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Première définition et bref historique des principales tendances de la Communication Pour le Développement

massive et standardisée des médias à un usage localement maîtrisé

Section 2 : La communication dans une perspective de développement

2.4 Première définition et bref historique des principales tendances de la Communication Pour le Développement

(CPD)

Selon Guy Bessette, ce terme aurait été utilisé pour la première fois dans les années 70 par le professeur Nora Quebral pour désigner les processus de transmission et de communication de savoirs relatifs à l’environnement rural. Ceux-ci ont ensuite été élargis à tout ce qui pouvait permettre d’améliorer les conditions de vie des personnes les plus pauvres : « la

communication pour le développement n’est pas un champ homogène, mais plutôt un vaste domaine dans lequel on trouve diverses approches, différentes écoles de pensées et idéologies. L’Education populaire pour adultes, la vulgarisation, l’IEC (Information, Education, Communication), le plaidoyer, l’« enter-educate » (l’utilisation du divertissement pour

18 News Corps, Viacom, AOL Time Warner, General Electric, Microsoft, Bertelsmann, Telefónica, RTL Group, France Télécom, United Global Com, etc.

l’éducation), et le marketing social sont parmi les principales approches que l’on y trouve. […] La communication pour le développement désigne parfois l’ensemble des contributions de la communication pour le développement de la société, parfois cela met l’accent sur l’utilisation des mass media pour présenter et discuter des thèmes de développement, et cela se réfère généralement à l’utilisation planifiée de stratégies et de processus de communication dont le but est bien de permettre le développement. » (Bessette, 2001)

La CPD a constamment évolué depuis la fin de la seconde guerre mondiale, nous en avons donné quelques éléments dans les paragraphes précédents. De fait, plusieurs auteurs ont identifié et défini des paradigmes correspondant à des phases successives (et se chevauchant parfois) de cette évolution. Ces cadres de pensée ont dicté ou influencé la manière dont les instruments et méthodes de communication ont été associés aux actions de développement. Nous partirons de la division proposée par Alfonso Gumucio Dagron dans El

cuarto mosquetero : la comunicación para el cambio social (2004).

2.4.1 L’information manipulatrice (dite « de marché »)19

Née de la nécessité dans les années 50 de réorienter l’industrie post-guerre vers de nouvelles activités et d’étendre rapidement le marché nord-américain, elle est portée par la publicité telle que nous la connaissons aujourd’hui, et par les canaux principaux que sont la radio et la télévision. Le pouvoir des médias est concentré entre peu de mains qui agissent sur les consommateurs, peuvent changer leurs désirs, leurs goûts et les valeurs même de la société, à des fins économiques. L’aristocratie médiatique cherche à vendre une culture et un mode de vie. Ce mouvement donnera naissance aux réseaux énormes que sont Globo et Televisa en Amérique Latine. Louie Tabing, du réseau alternatif Tambuli aux Philippines, les qualifiait de « médias PPPP » : Profit, Propagande, Pouvoir et Privilège (Tabing L., 2001). Cette concentration du pouvoir médiatique dans les mains de quelques grands groupes reste en vigueur aujourd’hui dans le monde, malgré la cohabitation avec d’autres sources d’information alternatives ou locales, comme nous l’avons vu précédemment. Elle a également fortement contribué au phénomène de globalisation et à la domination culturelle transfrontalière nord-américaine.

2.4.2 L’information assistentialiste (ou « diffusionnisme »)

Dagron affirme qu’elle « surgit comme une version sociale de la publicité, à une époque

où la modernisation apparaît comme la clef du développement : les peuples sous-développés doivent apprendre des peuples développés, disposés à partager généreusement leur technologie et leurs connaissances centralisées et centralisatrices » (Dagron A.G., 2004). C’est

le « marketing social », fondé sur le modèle arrogant de diffusion des innovations, de manière verticale et unilatérale du Nord vers le Sud, et de vulgarisation du savoir incontestable du « monde moderne » pour la bonne cause et le bien-être du « Tiers-monde ». Certains de ce fait, l’UNESCO (qui s’est en partie reprise par la suite, nous l’avons vu) et l’US AID notamment (mais aussi la FAO, travaillant y compris sur un plan théorique, et l’UNICEF) ont largement sponsorisé les projets de recours aux medias pour disséminer l’information, et proposer des outils pédagogiques, insistant pour que chaque projet de développement dispose d’une composante communication. Ils souhaitaient créer un maximum de supports de communication pour la diffusion du développement - et en particulier des pratiques agricoles permettant l’augmentation de la productivité - vers des populations « cibles » ou « clientes ». Ce paradigme trouve son origine dans deux articles : The Passing of Traditional Society de Daniel Lerner (1958) et Mass Media and National Development de Wilbur Schramm (1964), même si son principal théoricien reste Everett Rogers (Diffusion of Innovations, 1962

)

. Rogers appuie sa

19 Ce paradigme est à la limite de la CPD en ce que l’intention d’influencer les populations locales ne traduit pas une intention claire de « développement ».

théorie sur le modèle de séquence d’adoption suivant : connaissance (apprendre l’existence et la fonction de l’innovation), persuasion (devenir convaincu de la pertinence de l’innovation), décision (adoption proprement dite), mise en œuvre, confirmation (acceptation – ou rejet – de l’innovation). Les médias sont chargés d’assurer les deux premières phases du modèle, et de toucher le maximum de cibles20. Le modèle ne considère en aucune manière la possibilité de naissance locale d’innovations adaptées. Ce courant du marketing social visant le changement individuel s’est considérablement développé grâce au soutien financier de l’US AID qui concrétisait les théories produites dans les laboratoires nord-américains.

Même si ce modèle demeure une référence aujourd’hui pour de nombreux praticiens, les expériences d’application font surgir des doutes et des critiques, qui vont se développer durant les décades suivantes. La théorie est principalement remise en cause en ce qu’elle ne considère pas la diversité des populations ciblées, et ne tient pas compte de l’impact des structures sociales, économiques et politiques sur les capacités d’adoption de l’innovation transmise depuis les pays développés. Rogers aborde dès lors une perspective plus critique, et écrit en 1976 « au même moment de nombreuses critiques ont été adressées au modèle de

développement en cours et à la vision fonctionnaliste du modèle de développement. Un nouveau modèle mettant l’accent sur le caractère endogène du développement a permis de définir le développement comme un processus global, en face duquel chaque société est responsable. Dans cette perspective le développement n’est plus considéré comme quelque chose venant de l’extérieur. C’est un processus participatif de changement social au sein d’une société donnée (Rogers, 1976, in Bessette, 2001) ». C’est évidemment une rupture

fondamentale avec la diffusion des innovations, puisqu’il s’agit dorénavant de stimuler les forces créatrices internes des sociétés. Au même moment, les théories de la dépendance développées dans les années 70 fustigent l’écart grandissant entre le Nord et le Sud et remettent en cause le concept même de modernité. L’application aveugle de théories préconçues, non contente de constituer un gouffre financier considérable et de créer des hordes d’éléphants blancs, notamment en Afrique, conduit au « mal développement » montré du doigt par René Dumont et nombre de ses contemporains. En outre, les théories de la dépendance situent les principaux obstacles au développement d’un pays à l’extérieur et non à l’intérieur du pays, et notamment dans le système économique mondial. Les mass media du Nord ne peuvent donc être moteur de changements puisqu’ils véhiculent la vision externe et capitaliste qui est remise en cause. Il est clair dès lors que les outils et méthodes de communication sont à réinventer, puisque les anciens sont inaptes à remplir cet objectif. Comme le note le rapport de la commission Mac Bride : « les anciens modèles utilisaient la

communication spécialement pour la dissémination d’informations, de façon à amener les gens à comprendre les bénéfices promis par le développement et les sacrifices que cela requière. L’imitation d’un modèle de développement fondé sur l’hypothèse que la richesse, une fois acquise, sera automatiquement filtrée à tous les échelons de la société, a conduit à la propagation de pratiques de communication de type top-down… et les effets observés sont bien loin des effets attendus. » (UNESCO, 1980). La FAO de Colin Fraser a néanmoins eu le mérite

de souligner dès les années 70 l’importance de la communication pour prétendre à la durabilité du développement, et de conduire des expériences pilotes de longue haleine21.

2.4.3 La communication instrumentale

Dagron la qualifie d’instrumentale en ce qu’elle reste liée aux programmes de développement et vise leur réussite. Elle prend racine dans les critiques du modèle précédent,

20

Rogers les catégorise en « innovateurs » (2,5%, les aventureux, éduqués, ayant accès à l’information et aimant le risque), les « adoptants précoces » (13,5%, leaders sociaux, populaires et éduqués), la « majorité précoce » (34%, délibérée, ayant de nombreux contacts sociaux informels), la « majorité tardive » (34%, sceptique, traditionnelle, au statut socio-économique bas) et les « retardataires » (13%, dont les voisins sont la seule source d’information, ayant peur de la dette). Les pourcentages suivent une courbe de Bell.

21

et cherche à prendre plus en considération les populations considérées par les programmes. C’est le « paradigme d’un autre développement », qui reconnaît l’importance du savoir local, des traditions et de la culture, bien que les pouvoirs de décision en eux-mêmes ne soient pas transférés. Cette vision de la coopération est donc bien moins matérialiste et bien moins orientée vers la seule productivité. Les institutions internationales (dont la FAO, l’UNESCO et l’UNICEF) adoptent de réelles stratégies de communication dans cet objectif, et défendent le droit à l’information. De nouvelles méthodes et de nouveaux outils sont développés pour répondre à ces nouvelles exigences, comme l’ « enter-education », ou avec plus de retombées l’approche du « media communautaire » : « selon l‘UNESCO « cette approche, qui consiste à

aider les gens à formuler leurs problèmes ou à prendre conscience de l’existence de nouvelles options, plutôt que de leur imposer un plan qui a été élaboré ailleurs, rend possible une intervention plus efficace au sein de la réalité de l’individu ou du groupe » (Berrigan, 1981, p 13). Le concept d’interactivité, au travers du recours à des médias légers en tant qu’outils opérationnels, rend possible une acquisition endogène de connaissances et de compétences dans le cadre d’une recherche de solutions et d’un processus de communication. » (Bessette

G., 2001). La télévision communautaire est perçue comme une solution propre qu’adoptent les communautés pour répondre à un « vide de communication qui étouffe les voix locales » (Dagron A. G., 2002).

2.4.4 La communication participative

Elle est centrée sur la reconnaissance de l’identité et l’affirmation des valeurs locales. « Elle amplifie les voix occultées ou reniées, et cherche à donner de la force à leur présence

dans la sphère publique. Elle replace le dialogue et la participation comme axes centraux du développement. Ces deux éléments existaient déjà, entrelacés avec les autres modèles et paradigmes, et on les retrouvait dans la théorie et dans bon nombre d’expériences de terrain, mais ils n’avaient pas droit de cité dans les modèles dominants, de sorte qu’ils n’ont pas suffisamment alimenté la réflexion. » (Dagron A.G., 2004). Ce paradigme, orienté vers le

changement social, est repris plus en détail dans les paragraphes suivants.

Il convient de remarquer dans la nomenclature de Dagron la distinction faite entre « information » et « communication » au sein des catégories. L’auteur refuse par exemple d’assimiler les moyens de communication massifs à des instruments de communication rappelant que la racine comunio de « communication » signifie déjà en elle-même « participation ». « Une communication sans participation n’est que de l’information à sens

unique. De la même manière les communicateurs qui n’appliquent pas les fondements du dialogue ne sont que des informateurs » (Dagron A.G., 2004).

Il rejoint en ce sens la position de Paolo Freire qui développait dans son consciousness

model (Freire, 1974) le lien entre la communication et le développement en qualifiant

« d’inséparables » les processus sociopolitiques et la communication. « Pour Freire le simple

transfert de connaissances depuis une autorité source vers un récepteur passif ne peut pas entraîner la croissance chez ce dernier en tant qu’être humain, dotée d’une conscience indépendante et critique capable de changer une société. Afin que la communication pour le développement soit efficace, elle ne doit pas être seulement reliée au processus d’acquisition de connaissances et de compétences techniques, mais aussi à l’émergence d’une prise de conscience, de processus de politisation et d’organisation. La communication pour le développement devient un outil que le milieu rural peut utiliser pour prendre le contrôle22 »

(Bessette G., 2001).

22 L’une des principales critiques face à ce schéma réside dans le fait qu’un mouvement de politisation par des medias communautaires n’est viable que dans certains pays qui tolèrent le recours à des actions politiques, alors que les pays du sud sont souvent instables et que la répression de ce type de mouvements conduit parfois à la régression des droits démocratiques. C’est pourquoi beaucoup se fondent sur l’éducation dont le but n’est pas directement politique mais consiste à donner les outils permettant l’organisation.

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