• Aucun résultat trouvé

Quels sont les outils d’aide à la réflexion collective proposés dans le domaine de la gestion territoriale ?

Section 3 : Quels outils ou méthodes pour une aide à la concertation ?

3.2 Quels sont les outils d’aide à la réflexion collective proposés dans le domaine de la gestion territoriale ?

Sans rechercher l’exhaustivité, notre intention est de brosser un rapide tableau de l’existant afin de dégager à grands traits les avantages et inconvénients des principaux outils d’aide à la réflexion collective disponibles, pour mieux questionner par la suite la pertinence du recours à la VP dans ce domaine.

La réflexion se nourrit d’informations. Les outils d’aide à la réflexion visent ainsi à produire, faire surgir et/ou simplement rendre accessibles des informations. Certains auteurs distinguent deux types d’outils selon qu’ils se contentent de proposer une certaine représentation de l’information ou qu’ils proposent un traitement particulier de cette information (S. Damart et al, 2001). Mais dans la pratique, de nombreux outils, isolément ou de manière combinée, permettent à la fois de représenter et de traiter l’information. C’est le cas notamment des Systèmes d’Information Géographique, ou des outils d’expertise.

3.2.1 L’expertise

L’outil le plus fréquemment sollicité dans une situation de blocage ou de conflit autour d’une problématique de gestion territoriale est sans conteste l’expertise externe. Celle-ci consiste en confier à un ou plusieurs « experts » le soin de réaliser une analyse de l’existant, de dresser un état des lieux, depuis une position externe au système d’acteur local, supposément objective parce que détachée. Malgré la prolifération actuelle des méthodes dites de « diagnostic participatif », nombreux sont les auteurs estimant qu’il ne s’agit hélas le plus souvent que de simples procédures de consultation et de validation par les acteurs locaux d’un diagnostic restant exogène (Cf. P1, Chapitre 1, § 1.5). Ce qui relève du choix, de la synthèse et de la mise en forme des données recueillies restent aux mains des seuls experts. Ceci ne favorise pas la production d’une information orientée vers l’opérationnel, à savoir adaptée aux besoins et attentes des parties prenantes, réellement disponible, et dont la pleine compréhension est à la portée de tous. Si l’expertise peut jouer un rôle important comme outil

d’aide à la décision pour ceux qui savent l’exploiter, l’incapacité (et/ou l’impossibilité) de l’ensemble des personnes concernées d’en discuter les fondements et donc les résultats fait qu’on ne peut en aucun cas la considérer comme un outil de concertation, ni même un outil de médiation.

3.2.2 Les outils géographiques

Les systèmes d’information géographique (SIG) constituent aujourd’hui des outils privilégiés de représentation et de traitement de l’information dans le cadre des problématiques territoriales. Ils permettent en effet l’intégration et la modélisation de données géographiques ainsi que des processus qui transforment le territoire. La représentation obtenue est généralement en deux dimensions, mais un rendu 3D ou une animation présentant des variations temporelles sur un territoire sont possibles. Si ces représentations peuvent à l’occasion constituer de bons supports de réflexion et de discussion entre acteurs60, elles ne sont pas non plus systématiquement bien comprises et acceptées par l’ensemble des populations. Outre le fait que tout le monde n’est pas nécessairement familier des représentations territoriales en deux dimensions ou du repérage cardinal, cette technologie du SIG est encore souvent perçue comme une « boîte noire » aux mains d’experts (et parfois même, à raison, comme des « joujou » pour occidentaux) ce qui complique l’appropriation de ses résultats. De même les informations figurant sur les représentations issues d’un SIG ne sont pas toujours adaptées aux différents enjeux et groupes d’utilisateurs impliqués dans la prise de décision en aménagement du territoire (C. Prévil et al., 2003).

A ce sujet, de rares expériences de « co-élaboration » entre experts et acteurs locaux d’outils cartographiques d’aides à la décision ont été menées (cf. D’Aquino et al., 2002, I. Touré et al., 2004). Elles ont montré tout l’intérêt de ce type de démarche pour la construction d’une approche commune du territoire et l’établissement d’outils pratiques, pouvant servir de support à la négociation entre acteurs, car étant maîtrisés par tous et adaptés aux différents enjeux. Cependant ce type de méthode nécessite encore un important travail d’accompagnement (entre renforcement des capacités locales d’expression et d’interprétation spatiale, et recueil des besoins spécifiques en informations géographiques), et semble fortement limité par le facteur temps61. Par ailleurs les dénommés Participatory GIS et Public

Participation GIS (PGIS et PPGIS) ne sont généralement pas de vraies expériences de

co-élaboration de SIG mais plus souvent des termes qui désignent simplement l’utilisation d’un SIG comme interface entre des experts ou des aménagistes et une communauté (Aberley D. et Sieber R., 2002 ; Rambaldi et al., 2004).

Néanmoins des approches plus « légères » existent, visant la production d’outils géographiques plus simples, tels que des cartes, voire des diagrammes spatiaux ou des modèles en relief62, permettant de mettre en place des réflexions collectives autour du territoire et de ses dynamiques. Les approches dénommées Community Mapping, Social

Mapping ou Participatory Mapping63 existent depuis les années 80 et sont considérées comme étant desméthodes de Participatory Rural Appraisal visant à mobiliser les capacités analytiques des acteurs locaux (Kenyon J., 1983; Chambers R., 1994). Les Participatory 3D Modelling

60 En effet, il est tout de même généralement plus aisé de se réunir et discuter autour d’une carte en couleur qu’autour d’un rapport d’expertise d’une centaine de pages. Ceci est a priori d’autant plus vrai dans les pays du Sud où les inégalités de niveau d’instruction sont fortes et où parfois la langue administrative n’est pas la même que celle parlée par la population. En ce sens la cartographie SIG peut être considérée comme un outil de médiation potentiel. Mais il faut prendre garde également à l’attrait parfois inconsidéré pour les techniques sophistiquées, qui fait rejeter d’autres démarches plus légères, et possiblement conviviales, telles que par exemple les fameux « tours de plaine » chers à M. Sébillotte et aux tours de pays avec les acteurs locaux évoqués par transposition dans les travaux de J.-P. Prod’homme.

61 Dans le cas de l’expérimentation menée au Sénégal (I. Touré et al., 2004) il aura fallu 6 mois de travail de terrain pour obtenir un outil cartographique considéré comme adapté par l’ensemble de la population locale.

62 Pour visualiser des exemples de résultats on pourra visiter notamment le site www.iapad.org.

(PD3M) sont plus récents, plus longs à mettre en place, et sont souvent utilisés comme base pour introduire l’utilisation d’un SIG et exploiter ses résultats de manière plus intelligible (Rambaldi et al., 2004). Bien qu’ils servent initialement à faciliter la communication entre la population locale et des experts extérieurs, ces différents exercices de « cartographie participative » engendrent et s’appuient sur des réflexions collectives très riches, qui peuvent aider à construire une vision partagée (et peut-être nouvelle) du territoire avec ses éléments constitutifs (sociaux, naturels, etc.) et son organisation. Ces outils peuvent donc être utilisés comme des outils d’aide à la réflexion collective, même s’il est parfois difficile de développer chez les acteurs locaux les capacités de figuration nécessaires à la matérialisation des cartes mentales - et même parfois du relief -. Dès lors ceux-ci peuvent facilement se perdre dans l’exercice (Mukherjee, N. 1992, Chambers R., 1994). Ces difficultés surmontées, le résultat produit et expliqué par les créateurs est particulièrement intelligible pour les populations locales. Il peut en ce sens accompagner ponctuellement un processus de concertation, lorsqu’il s’agit bien sûr de thématiques territoriales très concrètes (frontières, localisation de ressources, partage, etc.).

3.2.3 Les Analyses Coûts/Avantages et autres Analyses Multi-Critères

D’autres outils traditionnellement utilisés dans le cadre de la gestion territoriale sont les Analyses Coûts/Avantages (ACA) et les Analyses Multi-Critère (AMC). L’ACA propose une approche du processus de décision reposant sur la recherche du choix optimal d’affectation d’une ressource rare - bien souvent l’argent -. Cette approximation de l’optimum est supposée fournir un point de départ pour la concertation et pour la légitimation de la décision finale (S. Damart et al, 2001). Les principales hypothèses supportant cette approche sont l’objectivité de l’évaluation quantitative des différents « coûts » et « avantages », et le partage par l’ensemble de la collectivité de cette perception de l’« optimum ». Or il n’est pas évident de pouvoir mesurer objectivement et quantitativement certains facteurs tels que les pollutions environnementales, les atteintes à l’intégrité du paysage ou le bruit. De même, supposer que cet optimum est un objectif collectivement partagé implique que les personnes éventuellement lésées par une décision donnée, acceptent de l’être pour l’intérêt du plus grand nombre (ou soient indemnisées, ce qui n’est pas toujours fait ou suffisant). Or l’optimum économique n’est pas toujours équivalent à l’optimum collectif. Face à la subjectivité64 des valeurs attribuées aux différents facteurs considérés comme importants dans l’évaluation de l’impact d’une décision, les défenseurs de cette approche proposent des analyses de sensibilité, paramètre par paramètre. Mais une prise en compte véritable de la diversité des systèmes de valeurs en jeu dans la confrontation des points de vue des parties prenantes supposerait plutôt la réalisation d’analyses de robustesse, en envisageant une variation concomitante des paramètres. Ceci est cependant très lourd à mettre en œuvre et finalement jamais réalisé dans la pratique (S. Damart et al., 2001). Si concrètement l’ACA demeure un outil opaque vis-à-vis des hypothèses et méthodes de calculs pour la plupart des parties prenantes rendant difficile la discussion autour de ses résultats, il peut toutefois permettre de susciter une dynamique de concertation visant d’une part à déterminer les facteurs ou critères à évaluer et d’autre part à leur attribuer une valeur communément acceptée. Cette approche de l’ACA suppose alors l’acceptation et l’explicitation par les experts de la non-objectivité de ses résultats, au risque de perdre en crédibilité auprès des décideurs. Malgré ces différentes critiques, l’Analyse Coûts/Avantages produit des informations utiles qui peuvent servir de base à un débat et aider à la décision.

Le même type de remarques pourrait être formulé au sujet des AMC, même si ces dernières tiennent compte d’un ensemble de critères, non nécessairement comparables, susceptibles d’influencer une décision. Par « critère » nous entendons un « outil construit pour

évaluer et comparer des actions potentielles selon un point de vue bien défini » (B. Roy, 2001).

64 Certes en partie maîtrisée par un certain nombre de normes, de standards, souvent propres à chaque pays d’ailleurs…

En ce sens l’AMC peut permettre de composer avec la multiplicité, la divergence et la nature (qualitative ou quantitative) des critères de chaque partie prenante en vue d’aboutir à des compromis discutables et potentiellement acceptables (Simos, 1990, C. Prévil et al., 2003). Notons qu’il existe une très grande variété d’outils d’AMC. Dans leurs travaux les chercheurs du LAMSADE65 distinguent ceux qui reposent sur l’élaboration d’un critère de synthèse (« l’utilité » ou la « valeur » supposée par exemple), de ceux qui se fondent sur l’élaboration d’un système relationnel de synthèse. Ces derniers peuvent souvent s’avérer plus riches car évitent le lissage des critères par une formule d’agrégation pondérée, pas toujours évidente et donc pas toujours acceptée par les parties prenantes. Le principal intérêt du recours à cet outil est que dans des situations où les systèmes de valeurs des parties prenantes sont en forte opposition sur le plan émotionnel, l’AMC offre une approche de type global (intégrant à la fois des facteurs sociaux, environnementaux, techniques, financiers, etc.) permettant de dépasser ces oppositions et d’ouvrir la discussion. Malgré tout l’AMC ne constitue pas non plus un outil de structuration de la concertation, puisqu’il est rare que les participants et même parfois les décideurs saisissent toutes les subtilités de cette méthode.

3.2.4 D’autres outils

Pour finir nous pouvons citer rapidement d’autres outils, comme l’élaboration plus ou moins collective de scénarios (ou alternatives, ou variantes) qui participe de la formulation des problèmes, puisque ce sont ces différentes options qui seront amenées à être évaluées et comparées (S. Damart et al., 2001). Les « concepts intermédiaires » correspondent pour leur part à des critères d’évaluation de la situation, collectivement élaborés et partagés, susceptibles de renvoyer à des significations, des implications différentes dans les systèmes de représentations de chaque partie prenante66. Selon les auteurs, ceux-ci permettent réellement de structurer le processus de concertation, grâce à leur construction tout d’abord puis à leur utilisation (Teulier R., Hubert B., 2004). Les chercheurs du LAMSADE évoquent également d’autres outils : les « cartes cognitives » permettant de représenter puis de discuter les différents points de vue sur le déroulement du processus de concertation en lui-même ; les « planning d’activité » permettant un partage de l’information concernant les interviews menées, les évènements et réunions présentant un intérêt pour la mise en place du projet - au sein du groupe d’intervention mais également avec les participants au processus - ; les « bases

de données » donnant accès à tous les participants à un certain nombre d’informations clefs

sur l’ensemble des participants. Enfin et parmi les plus anciens et les plus légers outils d’aide à la réflexion on retrouve les diagrammes de Venn/Chapati (qui figurent basiquement des relations entre acteurs), les arbres à problèmes ou les schémas de causes et effets (qui servent à prioriser les besoins locaux et identifier les interventions clefs), les groupes de discussion (et toutes leurs variantes, comme les FFPM67), et de nombreux autres instruments traditionnellement utilisés par les « développeurs » comme méthodes dans la planification, le suivi et l’évaluation de projets de terrain. La boîte à outils du développement regorge de graphiques, de calendriers, de représentations matricielles (pour les relations, la participation des acteurs), de représentations en roue, de grilles d’analyse, de diagrammes de flux d’informations… La liste est sans fin, elle fourmille d’outils plus ou moins pratiques, plus ou moins novateurs ou recyclés, et souvent récupérés pour donner à un projet une couleur participative. Certains, correctement utilisés, peuvent être des outils précieux d’aide à la réflexion. Aucun ne permet en lui-même de structurer une concertation.

65 Laboratoire d’Analyse et Modélisation de Systèmes pour l’Aide à la Décision, de l’Université Paris-Dauphine. Unité de Recherche Associée au CNRS.

66 R Teulier et B. Hubert montrent par exemple dans leurs travaux comment le « concept de hauteur du plan d’eau au printemps » a permis aux pouvoirs publics, aux agriculteurs, aux pêcheurs et aux associations écologiques de porter un regard nouveau sur la situation de gestion du Lac de Grand-Lieu. Il a servi d’articulation pour organiser les interactions et les propositions de chaque groupe d’acteurs. Ce concept de hauteur d’eau au printemps faisait sens différemment dans chaque culture-métier (Teulier R., Hubert B., 2004).

67Pour Forces, Faiblesses, Possibilités et Menaces. C’est une manière d’animer un brainstorming autour de ces thèmes (SWOT analysis en anglais).

3.2.5 De nombreux outils d’aide à la décision, quelques outils de médiation et peu ou pas d’outils d’aide à la concertation

Nous venons de passer en revue un certain nombre d’outils, considérés comme autant de ressources disponibles pour appuyer les processus cognitifs collectifs. En nous appuyant sur divers spécialistes, nous avons mis évidence que les expertises, les SIG, les ACA et les AMC en particulier, ne sont finalement que des « outils d’experts » dont la pleine maîtrise, l’interprétation des résultats et la compréhension de l’ensemble des concepts sous-jacents ne sont pas facilement accessibles aux diverses parties prenantes (pour ne pas dire « inaccessibles »). Et cet accès semble encore plus hasardeux dans le cadre de processus de réflexion collective engagés dans les pays du Sud où les niveaux d’instruction peuvent être extrêmement inégaux entre parties prenantes.

Ce constat est donc en opposition avec notre conception de l’idéal-type68 d’un processus de concertation. Néanmoins ces outils sont utiles pour aider à la décision, et peuvent également jouer un rôle d’aide à la médiation, favorisant ainsi ponctuellement l’émergence ou le déroulement d’une dynamique de concertation. Mais ils ne permettent pas de structurer une telle dynamique dans son ensemble, au regard des conditions d’existence de la concertation que nous avons définies plus haut. En effet s’ils favorisent la discussion, ils n’assurent pas nécessairement une participation (au moins minimale) de tous les acteurs impliqués. Par ailleurs ne permettant pas de niveler la qualité des participations éventuelles des uns et des autres (expression et écoute), ils n’encouragent pas une prise en compte équitable de ces points de vue par les décideurs. Enfin ils peuvent facilement, s’ils sont mis entre de mauvaises mains, servir des intérêts particuliers aux dépens de la collectivité.

A l’opposé on trouve un ensemble de « petits outils » moins techniques, et donc plus accessibles. Habilement maniés et combinés, ils peuvent ponctuellement aider à guider le cheminement d’une pensée collective ou proposer une représentation particulière des résultats de ce cheminement qui soit compréhensible par tous les participants. Mais la portée assez limitée de ces outils ne permet en aucun cas à un animateur de s’en servir pour structurer une dynamique de concertation à plus long terme.

Le constat à ce stade est donc celui d’une relative pauvreté des outils d’aide à la structuration de la concertation, face à de nombreux outils d’aide à l’animation ou à la prise de décision, par exemple.

Outline

Documents relatifs