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Plan de la thèse

Chapitre 1. Les militants socialistes et libertaires de langue française à Montréal, 1906-

1.3 Albert Saint-Martin et les transformations du champ politique ouvrier, 1904-

1.3.2 La transition vers le socialisme

Peu de temps après s’être joint au Parti ouvrier, Albert Saint-Martin effectue une transition qui le mène à devenir le responsable de la section française du Parti socialiste du Canada (PSC) à Montréal. Fondé en 1904 en Colombie-Britannique, le PSC est alors le principal groupe marxiste actif au Canada. Le parti concentre ses forces dans les provinces de l’Ouest, où il compte des sections très actives et quelques élus. Qualifié de dogmatique par ses adversaires, ses militants cultivent une certaine orthodoxie qui les amènent à rejeter d’emblée toute forme de réformisme et, de ce fait, critiquer le trade-unionisme et le travaillisme. Les militants du PSC cherchent à propager la « science » marxiste au sein de la classe ouvrière par divers moyens. Pour transformer radicalement la société, affirment-ils, il faut d’abord éduquer ces milliers de « wage slaves » qui suivent aveuglément les politiciens bourgeois et les chefs ouvriers réformistes, qualifiés dans la presse du parti de « labor fakirs ».

163 Paul-André Linteau, Le Faubourg à m’lasse, Mémoire des Montréalais, 11 décembre 2015.

Au mois de janvier 1906, une section du PSC est formée à Montréal par des membres du German Workingmen’s Club164. Rapidement, le parti devient l’une des principales formations révolutionnaires à Montréal aux côtés du Socialist Labor Party (SLP), des Industrial Workers of the World (IWW) et de divers collectifs anarchistes (Frayhayt, Arbayter Freund, Groupe anarchiste de Montréal). Saint-Martin, que la presse montréalaise présente dès 1905 comme un « socialiste actif »165, va se rapprocher progressivement du PSC au cours de l’année 1906. Au mois de février, une traduction française du programme du parti est diffusée dans le journal Le Passe-

Temps166. On peut faire l’hypothèse que c’est à cette période que Saint-Martin se joint au PSC. Un autre événement tend à confirmer cette hypothèse. Au mois de mars 1906, Saint-Martin participe à la mise sur pied d’un nouveau groupe politique, le club ouvrier Bellamy, qui se réunit chez lui jusqu’en 1907167. Cette référence explicite à l’auteur des romans d’anticipation Looking Backward et Equality est significative. Elle traduit l’influence d’Edward Bellamy dans la formation politique de Saint-Martin. Si ce dernier adhère à la plateforme du PSC – comme en témoigne un article paru dans Le Nationaliste en 1907168 –, sa pensée reste teintée par celle des penseurs socialistes utopiques. Un tract diffusé vers 1911 par la section française du PSC à Montréal intitulé « Qu’est-ce que le socialisme ? » nous permet de constater cette influence sur le groupe dirigé par Saint- Martin :

164 Incorporé au mois de février 1904 sous le nom de German Workmen’s Club (Gazette officielle de Québec, 27 février 1904, p. 362). Deux des membres fondateurs de cette association joueront un rôle important dans les milieux révolutionnaires montréalais avant la Première Guerre mondiale : Otto Jahn et François Telat. Jahn devient en 1906 le premier secrétaire de la section locale du Parti socialiste du Canada à Montréal et se fera remarquer lors des manifestations du 1er mai en 1906 et 1907. Quant à Telat, c’est un militant anarchiste actif depuis les années 1880. Après avoir vécu en Allemagne, en Suisse, en Belgique, en France et en Angleterre, il immigre au Canada en 1894. Telat ouvre à Montréal un atelier de fabrication d’appareils orthopédiques. Avant la Première Guerre mondiale, il prend régulièrement la parole dans des assemblées publiques où il défend des positions anarchistes.

165 « Le programme ouvrier », La Vérité, 18 février 1905, p. 2. Au mois de janvier 1905, Saint-Martin expose « d’une façon brillante la théorie socialiste » lors d’une assemblée publique organisée à Saint-Hyacinthe par le club ouvrier de cette ville. Voir : « Nouvelles ouvrières », La Presse, 24 janvier 1905, p. 10.

166 « Le socialisme à Montréal », Le Passe-temps, 24 février 1906, p. 70.

167 Le club ouvrier Bellamy est affilié au Parti ouvrier. Voir : « Nouvelles ouvrières », La Presse, 13 mars 1906, p. 13. 168 « Ce qui fait la force des socialistes, ce qui fait que leur doctrine gagne toujours du terrain, et que des millions d’hommes sérieux, sobres, actifs, intelligents, instruits et dévoués, se font un honneur d’être socialiste, c’est que, malgré les injures dont on les abreuve, les socialistes continuent poliment, paisiblement, leur propagande, sachant que l’humanité, dans sa marche continuelle, entraînée par le progrès, comprendra un jour que la PROPRIÉTÉ PRIVÉE est la cause de tous les crimes, la mère de tous les vices. (…) C’est précisément ce que nous prétendons, nous, socialistes, qu’il y a une question sociale (plus qu’une question ouvrière) à résoudre : pour résoudre cette question, nous l’abordons FRANCHEMENT, et nous tâchons de découvrir qu’elle est la cause du mal ; nous croyons l’avoir découverte, dans le mode actuel de production et de répartition de la richesse. Quand [sic] aux réformes à faire, les capitalistes n’en suggèrent aucune. Nous proposons la suppression de la cause du mal, ou pour être plus concluants, ce que nous croyons être la cause du mal : la propriété privée, et nous voulons y substituer la propriété collective ». A. Saint-Martin, « Le drapeau rouge », Le Nationaliste, 21 avril 1907, p. 2.

1. Le Socialisme est une assurance mutuelle et universelle de tous pour tout. Moyennant un travail modéré, facilité par les machines, le Socialisme assure ou garantit à chacun l’éducation, la faculté de se marier, la nourriture, le vêtement, le logement ; en un mot, tout.

2. Le Socialisme supprime la propriété individuelle et la monnaie, source de crimes et de misère. 3. Le Socialisme, c’est la regénération de la société toute entière où, le riche est exposé à être volé, assassiné, le pauvre à mourir de faim et abandonné.

4. Le Socialisme renferme toutes les questions de morale, de philosophie, d’industrie, d’économie politique et de législation.

5. Avec le Socialisme, tous pour chacun, chacun pour tous : à chacun suivant ses besoins, de chacun suivant ses forces, c’est la communauté. Avec le Socialisme, plus de pauvres ni d’oisifs, plus de crimes ni de supplices, plus d’impôts ni de police, plus de contestations ni de procès, plus d’inquiétude ni de soucis ; tous les citoyens amis et frères ; tous non seulement heureux mais également heureux !

6. Enfin le Socialisme, c’est la société organisée, et fondée sur l’égalité et la fraternité, c’est la République universelle, le bonheur commun, l’avenir de l’humanité169.

Si le PSC n’est pas tendre à l’endroit des formations politiques travaillistes comme le Parti ouvrier, Saint-Martin maintient son adhésion à ces deux organisations aux objectifs diamétralement opposés. Toutefois, après l’élection de son candidat Alphonse Verville lors d’une élection partielle en février 1906 dans Maisonneuve, le Parti ouvrier se recentre politiquement. La controverse entourant la manifestation du 1er mai 1906, suivie par la défaite de son candidat Joseph Ainey dans l’élection provinciale de novembre sont déterminantes dans la décision du Parti ouvrier de couper les ponts avec sa minorité socialiste170. En 1907, Saint-Martin est démis de ses fonctions de secrétaire du Parti ouvrier, lequel refuse bientôt l’adhésion des membres du PSC171. Chez les

169 Parti socialiste du Canada, « Qu’est-ce que le socialisme », IIHS, Coll00212, 2.1. Ce tract est reproduit dans l’Annexe A.

170 Pendant toute la campagne de novembre 1906, les adversaires libéraux de Joseph Ainey cherchent à dépeindre le candidat du Parti ouvrier comme un militant socialiste, forçant ses partisans à se justifier. Le président du CMTM, J.C.E. Tardif, l’un des principaux soutien d’Ainey, écrit : « Il est vrai qu’il peut y avoir quelques socialistes dans le parti ouvrier, mais ces radicaux n’ont pas une grande influence chez la majorité des ouvriers de Montréal ». « Nouvelles ouvrières », La

Presse, 13 novembre 1906, p. 13.

171 Ainsi, le journal Le Soleil rapporte qu’en 1909, le socialiste Alphonse Ouellette fait une demande de « réadmission » au Parti ouvrier qui lui est refusée : « Il est répondu à Alphonse Ouellette qu’il est libre de se présenter à n’importe quel club pour se faire admettre membre du parti, mais il aura au préalable, toutefois, à abandonner le parti socialiste, car la constitution du parti ouvrier interdit à ses membres de faire partie d’aucun autre groupement politique, et M. Ouellette ne se soumettra pas à ce règlement ». Voir à ce sujet : « Nouvelles ouvrières », Le Soleil, 10 novembre 1909, p. 8. Ouellette siège en 1907 au comité général du Parti ouvrier en compagnie d’Albert Saint-Martin. Voir : « Chronique ouvrière », La

dirigeants trade-unionistes et travaillistes, on se méfie des socialistes et des anarchistes qui prennent de plus en plus de place au sein du mouvement ouvrier montréalais172.

Au mois de septembre 1908, Albert Saint-Martin annonce qu’il est candidat socialiste dans la circonscription fédérale de Saint-Laurent. Le début de sa campagne est marqué par plusieurs assemblées publiques tenues au marché Saint-Laurent, situé sur la rue Saint-Dominique : « On peut le voir tous les soirs, juché sur un baril ou sur une boite, au coin d’une rue, entouré d’une cinquantaine de curieux et d’une douzaine d’adeptes, pérorant en faveur de la grande réorganisation sociale dont il voudrait se faire l’instigateur »173. Saint-Martin diffuse aussi un manifeste dont certains extraits sont publiés dans le journal Le Nationaliste, l’hebdomadaire dirigé par le journaliste Olivar Asselin. Après avoir mis dos-à-dos le Parti libéral et le Parti conservateur, il dénonce avec vigueur les effets de la crise économique sur la classe ouvrière :

Le Canada était un pays quasi prospère : nous voyons qu’après dix-huit années de régime libéral nous avons 5,000 sans-travail à Montréal seulement ; les prisons regorgent de malheureux qui préfèrent se faire arrêter pour de légers délits plutôt que de rester dans la misère ; des milliers d’enfants ne fréquentent pas les écoles parce que leurs parents n’ont pas les moyens de les y laisser ; des milliers de pauvres petits malheureux doivent s’étioler dans les « sweat-shops », les usines, les manufactures, les magasins et les bureaux ; les ménages sont dispersés, l’amour familial disparu, parce que nos filles et nos femmes sont obligées de délaisser la maison pour aller enrichir des compagnies ; comme conséquence inévitable de tout cela : l’ivrognerie, la prostitution et tous les crimes se multiplient dans des proportions alarmantes174.

Cette crise, dit-il, n’est pas passagère : elle prend un caractère permanent. Quelques années plus tôt, Saint- Martin aurait sans doute proposé une série de réformes pour remédier à la situation et alléger les souffrances des classes populaires. Son message est maintenant tout autre :

Guidés par ses philosophes, par ses savants et par ses économistes célèbres, seul, le parti socialiste, à la suite d’études et de recherches prolongées, a trouvé la cause du mal et nous offre le remède à ce mal. Nous, membres du parti socialiste, soumettons à la sérieuse considération des travailleurs et de ceux qui favorisent leur émancipation, que la cause de nos maux sociaux,

172 Ewen, « The International Unions », p. 217.

173 « Les socialistes de Montréal », La Presse, 19 septembre 1908, p. 36. « Les étudiants s’amusent », La Presse, 10 octobre 1908, p. 36. « Albert St. Martin », L’Action sociale, 12 octobre 1908, p. 2.

c’est la propriété privée des moyens de production, de distribution et d’échange. Au lieu de ce mode de possession capitaliste, nous suggérons que la richesse soit possédée collectivement par la société – d’où le mot « socialisme ». Avec le socialisme, la société produirait la richesse pour son utilité et non pas pour accumuler du profit : elle régulariserait la production suivant les besoins ; elle réduirait ou augmenterait les heures de travail selon que les circonstances l’exigeraient, tout le monde aurait le droit de travailler et quiconque ne voudrait pas travailler crèverait de faim, nul ne pourrait spéculer sur autrui, et, comme résultat d’un système économique supérieur, nous pourrions alors espérer voir se réaliser, dans un avenir rapproché, le règne de la véritable fraternité humaine175.

Malgré l’appui du journaliste Jules Fournier et de travailleurs d’origines diverses176, Saint-Martin n’obtient que 186 voix, soit moins de 3% des votes exprimés. Tout porte à croire que Saint-Martin s’est porté candidat non dans l’espoir d’être élu, mais davantage pour profiter de cette tribune afin de promouvoir ses idées. Fait à noter, Saint-Martin apparaît comme candidat indépendant sur les bulletins de vote, alors que les cinq autres membres du PSC qui se présentent ailleurs au Canada le font à titre de candidats socialistes177.

Cette situation montre sans doute le caractère distendu des liens entre la section française du PSC à Montréal avec la direction établie en Colombie-Britannique. Dans les pages de l’organe officiel du parti, le Western

Clarion, on fait rarement écho aux activités des militants francophones de Montréal si ce n’est dans les comptes

rendus des manifestations du 1er mai. Tout porte à croire que Saint-Martin bénéficie d’une large part d’autonomie au cours des premières années suivant son adhésion. Les activités de la section française sont résolument ancrées dans l’espace politique montréalais, au point où l’on peut se questionner sur les raisons qui motivent son affiliation à une organisation pancanadienne. À cette époque, Saint-Martin se montre particulièrement critique face à la situation minoritaire des Canadiens français au sein de la Confédération. Dans un article publié dans le journal L’Aube des temps meilleurs178, Saint-Martin dénonce l’infériorisation de sa « race » depuis la conquête britannique et s’attaque à la complicité des élites dans « la disparition de l’élément français » :

175 Ibid.

176 Jules Fournier, « Autour d’un manifeste », Le Nationaliste, 25 octobre 1908, p. 4. « Jour de la candidature », La Presse, 19 octobre 1908, p. 14. Parmi les signataires du bulletin de candidature de Saint-Martin, on remarque le nom de Gustave Francq.

177 Ces candidats sont : William Davidson, Kootenay, C.-B. ; James Hawthornthwaite, Nanaimo, C.-B. ; Frank Sherman,

Calgary, Alb. ; John D. Houston, Winnipeg, Man. ; et Frederick Urry, Thunder Bay and Rainy River, Ont.

178 L’Aube des temps meilleurs est un bulletin publié à Montréal en 1908 par un groupe d’étudiants à l’Université Laval. Dans les deux numéros que nous avons pu consulter, on trouve plusieurs articles sympathiques à l’action politique ouvrière, au socialisme et même à l’anarchisme.

Quelques personnes de bonne foi d’ailleurs, nous disent que les deux branches – française et anglaise – de la race canadienne vivent en harmonie au Canada. Il n’y a rien de plus faux : les Canadiens-français sont maintenus en silence : leurs grands hommes sont amadoués par des titres, leurs journaux sont vendus, le tout dans un unique but : ne dites rien. Les énergies sont délogées, toute aspiration vers le progrès est écrasée ; il faut que le Canadien-français suive l’exemple de son patron – le mouton de St-Jean-Baptiste – qu’il se laisse égorger sans résistance. Je dis que l’harmonie règne entre les deux races tout comme « la paix règne à Varsovie ».179

S’il partage à l’occasion la même tribune qu’Henri Bourassa, Saint-Martin n’adhère pas aux idées de la Ligue nationaliste canadienne. Il exprime cependant une position peu orthodoxe parmi les socialistes en dénonçant l’oppression nationale des Canadiens français. C’est ce qui explique sans doute qu’au sein des structures du PSC, Saint-Martin et son groupe cherchent à affirmer leur autonomie politique et organisationnelle. Dans les assemblées organisées par le parti à Montréal, les sections française et anglaise font souvent bande à part. Le compte-rendu d’une rencontre organisée au Temple du travail le 28 février 1909 témoigne bien de cette situation. Près de 400 personnes sont présentes pour entendre William Ulric Cotton prononcer une conférence en anglais sur la question du chômage. Pendant ce temps, les socialistes de langue française se réunissent dans une autre salle pour débattre d’un tout autre sujet :

Dans la section réservée à la section française du parti socialiste montréalais, le citoyen Boulé [Elzéar Boulay] faisait une conférence sur le militarisme. Cent cinquante personnes environ ont attentivement écouté et souvent applaudi l’argumentation très serrée du conférencier, portant plutôt durement sur l’organisation militariste, ses tendances, son objet et surtout ses conséquences. (…) Après les deux conférences, les sections anglaise et française du parti socialiste ont discuté séparément de la démonstration du premier mai prochain180.

En fait, les militants socialistes de langue française de Montréal entretiennent sans doute des liens plus étroits avec les militants francophones du Parti socialiste américain qu’avec leurs camarades de l’Ouest canadien. Ils diffusent dans leurs assemblées le journal de cette organisation – L’Union des travailleurs – et plusieurs militants montréalais collaborent régulièrement à cette publication181. Cette proximité n’est sans doute pas étrangère au

179 A. Saint-Martin, L’Aube des temps meilleurs, 2, 1908. 180 « L’agitation socialiste », Le Canada, 2 mars 1909, p. 2

181 Voir à ce sujet : Michel Cordillot, La Sociale en Amérique. Dictionnaire biographique du mouvement social francophone

aux États-Unis (1848-1922), Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2002, 431 p. Des extraits de L’Union des travailleurs sont

régulièrement publiés dans les journaux du Québec afin d’attaquer les militants socialistes. Voir notamment : « Les Canadiens-français socialistes », Le Bulletin, 16 septembre 1906, p. 1.

fait que son éditeur, Louis Goaziou, soit venu au Québec à quelques reprises pour y faire des conférences182. Lors d’une assemblée tenue au Temple du travail de Montréal le 30 mars 1908, Goaziou « (…) a développé avec une certaine éloquence la théorie qu’il veut mettre en pratique. Il définit le Socialisme [comme étant] ‘’la prise de possession des moyens de production’’ c’est-à-dire l’enlèvement aux propriétaires de tout ce qui peut produire un bénéfice quelconque aux ouvriers. Il veut arriver à ce but en faisant élire pour nos parlements une majorité de députés socialistes qui passeront alors des lois permettant de jeter hors de leurs manufactures et de leurs bureaux tous les capitalistes »183. Cette conception du changement social, qui se rapproche des idées mises de l’avant par Jean Jaurès au sein de la SFIO184, rejoint celle de la majorité des socialistes de langue française avant la Première Guerre mondiale.

Sur papier, les sections montréalaises du PSC sont parmi les plus importantes au pays. Leur position centrale dans le champ politique révolutionnaire montréalais masque toutefois certaines difficultés qui n’échappent pas aux organisateurs du PSC de passage dans la métropole. Déçus de l’accueil qu’on leur réserve, ceux-ci remettent en cause la cohésion interne des sections montréalaises, qu’on juge trop laxistes dans l’application de la ligne politique de l’organisation, la diffusion de sa propagande et le paiement des cotisations. Ces critiques mettent les sections montréalaises sur la défensive. La situation à Montréal est plus complexe qu’elle n’y parait, affirme Matthew Wayman185, le secrétaire du PSC à Montréal. Les divisions ethnolinguistiques, l’omniprésence de l’Église, la domination des « labor fakirs » sur le mouvement syndical sont autant de facteurs qui expliquent les difficultés rencontrées par les militants révolutionnaires. Dans ces conditions, explique-t-il :

Tell me how we can get a Socialist organization to survive such overwhelming ignorance. In spite of this, we have five branches in four languages, a headquarters and leases on two large halls for every Sunday. Boys, don’t look at the local coloring and framing ; look at the fact and take heart. If we don’t come up to your standard, tell us so – don’t sling mud. We can stand the vinegar of the capitalists, the slime of the church, the ignorance of the mass, but your intolerance sort of knocks the sand out of us186.

182 « Nouvelles ouvrières », La Presse, 3 août 1904, p. 10. 183 « Le socialisme à Montréal », Le Canada, 31 mars 1908, p. 8.

184 On peut aussi voir une filiation de cette perspective avec celle, plus ancienne, du groupe de députés démocrates- socialistes élus lors des élections législatives françaises en 1849.

185 Tapissier-décorateur né en Grande-Bretagne en 1879, Matthew Wayman émigre au Canada en 1906. Il occupe la fonction de secrétaire du PSC à Montréal entre 1909 et 1910 avant de déménager à Ottawa vers 1911 en compagnie de