vue d’un consensus Cadre réglementaire Hiérarchie Compétence managériale des décideurs Sources d’autorité Normes définies

par les pairs Processus électoral Règles et standards définis par la réglementation Leadership Gouvernance Faible interaction avec l’État Structures décentralisées et flexibles : autonomie des composantes Conseils élus représentatifs des équilibres politiques internes Structure administrative multi‐niveaux : ministère, université, composantes de l’université Décentralisation et contractualisation Rôle des agences d’évaluation et de financement Modes de contrôle (formel et informel) Clans et pairs Pas de quantification Élections Politique « d’arrière‐ boutique » Conformité légale et réglementaire Contrôle de gestion cybernétique Contractualisation et accountability Quantification et ranking Sources d’identité (individus/groupes professionnels) Groupes des Enseignants- chercheurs Rattachement à une discipline Réputation personnelle Élu Appartenance syndicale ou politique Groupe Occupationnel des administratifs Mission de service public Réputation Compétence individuelle comme manager

Tableau 2 : Idéaux types des logiques institutionnelles du champ universitaire (Boitier et Rivière 2016, p. 55)

Tout d’abord, la logique académique renvoie aux valeurs fondamentales de l’Université basées sur l’autonomie et l’indépendance des « savants » vis-à-vis « de l’Église, de l’État et plus récemment du marché » (Boitier et Rivière, 2016, p.51). Cette logique a pour mission principale la transmission du savoir universitaire. La légitimité des connaissances produites se base sur l’expertise et la réputation du corps universitaire. L’autorité de la logique se base sur les normes

Partie 1 : chapitre 1

38

universitaires. Les auteurs ajoutent que les académiques montrent « une préférence marquée pour les structures décentralisées qui leur garantissent pouvoir discrétionnaire et autonomie ». Enfin, les groupes d’individus regroupés derrière le terme « d’académique », renvoient aux groupes des enseignants-chercheurs. Cependant, des enseignants-chercheurs qui sont « rattachés à la logique académique » se réfèrent aussi « à une logique politique pendant leur mandat » (Boitier et Rivière, 2016, p.51).

La deuxième logique identifiée par les auteurs est donc la logique politique. Les auteurs soulignent que cette logique porte comme valeur fondamentale le principe de collégialité, avec « un pouvoir réparti entre des groupes poursuivant parfois des intérêts divergents ». Elle a pour mission la préservation des moyens des Universités. Les auteurs ajoutent que cette logique est également liée « aux modes de négociations internes », lesquels renvoient plus régulièrement à l’apprentissage des codes politiques qu’à une véritable compétence technique de gestion. Cette logique politique peut notamment s’exercer « tant dans les relations internes qu’externes, en particulier avec le ministère ». Les processus électoraux et les élections représentent à la fois la source d’autorité et un moyen de contrôle pour la logique politique. Les élus d’appartenance syndicale ou politique forment les principaux groupes d’acteurs porteurs de la logique politique dans les universités.

La troisième logique identifiée par les auteurs est la logique bureaucratique. Cette logique porte comme mission principale la rationalité procédurale des décisions. Elle vise donc « la conformité des décisions avec le cadre légal et réglementaire » (Boitier et Rivière, 2016, p.51). Les auteurs soulignent que cette logique est portée par les personnels administratifs. De par leur répartition dans les différents services de l’organisation et la pluralité des tâches qu’ils accomplissent, les personnels administratifs sont bien souvent « des groupes professionnels plus hétérogènes en termes de métiers ». Cela implique une gouvernance bureaucratique multi- niveaux entre le ministère, l’université et les composantes de l’université. Les auteurs concluent leur introduction de la logique bureaucratique en soulignant que les règles définies et la conformité légale des décisions représentent à la fois les sources d’autorité et de contrôle à la disposition des acteurs porteurs de la logique.

Enfin, les auteurs identifient la logique gestionnaire comme caractéristique du cas des universités. Cette logique vise à assurer l’efficience des universités. Elle porte pour cela des valeurs telles que la culture du résultat ou de la compétitivité. La mission principale de cette logique est donc de contribuer à « la compétitivité économique du pays en professionnalisant ses étudiants et en développant une recherche tournée vers l’innovation » (Boitier et Rivière, 2016, p.53). Dans leurs travaux, les auteurs montrent que cette logique est portée par les

Partie 1 : chapitre 1

39

principes de la NGP (Boitier et Rivière, 2013), mais aussi par « les nouveaux dispositifs de financement et d’évaluation » (Boitier et Rivière, 2016, p.53). En plus de ces éléments, les auteurs soulignent que le contexte universitaire est marqué par un « cadre législatif et contractuel qui présente en outre des dimensions normatives et symboliques portées par différents acteurs du champ (l’IGAENR4, l’AERES devenue HCERES5, l’AMUE6, la CPU7) ».

Par conséquent la logique gestionnaire est portée dans les universités par une multitude d’acteurs différents. Au final, ces différents acteurs contribuent à véhiculer la logique gestionnaire, mais surtout les « comportements mimétiques autour des SCG ».

Ces logiques proches du terrain, essayant de s’adapter à un niveau d’analyse « local », participent à combler les limites laissées par les logiques plus sociétales. En effet, ces dernières de par leur caractère plus général et leur niveau d’analyse à une échelle sociétale beaucoup plus grande ne permettent pas toujours de faire ressortir les spécificités intrinsèques d’une organisation, ainsi que celle des membres qui la composent.

Plus forte prise en compte de l’organisation et de sa complexité

Le développement d’une perspective plus proche des préoccupations organisationnelles permet une meilleure compréhension des microprocessus qui contribuent à former les logiques. En effet, c’est au contact du terrain que les logiques se traduisent dans l’action et que l’action les renforce en retour (Thornton et al., 2012). Certaines recherches commencent à se positionner à un niveau d’analyse organisationnel, c’est-à-dire à analyser les logiques institutionnelles à l’intérieur même d’une organisation (Bertels et Lawrence, 2016). Ce mouvement se traduit par une plus forte reconnaissance de l’organisation comme une entité habitée par des individus disposant de leurs propres relations complexes et hétérogènes avec les logiques institutionnelles qui transcendent leur rôle d’individus.

Un autre apport de l’approche par les logiques locales consiste dans la plus forte prise en compte des rituels organisationnels, des pratiques et des comportements des acteurs au jour le jour (Dacin et al., 2002). Les travaux de Greenwood et al. (2011) confirment qu’une approche par

4 IGAENR : Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche (correspond à un

corps d'inspection à compétence générale relevant du ministère de l'Éducation nationale et du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Elle est chargée de l’évaluation des politiques publiques, du contrôle du système éducatif et de la recherche)

5 HCERES : Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur (autorité administrative

indépendante (AAI) française, chargée de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche publique, crée par la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche de 2013)

6 AMUE : Agence de mutualisation des universités et des établissements (elle est un groupement d'intérêt public

français créé en 1992, placé sous la tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Elle contribue à l’élaboration du système d'information de gestion de ses adhérents et leur permet de disposer d’une offre logicielle plurielle répondant à leur diversité)

Partie 1 : chapitre 1

40

les logiques locales permet une meilleure retranscription de la complexité propre à chaque organisation. Les auteurs montrent que plusieurs organisations qui évoluent dans un même champ ne sont pas confrontées à la même complexité institutionnelle en fonction de leur structure, de leur mode de gouvernance, de leur propriétaire, de leur position spécifique au sein du champ et de leur identité organisationnelle propre (Greenwood et al., 2011). Il n’est pas rare de constater que cette complexité peut être renforcée par de nouvelles organisations, qui en entrant dans un champ apportent avec elles de nouvelles idées. Un phénomène de changement social peut alors faire son apparition et induire l’émergence de nouvelles logiques, accompagnée d’un réajustement de celles préalablement existantes (Lok, 2010). Le passage des grandes logiques institutionnelles du niveau « sociétal » à des caractéristiques organisationnelles plus « locales » permet de mieux représenter les spécificités et les enjeux auxquels fait face chaque organisation. Les travaux de Greenwood et al. (2011, p.334) montrent que cette complexité institutionnelle à laquelle doivent faire face les organisations, est à l’origine du terme de logique « locale ». Outre cet aspect de langage, les auteurs précisent que cette complexité peut pousser les acteurs à modifier leurs comportements et potentiellement induire des relations de conflit entre différentes logiques institutionnelles (Greenwood et al., 2011). Aussi, les logiques locales caractérisent mieux les enjeux opérationnels des organisations et avec eux les conflits entre logiques.

Meilleure retranscription des confits et incompatibilités entre logiques Comme énoncé, le choix d’un niveau d’analyse organisationnel et du recours à des logiques locales permet une meilleure retranscription de la complexité des organisations. Plus fondamentalement, le recours à des logiques plus proches des préoccupations quotidiennes des agents permet aussi de mieux retranscrire les incompatibilités entre les logiques dont ils sont porteurs. Dans ce cadre, plusieurs recherches appréhendent les potentiels conflits qui découlent des relations entre une multitude de logiques.

Les travaux de Maire (2015, p.1) stipulent que les logiques institutionnelles « n’évoluent ni seules ni de manière unique ». Cela implique que la prise en compte des interactions entre logiques est un des aspects indispensables à leur analyse. L’auteur ajoute que l’étude des confrontations entre logiques dresse des « classifications » sur « les types de réponses que peuvent prendre les logiques entre elles (Oliver, 1991) ». Dans ce cadre, la multiplicité des logiques induit deux types de réponses : une coexistence ou une confrontation entre les logiques.

Partie 1 : chapitre 1

41

Dans le premier cas, coexistence de logiques, les analyses se concentrent souvent sur la dynamique d’hybridation (Battilana et Dorado, 2010 ; Reay et Hinings, 2009). De façon générale, les logiques sont considérées comme relativement compatibles lorsque l’incompatibilité ne concerne pas les valeurs fondamentales, mais les moyens ou les plans d’action. Il est alors possible de négocier en interne et d’augmenter la compatibilité entre les logiques institutionnelles dans le cadre des pratiques organisationnelles (Pache et Santos, 2010). Dans le second cas, confrontation de logiques, les recherches insistent sur le fait que ce sont généralement les différences de rationalité entre les logiques qui sont à la source des incompatibilités (Pache et Santos, 2010). Ainsi, il existe deux types différents d’incompatibilités : l’incompatibilité des buts et l’incompatibilité de moyens ou de plans d’action. Pache et Santos (2010, p.466) soulignent que les conflits basés sur les buts sont particulièrement difficiles à surmonter dans les organisations, car ils exigent que « les membres de l’organisation reconnaissant les incompatibilités des demandes et des buts, lesquelles peuvent mettre en péril le support institutionnel » (Pache et Santos, 2010, p.466). Aussi, des divergences de buts et d’objectifs des logiques nécessitent la mobilisation de l’ensemble des membres de l’organisation pour y apporter des solutions. À titre d’exemple, les recherches de Purdy et Gray (2009) mettent en évidence les tensions particulièrement problématiques présentes à la suite d’un désaccord sur les missions des bureaux de poste aux États-Unis. Ces tensions sont la conséquence directe de la présence de plusieurs logiques institutionnelles, dont les prescriptions quant à la fixation et l’atteinte des objectifs sont contradictoires. Thornton et Ocasio (2008) démontrent notamment que plus l’ambiguïté autour des objectifs des logiques institutionnelles est forte et plus la probabilité d’aboutir à des tensions ou des incompatibilités entre ces dernières augmente. Pour ces auteurs, lorsque les objectifs des différentes logiques sont mal définis (ce qui conduit à une forte ambiguïté), les intérêts des différentes parties prenantes ont une influence plus grande sur les actes stratégiques. Goodrick et Salancik (1996) se focalisent sur l’importance de l’orientation des logiques dans la compréhension de leurs incompatibilités. Ils montrent que l’orientation et le degré de spécificité des logiques sont directement corrélés à l’ambiguïté des logiques. Plus les orientations prises par les logiques sont détaillées et plus l’ambivalence qui accompagne leurs relations diminue. Ils ajoutent que plus l’orientation et les caractéristiques des logiques sont marquées par un fort degré d’ambiguïté et plus la probabilité d’assister à des prises de décision arbitraires augmente. Cette idée que le degré de spécificité des logiques influence la prise de décision est soulignée par Thornton et Ocasio (2008). Les auteurs montrent que si les valeurs portées par les logiques sont clairement définies, alors il est facile d’aboutir à une prise de décision dans l’intérêt du

Partie 1 : chapitre 1

42

plus grand nombre d’agents. Ainsi, les prises de décisions unilatérales qui ont pour conséquence de favoriser les intérêts du parti qui dispose du plus fort pouvoir peuvent être évitées.

Enfin, les travaux de Charue-Duboc et Raulet-Croset (2014) abordent la notion d’incompatibilité entre les logiques multiples au travers de l’influence exercée par l’incertitude sur les routines de l’organisation. Les auteurs analysent notamment « comment l’incertitude et l’ambiguïté persistantes peuvent induire une évolution des routines » et identifient « un lien entre cette évolution des routines et le caractère relativement spécifique des logiquesinstitutionnelles qui pèsent sur l’activité » (Charue-Duboc et Raulet-Croset, 2014, p.43). Notre revue de littérature appréhende donc les logiques locales comme plus à même de retranscrire les « routines » quotidiennes de l’organisation et avec elles les situations de coexistence ou d’incompatibilité entre logiques.

Limites actuelles des travaux sur les logiques institutionnelles

Que l’on opte pour une approche institutionnelle par les « idéaux types » (les logiques sociétales), ou par les logiques locales, la mise en application du concept des logiques institutionnelles présente des limites. Nous en retenons deux. La première tient au fait qu’il n’existe pas encore de « boîte à outils » afin d’identifier et définir les logiques observées sur un terrain de recherche encore peu exploré. Chaque nouvelle étude qui utilise ce concept théorique pour l’appliquer à un nouveau terrain de recherche doit par conséquent croiser les données connues qui s’appliquent dans d’autres contextes avec les observations de son propre terrain. Aussi, la subjectivité du chercheur et la manière avec laquelle celui-ci perçoit les logiques qu’il observe ont un impact non négligeable sur ses résultats. La seconde limite porte sur le manque de connaissances à propos de la manière dont les logiques sont utilisées sur le terrain. Effectivement, la littérature apporte peu d’éclaircissements sur la manière dont les acteurs arrivent à retranscrire les logiques institutionnelles en actions à l’intérieur de leurs activités organisationnelles quotidiennes (McPherson et Sauder, 2013).

Partie 1 : chapitre 1

43

Documents relatifs