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131 Voir en particulier les travaux de R. Teulier et B. Hubert sur la notion de « concept intermédiaire », 2004.

Commissionnaire Médiateur

Ouvert

Fermé

Un objet commissionnaire correspondrait à un objet totalement transparent, c’est-à-dire un objet qui n’introduirait aucun effet de traduction. Cet objet serait la matérialisation exacte de la volonté de son concepteur. Sa diffusion correspondrait à un acte purement prescriptif. A

contrario, un objet médiateur modifierait complètement l’idée, l’intention de son concepteur, de

par son existence et son utilisation comme support de transmission. Mais comme le soulignent les auteurs : « pas plus qu’un objet totalement transparent, n’existe d’objet totalement

médiateur. Il n’y a pas d’objet intermédiaire qui ne transporte une ou des intentions, sinon le type de produit final serait totalement aléatoire » (Mer S., Jeantet A. et Tichkiewitch S., 1995).

Toute la question aujourd’hui dans les processus de conception est de recourir à des objets autorisant la créativité tout en assurant en même temps un minimum de directivité. Le deuxième axe de caractérisation définit le degré d’ouverture des objets en fonction de la marge de manœuvre qu’il autorise à ses utilisateurs dans un environnement organisationnel donné. Plus cette marge de manœuvre est grande, plus l’objet est « ouvert », plus il invite ses utilisateurs à un effort d’interprétation, source de créativité. A l’inverse plus l’objet est « fermé » plus il guide ses utilisateurs dans une direction donnée. L’ouverture de l’objet n’est pas simplement fonction de son incomplétude, mais aussi de sa capacité à susciter des variantes. Enfin, le positionnement d’un objet donné le long de ces axes dépend étroitement de la situation d’interaction dans laquelle il est impliqué : dans deux situations différentes un même objet pourrait être caractérisé différemment.

L’hypothèse fondamentale défendue par les tenants de cette approche ethnographique des situations de conception, centrée sur les objets intermédiaires, est que le type même de l’objet (donc sa position sur les axes) explique et influe sur les modalités de communication entre les acteurs amenés à interagir avec cet objet. En caractérisant ces objets il est donc possible d’appréhender la nature des relations mises en jeu tout au long du processus de conception mais aussi l’évolution concrète de l’activité de conception en elle-même au travers de la succession des objets intermédiaires, comme une suite de représentations, de plus en plus abouties du futur produit.

2.5.3 Convergences et divergences des questionnements relatifs à la « théorie des

objets intermédiaires » et ceux de la présente recherche

Les préoccupations et sujets d’attention relatifs à la théorie des objets intermédiaires ne sont pas sans rappeler nos propres questionnements de recherche. Mais tachons d’identifier concrètement les éclairages pertinents sur nos travaux que le recours à cette théorie est susceptible de nous apporter.

 Les processus cognitifs entre acteurs hétérogènes sont des situations de conception Considérons tout d’abord la définition de l’activité de conception proposée par H.A. Simon : « activité intellectuelle par laquelle sont imaginées quelques dispositions visant à

changer une situation existante en une situation préférée » (H.A. Simon, 1991, dans Jeantet A.

et al, 1996). En se référant à cette signification il semble que toute situation de négociation ou de concertation entre acteurs hétérogènes puisse être définie comme une activité de conception. Il s’agit bien d’élaborer collectivement, de formuler une solution nouvelle, permettant de dépasser un problème actuel (Teulier R., Hubert B., 2004). L’importance du rôle des objets intermédiaires (selon leur nature et leur position au sein du long processus de conception) devrait donc être transposable aux processus cognitifs collectifs de concertation. Mais l’inscription de ces processus de concertation est généralement circonscrite dans le temps (même s’ils sont longs) et contingente à une situation donnée avec des acteurs clairement identifiables et ponctuellement mobilisés. Dans le cas des processus de conception industrielle, ces dynamiques sont durables et s’inscrivent dans une organisation (réseau ou entreprise) amenée à « survivre » aux situations et aux acteurs impliqués dans les conceptions successives. Ainsi au sein de l’industrie par exemple, l’organisation a généralement le temps

d’éprouver les avantages et inconvénients du recours à différents objets intermédiaires, et de choisir par la pratique celui ou ceux qui sont les plus à mêmes de faciliter ses démarches de conception. Et justement, c’est aussi parce que les objets intermédiaires utilisés au sein d’une organisation donnée sont le fruit d’une histoire particulière et de jeux de pouvoir particuliers qu’ils sont révélateurs du fonctionnement de cette organisation.

Si l’on envisage maintenant un processus de concertation visant à apporter des solutions à un problème de gestion d’une ressource naturelle, ce processus est le plus souvent fonction d’une situation donnée. Une fois qu’une solution est collectivement choisie, le processus prend fin, les acteurs se dispersent, et il n’y a que peu de raisons de les voir se retrouver tous une seconde fois pour débattre d’une autre difficulté à surmonter. Et si la solution proposée exige qu’un suivi soit effectué, le processus de concertation aboutit en général à la mise en place d’un dispositif spécifique, composé d’acteurs, volontaires ou non, mais souvent différents des concepteurs. Ainsi, dans ce type de situation, il n’y a pas véritablement de règles, de conventions de fonctionnement qui se sont instituées par la pratique. Il n’y a pas d’outil particulier ni de méthode. Chaque nouveau processus de concertation doit inventer sa manière de procéder.

 Décomposition et reconstruction de nos hypothèses de recherche

La « théorie des objets intermédiaires » nous invite ainsi à nous interroger sur l’intérêt (et la faisabilité) de proposer l’insertion dans ce type de processus de concertation d’un objet, d’un outil ou d’une méthode, qui puisse fonctionner comme un objet intermédiaire. Si le plus souvent il semble que « ces objets émergent de l’intérieur des situations et des dynamiques

interactionnelles » (Vinck D., 2006), l’auteur suggère l’idée que ces objets puissent ne pas être

nécessairement « naturels » et l’on pourrait alors questionner la pertinence et l’efficacité de l’introduction d’un objet intermédiaire exogène, en l’occurrence la vidéo, dans une activité cognitive collective de concertation. La vidéo peut-elle être un objet intermédiaire exogène, ouvert et médiateur ? Pour qu’un objet soit intermédiaire dans un système multi-acteurs donné, nous avons vu qu’il doit pouvoir supporter et matérialiser l’investissement des différents acteurs impliqués. La méthodologie de Vidéo Participative que nous nous proposons de tester permet-elle à chacun des acteurs de s’investir dans son élaboration ? Si oui, de quelle manière, selon quelles modalités et à quels degrés ? Selon Vinck (Vinck, 2000) « pour qu’un

objet intermédiaire opère une relation, il faut que les utilisateurs lui prêtent leurs oreilles attentives, leurs yeux ou leurs mains pour co-produire la performance cognitive ». Pour qu’il y

ait investissement de tous dans l’élaboration de l’objet, il faut aussi que cet objet parle à tous, qu’il fasse sens pour chacun des acteurs impliqués. Ceci suppose d’un côté un « langage pour l’objet » qui soit accessible à tout le monde, et de l’autre que les acteurs soient prêts, désireux et capables de réinterpréter cet objet selon leurs propres représentations. Ils doivent avoir une certaine confiance en l’objet, pour s’en saisir et l’utiliser comme source, support et porte-parole d’un processus de réflexion collective. Ces conditions sont-elles réunies pour l’outil vidéo utilisé de manière participative, que nous nous proposons de tester ? Ces questions correspondent à une décomposition particulière de notre secondehypothèse de recherche. Il s’agit finalement de questionner la nature même (opacité, ouverture) de l’objet conçu – la ou les vidéo – en se penchant sur ses conditions d’émergence et sur son utilisation en situation, afin d’évaluer la pertinence de son insertion dans les processus de concertation.

Notre premièrehypothèse semble également pouvoir être éclairée par certains questionnements de l’approche par les objets intermédiaires. Les fondateurs de cette démarche nous invitent en effet à interroger les compétences des acteurs à utiliser l’objet, à interagir avec. Faut-il constituer une compétence, un référentiel commun entre tous les acteurs pour ce qui est de la manière d’utiliser l’objet ? « Des méthodologies et des conventions de

coordination nouvelles doivent être inventées par les acteurs pour que les outils contribuent aux performances de leurs activités » (Vinck D., 2006). Ou au contraire faut-il cultiver la

différence, la diversité des compétences pour que chacun des acteurs puissent « saisir l’objet

commun, et donc les interventions des autres, à l’intérieur de son propre système » ? (Vinck

D., 2006). En ce sens il ne s’agit plus de chercher à établir une « représentation collective » ou « partagée », mais plutôt de construire un ou des points de convergence entre les représentations des acteurs, sans qu’à aucun moment ils ne voient tous la situation de la même façon. La réalisation partagée d’une vidéo peut-elle aider à identifier ces points de convergence ? Ces derniers ne sont pas sans faire penser à la notion de « concepts

intermédiaires » développée par R. Teulier et B. Hubert (2004).

Enfin les adeptes de l’approche par les objets intermédiaires mettent à plusieurs reprises l’accent sur les effets non prévus du recours à un objet : « parfois l’objet véhicule plus que ce

que les acteurs y inscrivent, il induit des actions qui n’étaient pas anticipées » (Vinck D. 2000).

Des effets d’autant plus risqués que la matérialisation du déroulement de l’action via l’objet intermédiaire semble parfois rendre les avancées irréversibles. Quels peuvent être ces effets du recours à la vidéo non prévus par l’ensemble des acteurs impliqués, intervenants vidéo compris, au regard de nos propres expérimentations de terrain ? Sont-ils bénéfiques à l’activité collective de conception, ou au contraire sont-ils source de blocage ?

NB : Cette approche par les objets intermédiaires semble également pouvoir nous offrir une entrée, une posture méthodologique pour comparer différents outils d’accompagnement des processus cognitifs collectifs, comme les jeux de rôle ou les SMA, et la Vidéo Participative. En deux mots, il ne s’agit pas de comparer les outils en tant que tels mais bel et bien dans leurs situations d’usage, depuis leur conception jusqu’à leur utilisation.

Section 3 : Positionnement global : un chercheur

conscient de son implication dans le système d’acteurs et

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