• Aucun résultat trouvé

Plan de la thèse

Chapitre 3. Un mouvement à la croisée des chemins, 1924-

3.2 L’Association révolutionnaire Spartakus et l’Université ouvrière, 1924-

3.2.7 Classe contre classe ?

L’adhésion des membres de l’ARS au PCC s’effectue dans une période de changements importants au sein mouvement communiste international, marquée par la victoire de Staline sur l’opposition de gauche lors du 15e congrès du Parti communiste russe. En 1928, le Komintern adopte une nouvelle ligne politique, dite « classe contre classe », qui provoque un durcissement du discours et des pratiques des partis communistes à travers le monde. Au Canada, le PCC exclut de ses rangs les militants suspectés de sympathies trotskystes et modifie en profondeur sa stratégie syndicale. Après avoir tenté sans succès de prendre le contrôle des structures du CMTC, le PCC procède en 1929 à la mise sur pied de la Ligue d’unité ouvrière (LUO), une centrale syndicale révolutionnaire dirigée par des militants communistes602. Le PCC combat ouvertement les autres formations de gauche, à commencer par les « traitres sociaux-démocrates » accusés de pactiser avec les capitalistes. En parallèle, les militants du PCC jouent un rôle actif dans les luttes menées par les sans-emploi dont les manifestations se terminent de plus en plus fréquemment par des affrontements avec la police603.

599 « Les débuts du 1er mai commencent avec calme », La Presse, 1er mai 1929, p. 1. Voir également : Dansereau, « Le mouvement ouvrier montréalais », p. 354.

600 « La police empêcha la parade », La Patrie, 2 mai 1927, p. 2.

601 « Le permis de parade, le 1er mai », La Patrie, 23 avril 1928, p. 3. La Cour reconnait au service de police municipal le droit d’empêcher la tenue d’une « parade » s’il craint que la paix publique ne soit troublée, invitant les organisateurs d’une manifestation à s’adresser au comité exécutif de la ville de Montréal s’ils estiment être lésés dans leur droit.

602 Au sujet de la LUO, voir notamment : Stephen L. Endicott, Raising the Workers’ Flag : The Workers’ Unity League of

Canada 1930-1936, Toronto, University of Toronto Press, 2012, 480 p. ; Lévesque, « Le Québec et le monde communiste »,

p. 171-182.

603 « Vives échauffourées entre communistes et policiers devant l’hôtel de ville », La Presse, 6 mars 1930, p. 3. Des actions coordonnées sur cet enjeu sont organisées le même jour par des militants communistes dans plusieurs villes à travers le monde.

Lors du 6e congrès du PCC tenu à Toronto au début du mois de juin 1929, les délégués présents adoptent un plan d’action en trois points, destiné à accroitre la visibilité du parti auprès des masses canadiennes-françaises. Ce programme prévoit le développement d’une propagande adaptée à leur réalité nationale spécifique, la production d’un journal à grand tirage et l’envoi d’un organisateur au Québec. Toutefois, d’après la GRC, ce dernier point pose problème : « (…) no Quebec Frenchman wanted the position or was suitable, so Moscow and Toronto decided to get a Frenchman from the Old Country »604. Les responsables du PCC estiment que les candidats potentiels à Montréal n’ont ni la formation politique, ni l’expérience d’organisation nécessaire pour pouvoir occuper ce poste, ce qui pose problème. Leur choix s’arrête donc sur Léon Mabille, un jeune cadre du Parti communiste américain. Né à Paris en 1901, Mabille émigre aux États-Unis au début des années 1920 et commence à militer au sein du Parti communiste. D’après Nathalie Viet-Dépaule, c’est à New York « [qu’il] fonda en 1922-1923 la première cellule communiste en langue française composée surtout de juifs immigrés »605. Après quelques années passées à sillonner les États-Unis comme permanent salarié du parti et comme organisateur syndical, Mabille est appelé à se rendre au Québec pour mener une campagne d’agitation auprès des travailleurs canadiens-français.

Le 31 mars 1930, Mabille tente de traverser la frontière canado-américaine à Windsor mais il est refoulé par les douaniers606. C’est finalement sous le pseudonyme de Georges Dubois qu’il parvient à entrer au Canada. Au début du mois d’avril, Mabille s’établit à Montréal où il prend en charge la production du journal L’Ouvrier

canadien607. Dès son arrivée, ce dernier met en garde les militants du parti :

(…) he said that the Communist groups in Montreal were not doing enough just by holding meeting every week. They must hold open air meetings, shop meetings, make propaganda in the shops, issue shop papers, etc. Every member of the Montreal district must be active and must do his duty. They must ignore the Police and if they got arrested and sent to gaol, that would be their real test as Party members. If members were not active they must be expelled from the party, and

604 BAC, Demande d’accès à l’information A-2016-00352, RCMP, Communist Party of Canada – French Branch, Supp. 1, Vol. 8, 14 septembre 1929, p. 108.

605 http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article73753, notice MABILLE Léon par Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 1er septembre 2009, dernière modification le 31 janvier 2011. Consulté le 2 décembre 2019.

606 Canadian Immigration Service, Report of Admissions and Rejections at the Port of Windsor, Ontario for the Month ending March 31, 1930, v. 2, p. 272.

607 Sa présence à Montréal est rapportée par la GRC le 9 avril 1930. BAC, Demande d’accès à l’information A-2016-00352, RCMP, Communist Party of Canada – French Branch, Supp. 1, Vol. 8, 10 avril 1930, p. 77.

he quoted the cases of Spector, McDonald, Buhay, Shalinsky and Margolese, who have been expelled or recommended for expulsion608.

La GRC rapporte une recrudescence des activités de la section française après son arrivée. Des bulletins d’entreprises sont produits dans différentes usines, notamment celles de la Northern Electric, de la Phillip-Place Building, de la Dominion Oil Cloth et des ateliers Vickers609. Le parti présente également la candidature d’Edmond Simard lors des élections fédérales de juillet 1930 dans la circonscription de Maisonneuve610. Le séjour de Mabille à Montréal est toutefois de courte durée. Arrêté le 1er mai par la police municipale lors d’un rassemblement organisé par le PCC au square Viger611, il est de nouveau appréhendé par la GRC le 30 juin, puis condamné à un mois de prison pour avoir contrevenu à la loi sur l’immigration. Mabille est ensuite déporté vers les États-Unis avant d’être expulsé vers la France où il poursuit son engagement communiste.

Il ne fait aucun doute que Mabille a contribué à structurer et solidifier la section française du PCC. Ce dernier comprend rapidement le besoin de développer à Montréal des cadres susceptibles d’effectuer un travail d’organisation conséquent. Ses pressions sur les instances du PCC pour que cette formation soit offerte en priorité à de jeunes ouvriers canadiens-français vont favoriser l’éclosion d’une nouvelle génération de militants au début des années 1930. Avec le soutien de Jeanne Corbin612, cette cohorte remplace progressivement celle d’avant-guerre613, entrainant une remise en cause de l’influence exercée par Saint-Martin dans le champ politique révolutionnaire.

608 Ibid. Expulsé du parti en 1930, Michael Buhay rejoindra l’Opposition communiste internationale – dite « Opposition de droite » – en formant à Montréal la Workers Education League. Buhay réintègre le PCC au cours des années 1930. Au sujet des activités de l’Opposition communiste internationale à Montréal, voir : Robert J. Alexander, The Lovestoneites and

the International Communist Opposition of the 1930s, Westport, Greenwood Press, 1981, p. 255-256.

609 BAC, Demande d’accès à l’information A-2016-00352, RCMP, Communist Party of Canada – French Branch, Supp. 1, Vol. 8, 22 mai 1930, p. 51-52.

610 Simard obtient 313 votes, finissant bon dernier.

611 « La police a raison de la matinée du premier mai », La Presse, 1er mai 1930, p. 1. Fait à noter, cet article prétend que Dubois est d’origine… finlandaise.

612 Au sujet de Jeanne Corbin et de ses activités à Montréal, voir : Lévesque, Scènes de la vie en rouge, 309 p.

613 L’un des derniers « représentants » de cette cohorte, Edmond Simard, quittera le PCC en 1931 après avoir essuyé de nombreuses critiques sur son incapacité à défendre la ligne politique du parti. Simard refuse notamment de tenir des meetings à la porte des usines, craignant – avec raison – de se faire arrêter.