• Aucun résultat trouvé

Prémices aux multiples logiques locales du secteur de l’eau

Années 80 l’émergence des logiques gestionnaire et développement durable

Au cours de cette période, du point de vue économique, le principe de couverture des coûts par la seule facture d'eau devient dominant. Il sera définitivement validé par la Directive Cadre sur l'Eau de 2000, mais il s'affirme en France dès la décennie 80 (Pezon et Canneva, 2009). Avec les lois de décentralisation de 1982 et la fin du contrôle des prix suite à l'ordonnance du 2 décembre 1986, l'interdiction du financement d’un service public industriel et commercial (SPIC) via l'impôt devient la règle générale. Des dérogations sont certes prévues, mais limitées et les services d'eau doivent équilibrer leurs dépenses par les résultats d'exploitation. Désormais, l'amélioration de la performance nécessite des investissements élevés qui devront être

Partie 2 : chapitre 4

155

majoritairement financés par la facture d'eau, alors même que l'amélioration des performances n'entraîne plus d'augmentation de l'assiette. Le prix de l’eau augmente de manière importante dans les années 90 : l'indice INSEE mesure une augmentation de 50% du prix en dix ans. On assiste aux prémices du développement de la logique gestionnaire. Le recours au terme de « gestionnaire » fait référence à la caractérisation de la logique effectuée par Boitier et Rivière, (2016). Cette logique porte des valeurs fondamentales (métaphore racine) de compétitivité économique au travers des démarches d’innovation et de professionnalisation. Un autre des principes fondamentaux de cette logique porte sur la culture du résultat et la quête d’efficience (Boitier et Rivière, 2016). L’obligation de couverture des coûts par la gestion des services publics de l’eau à cette époque coïncide avec ces valeurs de la logique gestionnaire. L’adaptation des travaux de Boitier et Rivière (2016) sur la logique gestionnaire au secteur de l’eau vise à caractériser de façon plus fine cette logique. Nous appréhendons les autres composantes de cette logique de la manière suivante : une source d’autorité qui renvoie au leadership des managers, une base des normes qui fait référence à l’autonomie et la responsabilité des agents de l’organisation, un mode de contrôle à distance rendu possible par les techniques de contrôle de gestion et d’accountabiliy.

Avec les nouvelles directives européennes10, l’amélioration de la performance passe aussi par

la prise en compte de l’environnement et du développement durable. Ces directions font émerger la logique de développement durable. Sous leur impulsion, des changements importants sont conduits pour améliorer la performance qualitative des services. Ainsi, de nouvelles normes de qualité de l’eau potable et une plus forte exigence en termes de qualité de rejet pour les eaux usées sont introduites. Ces enjeux renforcent également l'importance de la place des ingénieurs qui doivent mettre en œuvre des technologies de traitement plus poussées. Notre caractérisation de la logique de développement durable renvoie à des valeurs fondamentales telles que la mise au même niveau des enjeux économiques, sociétaux et environnements. Nous ajoutons aussi une source d’autorité de la logique qui fait référence aux accords et normes internationales, mais aussi aux régulations nationales.

Notre perception de la logique de développement durable renvoie aux travaux de Hayes et Rajão (2011), qui identifient la présence de cette logique au travers de l’étude de l’application de systèmes d’information géographique à la gouvernance des zones de forêt amazonienne au Brésil. Leurs travaux montrent que la logique de développement durable renvoie à des problématiques telles que la viabilité sur le long terme de la vie humaine sur terre. Ils ajoutent

10 Directives sur l’eau potable 80/778/ CEE, Directive eaux résiduaires urbaines 91/271/ CEE et directive nitrates

Partie 2 : chapitre 4

156

que cette logique est étroitement reliée aux Objectifs de Millénaire pour le développement11.

Ainsi, l’impact des activités humaines sur l’environnement, mais aussi les risques et les conséquences de l’industrialisation, sont des éléments qui caractérisent la logique de développement durable. En tant que telle, cette logique prône une gouvernance qui permet la mise en place de pratiques qui respectent l’environnement (Shrivastava, 1995). L’étude sur la gouvernance de la forêt amazonienne brésilienne (Hayes et Rajão, 2011) montre que cette logique est principalement portée par les scientifiques et les écologistes qui cherchent à avoir une influence sur les décisions politiques. La manifestation de la logique de développement durable chez ces groupes d’acteurs se traduit par des campagnes de préservation de la forêt, mais aussi des villages et habitants qui y vivent. Les auteurs finissent par souligner que cette logique est aussi capable d’intégrer dans ces considérations un certain nombre de problématiques économiques. Cela se traduit par une compensation financière envers les fermiers qui s’engagent à protéger la forêt et réduire l’impact carbone de leurs activités (Nemani et al., 2003).

Notre caractérisation de la logique de développement durable s’inspire aussi des travaux qui portent sur le concept des « cités » ou des « mondes » comme dispositifs de jugement et d’action « reposant sur des rôles, des objets, des façons d’agir et des échelles de valeurs » (Libbey, 2011, p.1). Ainsi, Lafaye et al. (1993) envisagent de prolonger l’identification des 6 mondes initiaux pour incorporer un septième monde à leurs analyses : le monde vert ou écologique. Le questionnement qu’ils proposent sur l’éventualité d’un monde vert met en avant l’importance des dimensions politique, scientifique, philosophique et des dispositifs techniques, telle que les certifications écologiques pour justifier la proposition de ce septième monde. Toutefois, lors de leurs travaux en 1993, les éléments théoriques et pratiques sont encore insuffisants pour aller au bout de leurs analyses : « la grandeur verte n’est pas encore suffisamment outillée pour servir largement dans les justifications ordinaires et permettre leur mise à l’épreuve ; de fait, il reste impossible de mettre à l’épreuve des actions les plus quotidiennes et les plus banales selon un art de prudence écologique dont on ne connaît encore que quelques préceptes » (Breviglieri et Stavo-Debauge, 1999, p.3 ; Lafaye et al., 1993). Les travaux de Rougemont (2017) font à nouveau mention de la possibilité d’introduire un monde « vert » sans pour autant apporter des éléments d’enrichissement notable à une caractérisation de ce monde. Ces quelques réflexions théoriques sur un éventuel monde vert et sur les

11 Les objectifs du millénaire pour le développement (OMD, Millennium Development Goals en anglais), sont huit

objectifs adoptés en 2000 à New York (États-Unis) avec la Déclaration du millénaire de l'Organisation des Nations unies par 193 États membres de l'ONU et au moins 23 organisations internationales, qui sont convenus de les atteindre pour 2015 (Source : Wikipedia)

Partie 2 : chapitre 4

157

problématiques écologiques dont il est porteur nous confortent dans la détermination de la base de la stratégie et de la source de légitimité de notre logique de développement durable tournée respectivement vers la promotion des enjeux écologiques et la finitude écologique de la terre. Outre l’émergence des logiques gestionnaire et de développement durable, la fin de la période des années 80 voit apparaître dans la gestion des services publics de l’eau française de nombreux scandales de corruption, le plus célèbre étant l'affaire Carignon à Grenoble qui aboutit à des peines de prison en 1995 et au passage en régie du service d'eau en 2000. Ces scandales qui caractérisent le contexte de l’époque sont à l’origine d’une perte de confiance des citoyens envers les services de gestion de l’eau et de l’émergence de nouvelles logiques institutionnelles.

Documents relatifs