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Quelques précisions nécessaires au remplissage des grilles afin de cadrer autant que possible les inévitables interprétations

A propos de l’outil vidéo A propos du processus

5.3.3 Quelques précisions nécessaires au remplissage des grilles afin de cadrer autant que possible les inévitables interprétations

Face au caractère a priori très subjectif du remplissage de cette grille d’analyse, il nous faut en effet préciser un certain nombre de règles que nous avons suivies et qui, sans enlever toute la subjectivité de cet exercice, doivent permettre de s’affranchir de certains doutes.

A chaque nouvelle information ou idée abordée par un intervenant lors de son discours doit correspondre au moins un signe dans la grille. Ce signe est un signe positif lorsque l’information est apportée sous forme d’un constat ou d’un regard constructif sur une situation. Ce signe est un signe négatif lorsque l’information est donnée sous forme de critique. Lorsque le doute sur la pertinence d’un signe était trop important, nous avons décidé de le préciser en le figurant entre parenthèses. Quand l’information est clairement dirigée envers quelqu’un ou un groupe d’acteurs, nous le stipulons juste après le signe en indiquant ce groupe ou cette personne. Lorsque deux indications sont précisées entre parenthèses, la première correspond à la personne à qui l’information est censée répondre, et la deuxième au groupe concerné par le contenu de l’information. Par exemple une intervention marquée par le signe [ + (A, paysans) ] signifie que l’information est de nature constructive, qu’elle vient en réponse au propos précédemment tenus par A, et qu’elle est dirigée vers les paysans. Dans le cadre du domaine de la tâche 2, correspondant aux perceptions de l’outil vidéo et du processus même de diagnostic vidéo, les informations relevées sont nécessairement adressées aux intervenants vidéos.

Pour ce qui est du domaine de la tâche 1, nous avons choisi de considérer un thème comme contenu dans la vidéo s’il fait référence à un sujet abordé dans l’une des vidéos déjà visionnées (que ce soit juste avant la discussion ou même encore avant). Dans les intitulés des colonnes, nous devons préciser que pour nous « information » peut correspondre à « point de vue », au sens où apporter son propre point de vue sur une situation est une source d’information pour la compréhension de cette situation. De même, la colonne intitulée « propose de faire ensemble » regroupe également les alternatives formulées sur le mode « demande qu’on me (nous) laisse la possibilité de faire ». Inversement la colonne « demande que les autres fassent » correspond parfois aux critiques ouvertes sur les façons de faire de certains acteurs, au sens où critiquer en public le comportement de quelqu’un revient souvent, selon nous, à lui demander de le changer. Ceci signifie de plus que nous avons considéré comme « alternative » tout type d’apport concernant les actions à mener pour résoudre une difficulté. En ce sens des interventions du type « y a qu’à », « faut qu’on », où « c’est à vous de », dont on connait la faible valeur opérationnelle, ont tout de même été considérées comme étant reliées à des « alternatives » et donc à une certaine volonté de sortir de la situation actuelle.

Enfin le remplissage de la catégorie « domaine socio-émotionnel », de nature très subjective, renvoie cette fois-ci à l’interprétation que l’on fait du discours (et quelques très rares fois à l’attitude adoptée par le locuteur, comme il était question à l’origine dans la perception de Bales), et peut-être aussi d’une certaine manière au souvenir personnel que l’on garde du déroulement de la réunion. Nous nous sommes interdits de visionner plusieurs fois l’enregistrement des différentes réunions, car outre le fait de ne pas comprendre le « bamanan » au Mali, il nous semblait également risqué de vouloir interpréter des comportements ou attitudes qui ne nous sont pas familières. Finalement, un discours qui se présente comme étant constructif, ouvert, positif, sera marqué d’une croix dans la colonne « positive » du domaine socio-émotionnel, même si dans la pratique ce discours nous apparaissait plutôt comme étant démagogique. Les signes négatifs correspondent à des interventions pour lesquelles l’agressivité ou la tension ne font pas débat.

L’exercice a donc consisté lors du remplissage à essayer de s’affranchir constamment des jugements de valeur.

Nous sommes tout à fait conscients que deux individus différents face à une même transcription de réunion ne rempliraient de toute façon pas cette grille de la même manière. Cependant les « principales dynamiques » de la réunion mises en évidence doivent être globalement identiques d’un remplissage à l’autre. Nous avons nous-mêmes remplis ces grilles de manière individuelle : si dans le détail les signes n’étaient pas strictement identiques, les tendances qui ressortaient étaient semblables. Pour nous mettre parfaitement d’accord nous avons finalement procédé dans un deuxième temps à un remplissage en

commun, concerté, et ainsi affiné un peu plus encore les règles exposées ci-dessus et notre compréhension respective du déroulement des réunions.

Finalement, l’analyse des enquêtes, entretiens ou débriefings se fera de manière qualitative et sans outils méthodologiques particuliers, en s’appuyant tant que possible sur des citations exactes.

Conclusion

Cette partie nous a permis de préciser notre positionnement théorique vis-à-vis des principales disciplines que nous serons amenés à solliciter lors de la mise au point puis de l’analyse de nos expérimentations. Elle nous a par ailleurs permis de construire progressivement notre question de recherche et d’élaborer des hypothèses testables sur le terrain.

Nous nous sommes prononcés dans un premier temps en faveur d’une pratique ascendante du développement reposant sur la reconnaissance de la pluralité des situations et des aspirations, et sur la légitimité et la capacité des acteurs locaux à décider de leur propre Projet. Dans cette approche, le rôle de l’expert, loin d’être déconsidéré, est au contraire à repenser, notamment en termes de stimulation et d’accompagnement des dynamiques locales de développement. Pour faire face à ce nouvel enjeu de la pratique du développement, de plus en plus largement partagé depuis une trentaine d’années, un certain nombre d’outils et de méthodes ont été développés. On a notamment vu apparaitre dans les années 60 le concept de « participation ». Bien qu’il faille reconnaitre qu’il puisse exister des situations où les décisions arbitraires et unilatérales demeurent inévitables, si ce n’est indispensable, les ambitions de la participation (la gouvernance locale et un renforcement des processus démocratiques, une forme de réappropriation par les acteurs locaux des clefs de leur développement, une reconnaissance des savoirs et savoir-faire locaux) apparaissent aujourd’hui parfaitement légitimes aux yeux de la plupart des acteurs du développement de la scène internationale (populations, ONG, bailleurs de fonds, administrations publiques), même si les approches participatives en elles-mêmes sont souvent remises en question. En effet, les obstacles à la mise en place de processus pleinement participatifs sont légion, qu’ils soient sociaux, culturels, institutionnels, techniques, méthodologiques ou encore psychologiques… Et les critiques sont nombreuses à l’égard de projets péjorativement qualifiés de « pseudo-participatifs ».

Parmi ces obstacles, la bonne circulation des informations (savoirs, connaissances, analyses, etc.) entre l’ensemble des parties prenantes est identifiée comme en enjeu majeur. Celui-ci, associé à la volonté de renforcer les capacités d’expression des populations les plus marginalisées, a donné naissance à une nouvelle discipline dénommée Communication Pour le Développement (CPD), à la frontière entre la sociologie, la communication, la psychologie de groupe et la pratique du développement. Celle-ci s’est structurée à l’origine en opposition aux mouvements médiatiques descendants et standardisants. Les outils de la CPD sont extrêmement divers et les applications liées à ce courant de pensée reposent essentiellement sur l’adoption par l’intervenant d’une posture particulière d’écoute, de respect, de mise en retrait et de facilitateur du dialogue multipartite. Il s’agit ainsi de favoriser l’expression des acteurs locaux sur leur propre situation, de permettre la diffusion de ces autoanalyses, et d’assurer la meilleure articulation possible entre les populations et tous les autres acteurs du développement. Les médias sollicités sont divers : la radio, les journaux, le théâtre, les chants traditionnels, les marionnettes, et pour ce qui nous intéresse, la vidéo.

Les premières expériences de recours à la vidéo selon des méthodes participatives afin d’appuyer des dynamiques locales de développement datent des années 60 (FOGO Process, PRODERITH, CESPA) et, malgré les difficultés techniques de l’époque, un certain nombre d’atouts ont été identifiés pour cet outil (notamment la « massivité » de l’impact, l’exhaustivité apparente de l’enregistrement vidéo, l’interactivité possible du processus de construction, la flexibilité et l’adaptabilité de la démarche et des produits, la possibilité d’archivage en vidéo du processus, etc.) et des résultats très positifs en termes de développement ont ainsi été obtenus. Mais la complexité technique de mise en place de ces projets, couplée à l’engouement suscité par l’émergence de la technologie Internet (présenté comme le futur meilleur accès possible aux informations quelles qu’elles soient), semblent avoir détourné l’attention des « développeurs » de ces approches.

Parallèlement, les questions environnementales et notamment la recherche de modes de gestion durables pour les ressources naturelles, ont pris une place de plus en plus importante dans le débat public, et donc dans la réflexion dévelopementiste. Dans un contexte pluri-acteurs d’exploitation et d’utilisation de ressources limitées, où chacun vise des intérêts propres, souvent divergents si ce n’est contradictoires, la recherche de stratégies collectivement acceptables est devenue le centre de toutes les attentions, tout comme les moyens mis en œuvre pour y parvenir. C’est ainsi que l’on a vu s’amplifier le recours aux arènes et plateformes de concertation, ainsi qu’à d’autres modes de fonctionnement en réseaux aux fondements pluralistes, visant à construire collectivement et progressivement des représentations partagées des situations et à trouver des pistes d’entente et d’accords entre les différentes parties prenantes de la gestion des ressources. À l’instar des praticiens de l’Analyse Stratégique de la Gestion Environnementale (L. Mermet, 2003), nous considérons la concertation comme un processus global, regroupant un ensemble de modalités de coordination entre acteurs, mises en jeu pour faire évoluer une situation donnée. Ainsi, un processus de concertation se décline généralement en différentes phases, telles que des phases de négociation, de médiation, d’évitement, qui peuvent être formelles ou informelles, se révéler visibles ou se dessiner en coulisses. Un certain nombre d’outils et de méthodes ont été mis au point afin d’appuyer ces différentes phases, et notamment la phase critique de prise de décision (analyse multicritères, expertise externe, etc.). Néanmoins très peu permettent d’assurer la structuration de ces processus de concertation dans leur ensemble, et donc leur qualité. Nous considérons qu’un tel processus peut être qualifié « de qualité » à condition qu’il assure la participation effective de l’ensemble des acteurs jugés appropriés par les participants eux-mêmes, qu’il permette l’expression des points de vue de chacun de ces participants et leur prise en compte vraie dans la réflexion collective, et enfin qu’il réduise au moins partiellement les diverses asymétries (de statuts, d’informations, de capacités d’expression, de proposition et d’initiative) entre les acteurs impliqués, de manière à les mettre plus ou moins sur un pied d’égalité dans la dynamique. Enfin, en dehors de ces considérations structurelles, la qualité de la concertation repose également sur le résultat obtenu à son issue, c’est-à-dire sur la pertinence des alternatives proposées.

En appui à ces processus de concertation de plus en plus prisés, la Communication Pour le Développement nous semble pouvoir jouer un rôle mobilisateur et catalyseur de premier ordre. L’outil vidéo, notamment, apparaît adapté à la mise en place et au suivi d’échanges (ré-) équilibrés entre les parties prenantes. Ces dernières souffrant le plus souvent d’importantes disparités en termes de niveaux d’instruction, d’accès à l’information, de capacités d’initiatives et de pouvoir de décision, le recours à la vidéo de manière participative peut éventuellement permettre de réduire ces asymétries et de structurer les processus de concertation. Afin de s’affranchir du flou existant autour de la notion de « Vidéo Participative », utilisée dans des contextes parfois très différents, et afin de mettre en relief ses spécificités, nous avons profité de cette première partie pour proposer notre propre définition du concept :

Le principe de la Vidéo Participative (VP) suppose d’offrir à chacun des groupes impliqués dans les différents temps de la vie d’une vidéo (à savoir schématiquement producteurs au sens large, acteurs et spectateurs) la possibilité de participer à chacune des étapes du processus complet de production vidéo (conception, réalisation, diffusion), de sorte que les limites entre ces groupes, habituellement très marquées dans les productions considérées comme « classiques », s’estompent ou se chevauchent.

Alors qu’il existe de nombreux outils d’accompagnement des processus de réflexion multi-acteurs, à l’instar de ceux développés par le collectif de chercheurs ComMod, il semble pertinent de questionner la capacité des interventions de VP à jouer ce rôle. C’est ainsi que nous avons formulé notre question de recherche :

Dans le cadre de la réalisation et de l’exploitation d’une vidéo au sein d’un processus de réflexion collective, dans quelle mesure la répartition des fonctions de producteur, d’acteur et de spectateur peut-elle influer sur la qualité de la concertation ?

Afin de nous donner les moyens de répondre à cette interrogation nous avons élaboré trois hypothèses de recherche :

H1- La réalisation partagée d’une vidéo entre les acteurs du développement aide à construire une représentation collective d’une situation complexe de gestion des ressources territoriales

H2- La réalisation et l’exploitation en groupe de la vidéo contribuent à la construction de nouveaux espaces de discussion propices à une dynamique de prise de décision collective

H3- Plus la vidéo est conçue et exploitée de manière conjointe entre les acteurs du développement, plus la qualité de la dynamique de concertation - et notamment son appropriation et sa durabilité - est assurée

Pour déconstruire et reconstruire ces hypothèses dans un premier temps, et pour pouvoir ensuite les tester, nous avons procédé à une recherche bibliographique pluridisciplinaire large, destinée dans un premier temps à identifier quels pouvaient être les outils d’analyse et de traitement de données existants, puis dans un second temps à nous permettre d’élaborer nos propres grilles de lecture. Parmi les principales théories que nous sollicitons à diverses reprises dans notre travail, nous évoquerons entre autres la sociologie des organisations, l’analyse stratégique de la gestion environnementale, l’économie des grandeurs, l’éthnométhodologie, la théorie de l’acteur réseau et celle des objets intermédiaires, que nous avons toutes brièvement présentées dans cette première partie afin d’éclairer nos hypothèses sous des angles nouveaux. Nous avons ensuite élaboré une grille d’analyse générale de nos interventions, une grille d’analyse du déroulement des réunions de concertation organisées, et une grille d’analyse de la répartition, entre les parties prenantes, des fonctions liées à la démarche de VP. Nous avons enfin explicité le principe de travailler sur trois terrains d’intervention différents (Bolivie, Equateur et Mali), selon une démarche s’inscrivant dans le cadre de la recherche-action164, en modifiant à chaque fois légèrement nos protocoles d’expérimentation en fonction des résultats obtenus sur les terrains précédents et en fonction des exigences spécifiques à chacun d’entre eux. Les principales variables ajustées entre les différents protocoles sont le format de la ou des vidéos produites,

164 Précisons que nous considérions notre impact concret sur les dynamiques locales de développement comme tout à fait primordial, et lui donnions souvent la primauté sur notre recherche.

l’implication respective des intervenants vidéo (nous) et des acteurs locaux tout au long du processus, et le recours à un groupe de travail concret ou virtuel, situé ou distribué.

La suite de cet ouvrage se compose de quatre parties. Les trois suivantes présentent tour à tour nos terrains d’expérimentation, en prenant soin de décrire les contextes sociohistoriques afin de mieux comprendre l’organisation et le fonctionnement des systèmes d’acteurs locaux ; de présenter les protocoles d’action prévus puis ceux réellement mis en place face aux contraintes locales ; et enfin d’analyser les résultats obtenus sur chacun des terrains à l’aide des outils identifiés ou élaborés dans la première partie. La cinquième et dernière partie sera l’occasion de proposer une analyse comparative, croisée, de nos trois expérimentations, qui sera ensuite mise en relief par la présentation de diverses autres expériences de VP en appui au développement et recensées dans la littérature. Nous en profiterons pour proposer une typologie de ces approches, selon les objectifs poursuivis et les démarches mises en œuvre. Enfin, une ébauche de cadre déontologique, à destination des praticiens actuels et futurs de la VP, précédera la conclusion de notre recherche.

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