• Aucun résultat trouvé

Plan de la thèse

Chapitre 1. Les militants socialistes et libertaires de langue française à Montréal, 1906-

1.5 Portrait prosopographique

1.5.1 Un milieu masculin

Hormis la Ligue des dames pour l’instruction publique et obligatoire, force est de constater que les réseaux structurés autour d’Albert Saint-Martin sont très majoritairement masculins. Nous n’avons recensé qu’onze femmes ayant joué un rôle actif comme militante, dont une seule – Mathilde Prévost – au sein de la section française du Parti socialiste. Sept d’entre elles ont participé à la mise sur pied de coopératives, dont quatre avec la Maison du peuple. Seule Mathilde Prévost a plus d’un engagement connu – trois – alors qu’au moins le tiers des militants masculins – 28 sur 85 – sont multipositionnés. Il est toutefois probable que la présence des femmes dans les activités des groupes fut plus importante que ne le laissent croire les sources consultées, mais ces femmes n’occupèrent pas de rôle-clé qui nous auraient permis de les identifier. Cette sous-représentation au sein des groupes militants peut s’expliquer par la séparation très nette entre les sphères publique et privée, mais aussi par la subordination des femmes au plan politique, légal et culturel. Comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre, cette situation ne va guère évoluer pendant l’entre-deux-guerres au sein des milieux militants de langue française.

1.5.2 Migrations

Un premier constat s’impose : les réseaux structurés autour d’Albert Saint-Martin reposent en bonne partie sur la présence d’immigrants229. Les comptes rendus des manifestations du 1er mai à Montréal sont d’ailleurs assez précis à ce sujet : la grande majorité des manifestants proviennent des communautés immigrantes, tout particulièrement celles originaires d’Europe de l’Est. Mais qu’en est-il parmi les militants de langue française avant la Première Guerre mondiale ? Dans notre échantillon, un militant sur cinq est d’origine européenne. Tous, sans exception, sont des hommes. La majorité d’entre eux sont nés dans des pays francophones, soit la France (10, dont 1 à Saint-Pierre-et-Miquelon), la Belgique (2) et la Suisse (2). Quelques autres proviennent de Roumanie (2), d’Allemagne (1), d’Italie (1) et d’Irlande (1). La plupart (18 sur 20) ont immigré au Canada à l’âge

229 Afin de déterminer l’origine des militants et leurs parcours migratoires, nous nous sommes appuyés sur différents types de sources, notamment des articles de journaux, la correspondance entre militants, les données nominatives du recensement de 1911, mais aussi sur diverses bases de données que l’on retrouve sur la plateforme Ancestry, comme les rapports produits sur les passages à la frontière canado-américaine, les listes de passagers sur les lignes transatlantiques et la collection Drouin, portant sur les certificats de naissance, de mariage et de décès.

adulte entre 1904 et 1913, amenant avec eux un bagage d’expériences et une culture politique différente de celle du pays d’accueil. Si nous ignorons les motifs qui les ont poussés à immigrer au Canada, nous faisons l’hypothèse que plusieurs l’ont fait pour des motifs d’ordre économique – perte d’emploi, recherche de nouvelles opportunités – ou personnel – divorce, séparation, mariage – plutôt que politique. Hormis Émile Arbogast230 et dans une moindre mesure François Telat, aucun ne semble avoir occupé de fonction importante au sein du mouvement ouvrier de son pays d’origine avant d’arriver au Canada.

Parmi ces immigrants, Arthur Maillard est sans doute celui qui a entretenu les liens les plus étroits avec des groupes politiques européens, ayant correspondu de façon soutenue avec des publications comme le journal anarchiste Les Temps Nouveaux et le bulletin anticlérical La Calotte où ses articles sont publiés sous le pseudonyme de « Canadien français ». Il y décrit avec précision les aléas de la vie politique montréalaise, les multiples problèmes auxquels font face les militants aux idées « avancées » et les initiatives qu’ils mettent de l’avant, tout en implorant le soutien – financier et politique – de ses camarades français et européens.

S’il nous est difficile de connaitre avec précision le lieu de naissance des autres individus composant notre échantillon231, nous savons en revanche que plusieurs militants multipositionnés sont nés à l’extérieur de Montréal. Ce sont les cas des socialistes Conrad Lacombe, originaire de Lavaltrie, Salomon Larocque, originaire de Sainte-Marthe, Mathilde Prévost, originaire de Terrebonne, Elzéar Boulay, originaire de l’Ontario et Joseph- Adjutor Bernier, originaire de Lévis. Le même constat vaut également pour des libres penseurs et des coopérateurs tels que Charles-Ernest-Aimé Holmes, originaire de Québec ou Marc Lassonde, originaire des États-Unis. La présence de militants nés à l’extérieur de Montréal ne semble pas avoir eu d’influence sur la diffusion des idées socialistes ailleurs en province. Nous n’avons pas trouvé de sources permettant d’identifier la tenue d’activités ou l’existence de groupes de langue française à l’extérieur de la métropole, hormis les quelques conférences prononcées par Saint-Martin à Saint-Hyacinthe, Buckingham et Sainte-Agathe. Seule la coopérative La Kanado témoigne d’un effort concerté pour implanter à long terme les idées et les pratiques socialistes à l’extérieur de la région montréalaise. Faut-il en conclure que les différents courants de pensée révolutionnaires furent totalement absents ailleurs au Québec ? Si l’on se fie à la liste des abonnés du journal

230 Au sujet d’Émile Arbogast, voir : http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article77002, notice ARBOGAST Émile par Didier Bigorgne, Mathieu Houle-Courcelles, version mise en ligne le 17 août 2016, dernière modification le 15 juin 2018. Consulté le 2 décembre 2019.

231 Les nombreux homonymes rendent difficile le repérage des militants dans les sources primaires. En outre, les données du recensement de 1911 sont fragmentaires pour ceux nés au Québec : le nom de la ville de naissance n’est pas spécifié.

Cotton’s Weekly232 ou aux contacts établis par l’Union des travailleurs dans la province, on constate que le

nombre de sympathisants socialistes à l’extérieur de la métropole fut très restreint, laissant peu de chances à ces militants de pouvoir s’organiser à l’échelle locale.