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massive et standardisée des médias à un usage localement maîtrisé

Section 2 : La communication dans une perspective de développement

2.2 Un lien historique entre communication et développement

quelle que soit l’idéologie sous-tendue (Ambrosi A., 1992). Celle que nous défendrons pour notre part, parfois nommée « communication alternative », est fondée sur les mêmes idéaux que ceux avec lesquels nous sympathisons dans les modèles de développement, c’est-à-dire l’autonomie, le respect des différences, les concepts de souveraineté et de participation et la primauté accordée aux hommes. Nous le verrons, la communication peut être à la fois un vecteur de démocratie et un facteur d’appauvrissement humain, un diffuseur mitigé de savoirs et d’illusions.

Finalement, la deuxième partie de cette section présentera en quelques pages le domaine de la « communication pour le développement » (CPD) dont cette thèse pourrait pleinement se revendiquer. Nous en aborderons l’histoire, les fondateurs et les principaux concepts actuels.

2.2 Un lien historique entre communication et

développement

2.2.1 Le postulat d’origine

Au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, les Nations Unies définissent le droit à l’information comme un droit fondamental qui doit, à l’instar de la liberté d’opinion et d’expression, permettre de lutter contre la barbarie et l’obscurantisme. Ils anticipent ainsi la

13 Modèle apparu dans « Théorie mathématique de la communication » en 1948.

14 Cf. le modèle de H. D. Lasswell qui a conçu la communication comme un processus d’influence et de persuasion orienté vers sa finalité : « qui dit quoi, par quel canal, à qui et avec quel effet ? »

théorie de l’action communicative de J. Habermas15, pour lequel l’ouverture des canaux de communication est une condition requise pour le progrès social et le développement de relations non coercitives. L’UNESCO agit en ce sens dès la fin des années 40 et préconise à différents pays de favoriser l’existence d’un nombre minimal d’organes de presse, de stations de radio et de toutes sortes de récepteurs (Vieira de Souza M., 1993). L’idéologie dominante est alors techniciste, considérant la communication comme à même de résoudre les problèmes politiques et sociaux que les modèles économiques ou de développement ne seraient pas parvenus à solutionner jusque là. Ce point de vue pêche aux yeux de nombreux auteurs par un déterminisme quelque peu naïf, qui fait des usages des techniques le principal opérateur de changement des sociétés contemporaines (Breton, 2001).

2.2.2 1970 – 2000 : le triomphe de la société de l’information

Le transfert d’information a vite pris un aspect vertical, malgré le changement d’orientation de l’UNESCO, du « tout informatif » vers une « circulation libre et équilibrée de l’information ». Le paradigme diffusionniste alors en vigueur suppose une réception passive des messages par des spectateurs et auditeurs peu incités à raviver leur flamme citoyenne. Mais face à l’absence de résultats la communauté pensante a du admettre dans la douleur que les difficultés sociales et politiques, comme la misère humaine, n’étaient pas solubles dans la communication.

Au fil du temps, une « communication alternative » a néanmoins parfois permis de soutenir des formes de résistance là où la censure et les dictatures empêchaient l’exercice du droit fondamental à être informé : ce fut notamment le cas au Chili, en Argentine, en Europe de l’Est, en Afrique du Sud (nous traitons le cas d’un projet vidéo de lutte contre l’apartheid en annexe 31) ou encore aux Philippines. L’UNESCO, une fois de plus aux avant-postes, a joué un rôle majeur dans le domaine depuis les années 70 en mobilisant de nombreux spécialistes sur des réflexions soutenues autour des liens entre communication et développement. Son positionnement militant pour le droit à communiquer, les médias communautaires, la dénonciation de certains impacts de la technologie et la remise en cause du modèle dominant et du monopole des pays du Nord (voir UNESCO, 1980 - le « rapport MacBride » – et UNESCO, 1990) ont même conduit au retrait temporaire des USA et de la Grande Bretagne de l’organisation. Le rapport MacBride voyait dans la communication une notion toute différente de celle de l’information : « La communication de nos jours est considérée comme une question de

droits de l’homme. Mais ce droit est de plus en plus considéré comme le droit de communiquer et va au-delà de celui de recevoir la communication ou d’être informé. La communication est donc envisagée comme un processus bi-directionnel, dont les participants - individuels ou collectifs – entretiennent un dialogue démocratique et équilibré… Le droit à communiquer est un prolongement du progrès et de la démocratie ».

Au début des années 80, au titre d’ancien secrétaire général de l’Union Internationale des Télécommunications, Mohamed Mili faisait remarquer que les deux tiers des pays du monde étaient très mal desservis en télécommunications et qu’une grande partie de leur population était particulièrement isolée par le manque d’infrastructures, alors que les pays du Nord préparaient et profitaient déjà de la mondialisation de l’information (Voigt T.E., 1983). Internationalement, les Etats se retiraient d’une activité en privatisation rapide car devenue totalement marchande, et des chaînes de télévision planétaires comme CNN faisaient leur apparition. Le rapport UNESCO de 1989 sur la communication consacrait pour sa part un tout petit chapitre aux médias alternatifs. Néanmoins différents pionniers commençaient à se faire entendre (comme Carlos Afonso d’IBASE) et défendaient l’idée d’un usage social des

15 Voir Habermas J., 1984,” Theory of Communicative Action”, Vol 1, “Reason and the Rationalization of Society”, Beacon press Boston.

réseaux d’information dans les communautés. Le local et le global émergeaient donc au même moment, et s’opposaient dès l’origine (Reyes Matta F., 2003).

Au début des années 90, les USA, la CEE et la Japon concentraient 90 % de la production des biens et services d’information dans le monde. Seuls quatre pays africains (Algérie, Kenya, Nigéria, Gabon) disposaient de plus d’une station de télévision alors qu’au Nord le câble avait déjà envahi les foyers. Cette situation s’expliquait essentiellement par l’importance des investissements à consentir pour s’approprier les moyens de production et de diffusion Dans cette évolution, les industries de l’armement étaient particulièrement liées à celles de l’information : le Broadcasting Task Force en Afrique du Sud (contrôlée par les services de renseignements), NBC propriété de General Electric (fournisseurs des fameuses armes « chirurgicales »), Matra en France, etc. (Ambrosi A., 1992).

Dans le courant de la décennie, certains pays du Sud sortent de leur dépendance exclusive vis-à-vis du Nord en termes de communication (à l’image de quelques pays arabes ou de l’Inde). L’Amérique latine notamment présente un formidable dynamisme télévisuel (Roncagliolo R, 1992) et radiophonique, y compris dans des zones rurales assez reculées grâce aux microtransmetteurs. Cette spécificité latino-américaine est sans doute à relier au foisonnement de chercheurs en communication sur ce continent.

Les mesures d’ajustement structurel achèvent de généraliser la privatisation des services. Une communication à deux vitesses va de pair avec un développement à deux vitesses. Si l’UNESCO, le PNUD et la CNUCED contribuent (avec de maigres budgets) au développement de communications à « caractère social », la majeure partie de l’aide internationale dans le domaine reste distillée par les Etats dominants, souvent à des sociétés privées dans une optique de « transfert de technologie » (les mots sont les mêmes que dans le domaine du développement). Les ONG qui appuient la communication communautaire (où les populations participent aux différentes étapes de la vie d’un message informatif) se multiplient, mais elles restent sans poids face au rouleau compresseur du modèle dominant, et sont largement tributaires de l’argent des bailleurs de fonds.

Les choses sont allées très vite. L’avènement de la « société de l’information » a mis à peine trois décennies à se concrétiser au Nord, et le modèle a été très activement diffusé vers le Sud avec quelques années de retard. Observons au passage que les écoles libérales véhiculent toujours aujourd’hui l’idée selon laquelle les mass médias doivent apporter la modernité sociale. Le concept de « quatrième pouvoir16 » s’est imposé à la lumière du rôle majeur des médias lors de la couverture des conflits, sociaux ou armés (nos souvenirs personnels datent de la première guerre du Golfe), et avec lui les débats sur la manipulation, la propagande, l’éthique et la démocratie ont pris le devant de la scène. Information, médias et communication occupent une place considérable dans notre quotidien, au point de faire naître des mouvements idéologiques de repli chez ceux qui saturent de trop de mise en réseau et d’excès d’accessibilité.

Le moteur de cette explosion est bien sûr le développement technologique extrêmement rapide de l’informatique et des télécommunications (standards, supports, réseaux). L’ère des communications se révèle tout aussi triomphaliste que le fut l’arrivée des modèles impériaux socialiste et capitaliste néo-libéral. Et les consommateurs potentiels d’informations et de technologie sont nombreux : les usagers de téléphone mobile sont passés de 800 millions à 3,3 milliards entre 2000 et 2007, et Internet a connu une croissance annuelle de 100 % depuis 1990 (d’après Internet World Stats).

Aujourd’hui le débat politique sur les communications a déserté peu à peu l’UNESCO pour l’ITU (International Telecommunication Union basée à Genève), et c’est au sein de cette

16 Le concept du quatrième pouvoir (après l’exécutif, le législatif et le judiciaire) est né en Angleterre à la fin du 18ème

siècle, et traduit l’idée d’une forte influence des médias sur les affaires publiques et le comportement des citoyens. Il s’affirme, en France, avec l’affaire Dreyfus.

organisation que les figures mondiales du domaine développent, entre autres, le concept des « autoroutes de l’information ».

L’UNESCO continue néanmoins de produire des réflexions sur la communication en s’intéressant notamment récemment à son rôle dans l’équité et le développement humain à l’échelle mondiale, et aux stratégies à suivre pour maintenir le pluralisme et déplacer l’attention des technologies vers les contenus (UNESCO, 2000).

2.2.3 Le cas particulier de la vidéo

Au début de ces années 90, de nombreux praticiens vantent le potentiel de la « vidéo alternative » pour rendre aux populations le droit à communiquer et le droit à une image qui ait du sens (adaptée aux cultures et aux aspirations de chaque groupe). Le principe est né et s’est rapidement développé lors de la décennie précédente, en particulier au Canada. Les réflexions des praticiens s’orientent rapidement vers les concepts de micro-citoyenneté, de feed-back, essentiel à tout « bon » processus de communication, et vers les difficultés de cohabitation de la vidéo alternative avec les grands médias (Hall D., 1990). Le mouvement se structure et prend l’aspect d’une vraie lutte sur différents fronts. Le principal ennemi visé est la télévision de masse, voire transnationale, accusée d’être l’instrument d’un impérialisme culturel marchand, fondé sur l’homogénéisation des messages. Les colloques et les publications appellent à communiquer à une échelle plus réduite, par les télévisions communautaires et toutes sortes de vidéos alternatives, certaines étant réalisées de manière participative avec le futur public. « En Inde, une très importante partie de la population est encore analphabète et

éloignée des réseaux d’information. Il s’agit surtout de femmes et de paysans pauvres. Une véritable "culture du silence" s’est instaurée autour d’eux entraînant un immobilisme social tout à fait contraire à tout processus de développement. Par contre, l’invasion de la radio et de la télévision officielles atteint tout le monde, mais sans adaptation à chaque cas. Ces grands médias traitent de problèmes communs. L’information est fournie par des experts qui parlent à tous et donc à personne en particulier. Les auditeurs ne peuvent que rester passifs. Or, le développement suppose une participation active de la population. Pour cela, il faut permettre aux communautés de réfléchir sur leur cadre de vie, leur savoir-faire et leur culture. A partir de cette prise de conscience, elles pourront résoudre leurs problèmes et transformer leurs conditions de vie. » (Jain R., 1992).

Malgré la ferveur de certains membres du mouvement, la démocratisation progressive de l’accès à l’outil informatique dans les années 80 puis du multimédia et de l’Internet dans les années 90 semble avoir totalement détourné l’attention générale des outils vidéos, au profit de ces Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. Ce n’est que depuis quelques années que la réflexion dans le domaine connait un certain renouveau.

2.3 La télévision et les NTIC face à la démocratie et au

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