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Les principales variables d’ajustement de la méthode d’accompagnement assistée par vidéo

conscient de son implication dans le système d’acteurs et des limites de sa légitimité d’intervention

4.2 Les principales variables d’ajustement de la méthode d’accompagnement assistée par vidéo

Rappelons tout d’abord brièvement les principes de l’élaboration d’une vidéo en appui à la concertation. Il s’agit de co-construire, avec les acteurs locaux impliqués dans la gestion d’une ressource, une ou plusieurs vidéos offrant à chacun la possibilité d’exprimer et d’illustrer son point de vue sur la situation. L’objectif est, avec les parties prenantes identifiées, de construire une base commune de réflexion et d’enclencher (ou de relancer) un dialogue sur la base des convergences et divergences d’opinions entre acteurs. L’exploitation en réunion de ces vidéos doit ensuite permettre d’affiner et de finaliser une analyse collective, et si possible partagée, de la situation. Cette analyse vise à stimuler la formulation de propositions d’actions acceptables par tous. Deux principaux leviers permettent d’ajuster la méthode d’intervention :

le mode de coordination mis en oeuvre entre les intervenants vidéo et les autres acteurs du développement pour co-construire la ou les vidéos. Il repose essentiellement sur les degrés et modes d’implication demandés, permis ou imposés aux différentes parties prenantes ainsi que sur le fonctionnement choisis pour organiser les échanges entre ces parties

le format de la vidéo, qui peut être plus ou moins adapté à l’émergence d’un dialogue autour de son contenu, et qui renvoie donc à des utilisations potentiellement différentes de la vidéo en tant qu’outil d’animation de réunions (projection informative, vulgarisation, partage d’expériences, point de départ pour avancer, révélateur de conflits latents, force de propositions, etc.)

4.2.1 Le format de la ou des vidéos

Différents formats de vidéo sont envisageables. Ces formats sont plus ou moins adaptés à l’animation de réunions de concertation, c’est-à-dire capables de susciter la participation de tous au débat, le dialogue et/ou de fournir l’information utile pour alimenter les réflexions individuelles et collectives, et/ou de stimuler les prises de décisions, voire encore de faciliter l’appropriation locale du travail effectué. Ces formats se caractérisent essentiellement par la longueur des vidéos, leur spécificité thématique plus ou moins marquée, l’importance du recours au commentaire off et son contenu, le recours à des appuis visuels tels que des graphiques ou des panneaux textes, et enfin du caractère « ouvert » ou « fermé » des produits vidéos. Une vidéo « fermée » est une vidéo qui supporte un message clair, univoque, destiné à être reçu en l’état par les spectateurs, « son sens est ancré ». « Un document à structure

fermée a une finalité d’ordre didactique : montrer, faire comprendre, aider à mémoriser »157. Une vidéo « ouverte », est une vidéo qui ne fait qu’apporter des éléments de réflexion dont « le

sens est flottant »158. Elle se refuse à fournir des réponses ou des jugements tout faits : « un

document à structure ouverte trouve sa finalité en dehors de lui, dans l’animation qui suit sa projection : l’objectif est de créer une dynamique qui invite au changement » (Y. Bourron et

al, 1995).

Si certaines caractéristiques semblent a priori plus adaptées que d’autres pour une utilisation de la vidéo comme outil d’animation visant à favoriser le dialogue, et notamment le caractère « ouvert » du produit vidéo, l’imposition ou le choix de tel ou tel format dépend aussi et surtout du mode de coordination choisi entre intervenants vidéo et acteurs locaux, et en particulier de l’importance accordée aux choix des acteurs eux-mêmes.

4.2.2 Les degrés et modes d’implication respectifs des intervenants et des acteurs locaux

La réalisation d’un outil d’accompagnement vidéo suppose une succession d’étapes auxquelles sont associées des fonctions particulières (conception, écriture, réalisation technique, visionnage, etc.) correspondant le plus souvent à la responsabilité de choix particuliers. Un certain nombre de décisions sont à prendre. La notion de modalité d’implication (qui constitue selon nous le pendant d’une notion plus habituellement usitée, mais largement galvaudée aujourd’hui, celle de « mode de participation ») renvoie aux questions « qui fait ou décide quoi ? À quel moment ? Et de quelle manière ? ». Dans le cadre de la réalisation d’une vidéo, cela se traduit donc par : « Qui pense et écrit le scénario ? Qui choisit les interviewés et les questions à poser et comment ? Qui choisit le format de la vidéo ? Qui tient la caméra ? Qui sélectionne les images et les discours parmi les rushes et comment ? Qui anime les réunions et comment ? Qui valident le contenu des films et comment ? Etc. ». On utilisera en revanche volontiers la notion de « degré d’implication » pour qualifier un investissement plus ou moins grand dans la réalisation d’une fonction donnée, ou bien le cumul de différentes fonctions : dans un groupe de personnes ayant en charge l’écriture d’un scénario, tous ne vont pas se consacrer à leur tâche avec la même intensité. Un acteur concerné par le scénario, par le tournage et par le montage est quant à lui considéré comme « très impliqué » dans la réalisation globale.

Ainsi, mode et degré d’implication renvoient d’une part à la marge de manœuvre laissée aux mains des différents acteurs locaux impliqués, aux prises qu’ils ont sur la construction et l’utilisation de la vidéo, et d’autre part à tout ce qui est laissé aux mains des intervenants vidéo.

Faire varier ces modes et degrés d’implication entre nos différentes expérimentations revenait donc à s’octroyer ou déléguer un certain nombre de choix et/ou d’activités. Ceci devait

157 Un tel document répond à des exigences d’écriture : rigueur dans l’information, dans les idées, exploration de l’information par étapes, qualité des illustrations graphiques, redondances par l’image et le son

158 La situation doit notamment être présentée de manière authentique, pour faciliter l’identification, et incomplète, pour éviter de prétendre donner une solution et créer une situation propice au dialogue

nous apporter des éléments de discussion de nos trois hypothèses de recherche (et plus particulièrement H3) et nous donner les moyens de tester la souplesse de notre méthodologie, sa résilience en quelques sortes.

Enfin, l’octroi d’une liberté de choix à des individus n’est pas en soi nécessairement suffisante pour qu’ils se l’approprient. Encore faut-il qu’ils soient en mesure de faire un choix raisonné, qu’ils aient toutes les cartes en mains pour décider, en toute connaissance de cause. Cela soulève des questions relatives aux écarts de compétence entre les acteurs, et à l’influence des intervenants extérieurs. Pour ne prendre qu’un exemple, de nombreux praticiens de la vidéo participative soutiennent l’idée que cette approche demande que ce soit impérativement les acteurs locaux eux-mêmes qui filment leurs propres images et leurs propres interviews. Ceci doit permettre de renforcer l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes, assurer un transfert de compétences, ou encore leur donner les moyens de montrer et dire exactement ce qu’ils veulent et comme ils le veulent (C. et N. Lunch, 2006). On reste néanmoins en droit de se demander si leurs choix de cadrage, d’images ou d’autres décisions techniques qui peuvent s’avérer subtiles s’effectuent bien parmi un univers des possibles assez large pour que ces choix soient réellement raisonnés. Ou bien s’agit-il simplement du premier cadrage, de la première idée qui leur est venue en prenant la caméra ? Car si c’est le cas, quelle peut-être la signification d’un tel cadrage ? Des formations peuvent être menées en ce sens. De façon assez succincte et pédagogique il est possible d’exposer aux acteurs locaux le B-A BA de ces techniques159, mais ici aussi on est en droit de se demander quelle est l’influence réelle de la personne en charge de la formation sur les choix définitifs. Ne faudrait-il pas tout simplement que ce soit cette personne qui filme ce que les acteurs locaux souhaitent voir illustré ? La question de l’implication des uns et des autres se pose donc en termes de répartition des choix mais aussi de capacité à faire ces choix.

4.2.3 Le recours à un « groupe de travail »

Nous avons emprunté la notion de « groupe de travail » aux travaux d’Yves Langlois (Langlois, 1995), un cinéaste québécois engagé qui à plusieurs reprises a mis ses compétences au service du progrès social160. Le « groupe de travail » est un groupe restreint, constitué par les intervenants vidéo et des personnes issues du « milieu » (liées au contexte local), représentatives du système d’acteurs impliqué dans la problématique qui sera traitée en vidéo. Il constitue à la fois un « échantillon », au sein duquel un processus d’animation et de co-construction de la ou des vidéos peut-être mené en prenant en compte toute la diversité des points de vue et enjeux autour de la problématique, et un « tampon » ou « relais » avec le milieu environnant, au sens où c’est au travers du groupe de travail que le milieu est mis au courant et indirectement impliqué dans le processus de concertation (au travers des discussions informelles hors séances avec les membres du groupe de travail). Enfin c’est également ce groupe qui, lors de réunions de projection, est censé expliciter, voire défendre, le contenu de la vidéo face à leurs pairs. La formation d’un tel groupe restreint présente a priori divers avantages :

• Il assure par sa simple existence un minimum d’implication des acteurs du développement (si tant est que leurs choix soient respectés), et au-delà offre la possibilité d’une forte implication de ces acteurs

• Il facilite les prises de décisions, de par sa petite taille

• Il crée du lien social au sein du groupe (donc entre acteurs de catégories différentes) susceptible de survivre à la seule intervention vidéo et donc d’en porter par la suite les résultats

159 Dans le cas des praticiens sus cités, il s’agit de formations de quelques jours à deux semaines reposant pour l’essentiel sur la désacralisation de la vidéo, le maniement de la caméra et l’initiation à la conception d’un story-board.

160 Par exemple lors d’un travail avec les indiens d’une réserve de la cote ouest du Canada, sur les ravages l’alcool ; ou en accompagnant en Bolivie la création d’un centre audiovisuel communautaire ; ou encore en travaillant avec une population indienne de la cote atlantique de Colombie sur la redécouverte critique de leur propre histoire, et de leur vie en général.

• Il joue un rôle de « tampon » entre la démarche d’intervention et le système d’acteurs dans son ensemble, et doit permettre de limiter les conflits potentiels des réunions de projection multi-acteurs, en les faisant surgir au préalable au sein du groupe restreint

• Il constitue un noyau à partir duquel la diffusion de résultats peut être facilitée

Concrètement dans ce mode de fonctionnement avec un groupe de travail la ou les thématiques qui seront traitées en vidéo sont identifiées au sein du groupe, en fonction des différentes perceptions des enjeux locaux par ses membres. De la même façon, il définit (souvent en collaboration avec les intervenants) les grandes lignes des scénarii et les principales informations que devront impérativement contenir les vidéos, tout comme les personnes à interviewer (et de façon plus ou moins précise les questions à leur poser) et les images d’appui venant illustrer les propos.

Ce groupe de travail correspond donc finalement aux collaborateurs directs des intervenants vidéos, par opposition aux collaborateurs indirects regroupant notamment l’ensemble des acteurs dont la participation, le regard critique et les remarques ne seront prises en compte qu’en fin d’intervention, au moment des réunions de projection multi-acteurs. D’autres personnes du « milieu », sans être physiquement présents à ces réunions, participeront d’une certaine manière à la dynamique au travers des échanges et des discussions qu’ils auront pu avoir ou auront avec les participants directs et les personnes présentes aux séances de projection-débat. De par son importance, la construction et le fonctionnement du groupe de travail sont donc fondamentaux. La légitimité de telle personne à faire partie du groupe de travail, et donc à jouer le rôle de représentant ou de porte-parole d’une certaine catégorie d’acteurs, devra être considérée avec une attention particulière. De la même manière, il n’est pas évident qu’un même nombre de représentants pour chaque catégorie d’acteurs permette d’obtenir un fonctionnement équilibré entre les individus161. On peut également se demander si le groupe de travail doit nécessairement avoir une unité physique, (au sens d’être à un moment donné tous ensemble réunis physiquement dans un même lieu) ou si l’on peut envisager de travailler avec un « groupe de travail éclaté ». Auquel cas, l’intervenant vidéo peut-il prétendre reformuler seul les points de vue récoltés individuellement auprès des membres d’un groupe de travail « conceptuel », pour en présenter une synthèse dans laquelle chacun se reconnaisse ? Les exercices de validation des choix (d’images et d’interviews) doivent-ils être systématiquement réalisés collectivement au sein du groupe, ou est-il préférable d’effectuer certaines confrontations de manière individuelle, à la place ou tout simplement en premier lieu ? Finalement compte tenu des alternatives possibles, les intérêts attribués a priori au recours au groupe de travail sont-il fondés ? Ces questions sont de celles qui guideront notre réflexion.

Ainsi les degrés et modalités d’implication des membres du groupe de travail - et donc le fonctionnement de cet ensemble - seront également à interroger lors des expérimentations de terrain.

4.2.4 Présentation schématique des choix méthodologiques relatifs à chaque expérimentation

Ces choix seront développés avec force détails à l’occasion de la présentation proprement dite des expérimentations (Cf. P2, P3 et P4) puisque, nous l’avons vu, chaque nouvelle méthode d’intervention est la double conséquence des résultats des expérimentations

161 Là encore le compromis à trouver semble délicat et subtil. Par exemple, dans certains contextes un unique représentant paysan peut se retrouver peu à l’aise face à ses homologues institutionnels. Néanmoins un échantillonnage rigoureux de la population (amenant dans les pays où nous avons travaillé à une écrasante majorité paysanne) conduirait également à un débat déséquilibré, potentiellement houleux et peu fructueux. Le rééquilibrage des poids des représentants par leur nombre au sein du groupe est donc affaire de compromis et relève de l’appréciation personnelle de ceux qui en fixent la constitution. En outre ce rééquilibrage par le nombre n’est pas suffisant et gagne à être accompagné d’autres moyens : mise à disposition pour tout le monde des informations pertinentes, équité dans les prises de parole et dans la qualité de l’écoute qui leur est accordée, etc.

précédentes d’une part et de notre volonté de tester nos hypothèses de recherche d’autre part. Malgré tout il nous semble nécessaire d’exposer dès à présent la logique de nos choix méthodologiques successifs. Ces choix théoriques ont bien sûr été par la suite confrontés aux contraintes de terrain pour donner les dispositifs opérationnels finalement mis en place.

Format de la ou des vidéos

Implication respective des intervenants et des

acteurs locaux

Modalités de recours à un « groupe de

travail »

Bolivie

Une vidéo assez longue, fermée au départ avec une voix off caractérisant de façon précise le

contexte, et très ouverte en deuxième partie, avec une alternance

d’interviews lançant quelques pistes de réflexion et exposant la nécessité d’un dialogue constructif

Les intervenants vidéo se mettent en position d’experts, en charge de recueillir, ordonner et présenter les données pertinentes. La réalisation technique

(tournage/montage) reste aux mains des

intervenants vidéo

Pas de groupe de travail véritablement

conceptualisé ;

« fonctionnement sur le principe d’un groupe de travail éclaté »

Equateur

Une vidéo très longue, scénarisée avec une voix-off narrant une histoire, plurithématique, esthétiquement

recherchée, fermée

Les intervenants vidéo adoptent une position naïve, d’accoucheurs d’idées, et laissent les acteurs locaux prendre toutes les décisions concernant le contenu de la vidéo et son utilisation. La réalisation technique (tournage/montage) reste aux mains des

intervenants vidéo. Un groupe de travail humainement, spatialement et physiquement délimité, en charge de prendre toutes les décisions relatives à la production, et d’exposer dans la vidéo son point de vue, si possible concerté et à défaut les divergences d’opinions existantes en son sein

Mali

Plusieurs vidéos courtes, monothématiques, souvent ouvertes et assez « brutes » (sans recherche excessive d’esthétique) composées essentiellement

d’interviews, et rarement fermées sur des sujets plus informatifs. La voix off est globalement en retrait, ne proposant que des synthèses

provisoires, des bilans d’étapes et soulevant des questions permettant de segmenter les réunions de projection en

différentes phases d’animation

Les intervenants vidéo adoptent une position plus directive, de chargés de projets. Ils élaborent sur la base de quelques

confrontations

individuelles auprès des personnes interviewées une première version des vidéos qui sera soumise aux critiques, remarques et propositions

d’ajustement de

l’ensemble des acteurs présents aux réunions de projection. Un « groupe de travail éclaté », fonctionnant par confrontations individuelles, et identifiable aux personnes interviewées dans les vidéos et aux porteurs de projets (commanditaire et intervenants)

Tableau 5 : Présentation des principales variables testées par les différents protocoles

En résumé, la Bolivie était une première approche, très instinctive et expérientielle de la vidéo participative en appui au processus de concertation. La seconde expérimentation en Equateur voit l’accent mis sur le recours au groupe de travail (essentiellement pour palier les insuffisances d’identification à la vidéo et donc d’appropriation du contenu par le milieu), tandis que la troisième, au Mali, voit l’accent plutôt mis sur les phases de réunions de projection et de débats multi acteurs (la finalité de l’intervention est remise au centre du processus).

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