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Plan de la thèse

Chapitre 1. Les militants socialistes et libertaires de langue française à Montréal, 1906-

1.4 Portrait des militants de langue française avant la Première Guerre mondiale

1.4.2 Une culture politique commune ?

Il existe une forte convergence entre la section française du Parti socialiste, le cercle Alpha-Omega et la Ligue des femmes pour l’instruction publique et obligatoire. Des liens étroits unissent les membres de ces trois « organisations de combat »207 qui luttent « pour le triomphe de la vérité sans voile, et de la justice sans glaive »208. Si leurs objectifs peuvent parfois diverger, leurs pratiques restent similaires : par l’éducation et la diffusion de propagande, elles cherchent à confronter les préjugés en provoquant des débats dans l’espace politique montréalais.

Entre 1908 et 1914, nous avons recensé près de 70 assemblées, conférences ou causeries organisées par la section française du Parti socialiste, le cercle Alpha-Omega et l’Université populaire. Tenues principalement à la salle de l’Union Saint-Joseph, au Temple du travail et à la salle Saint-Édouard pendant les mois d’hiver, puis sur les marchés publics pendant l’été, ces rencontres portent sur divers thèmes : explications des principes du socialisme ou de l’anarchisme, débats philosophiques, éducation scientifique. La recension de ces conférences nous permet de distinguer un profil bien particulier de militant, celui de conférencier. Si Saint-Martin apparaît comme l’un des principaux orateurs – huit mentions –, d’autres individus se démarquent également : Arthur Maillard – six mentions –, Albert Étienne – quatre mentions –, Charles Holmes – quatre mentions. Deux femmes apparaissent dans la liste, soit Alphonsine Rodier – Mme Pierre Drolet – et Mathilde Larocque – Mme Solomon Larocque –, lesquelles sont à la fois socialistes et membres-fondatrices de la Ligue des dames pour l’instruction

206 « Mouvement international : Canada », Les Temps nouveaux, 27 janvier 1912, p. 11.

207 Pierre Duchemin, S.T., Le Pays, 28 octobre 1911, p. 3. Pierre Duchemin est le pseudonyme du militant socialiste Salomon Larocque.

publique et obligatoire. À quelques reprises, des pasteurs protestants ou des intellectuels catholiques sont invités à participer à des débats contradictoires. Cette formule est reprise avec beaucoup de succès pendant l’entre-deux-guerres.

Le journal La Patrie nous donne un aperçu du déroulement de ces assemblées organisées sur une base hebdomadaire :

Le parti socialiste, section française de Montréal, a tenu avant-hier après-midi, à la salle Saint- Joseph, un mass meeting. Le drapeau rouge était hissé à la tribune. M. Alph. Ouellette, l’un des militants du parti, fut invité à présider. Un des membres du groupe s’était tenu à la porte pendant une demi-heure, invitant à l’aide d’un porte-voix, les passants à assister au meeting. À la fin, vers quatre heures, il y avait bien une couple de cents personnes réunies pour entendre les orateurs socialistes annoncer leur doctrine.

Le président apprit à l’assemblée qu’il avait été envoyé à une quarantaine de députés fédéraux un questionnaire sur le moyen de solutionner le douloureux problème du chômage. Sept seulement ont accusé réception de ce document; un seul a ajouté à sa réponse des commentaires et une solution, c’est le député de Terrebonne, M. Nantel. Ce représentant du peuple prétend qu’il y a dans notre « heureux » Canada du travail pour tout le monde, et invite les ouvriers insatisfaits de leur situation dans les villes, à se faire colon.

M. A. Saint-Martin, le fondateur et l’âme de ce groupe, fit une critique vigoureuse et amère de la réponse du député de Terrebonne, qu’il qualifia de non-sens. Puis, une conférence sur les mauvais effets de notre système social fut faite par un des membres, qui a été très applaudit209.

Avant la Première Guerre mondiale, le journal libéral Le Pays publie dans son édition hebdomadaire les convocations à ces assemblées. Celles-ci sont parfois accompagnées de commentaires qui nous indiquent le type de public recherché. Alors que le PSC invite tout spécialement « les ouvriers syndiqués », « les dames », « les sans-travail et ceux qui gagnent moins que $20 par semaine », les « causeries scientifiques » du cercle Alpha-Omega visent principalement « les médecins, les avocats et, en général, tous ceux qui se livrent à l'étude des choses sérieuses ». Cette différence est significative, dans la mesure où elle concorde avec la composition de classe des deux organisations. En effet, le noyau de la section française du Parti socialiste est majoritairement composé d’ouvriers alors que le cercle Alpha-Omega compte un nombre considérable de représentants des professions libérales parmi ses membres les plus actifs.

Les deux groupes se rejoignent sur le terrain de la critique religieuse, laquelle occupe une place importante dans l’engagement des militants. Ceux-ci diffusent dans leurs rassemblements des tracts et des brochures « (…) qui accusent le Pape, l’archevêque de Montréal, les prêtres d’une série de crimes »210, ce qui n’est pas sans causer des altercations, parfois musclées, avec des catholiques mécontents211. Une partie de cette propagande anticléricale est importée de France grâce aux contacts noués par des militants montréalais.

Les militants et les militantes de ces réseaux n’hésitent donc pas à intervenir sur la place publique, quitte à désobéir aux autorités municipales ou religieuses. Ainsi, lorsque la loge l’Émancipation subit les attaques du clergé entre 1909 et 1910, on voit ce milieu se mobiliser pour mettre en échec la stratégie d’intimidation orchestrée par l’Église. Une cinquantaine de membres du cercle Alpha-Omega, du Parti socialiste et de la Ligue des dames pour l’instruction publique et obligatoire signent conjointement une pétition demandant à la municipalité qu’elle intervienne pour faire cesser les assemblées publiques organisées par des membres de l’Association canadienne de la jeunesse catholique (ACJC) afin de discréditer les francs-maçons de Montréal212.