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Intérêt de l’approche stratégique pour nos interventions de terrain et notre recherche

Choix des terrains d’étude et élaboration des protocoles d’expérimentation

Section 2 : Les outils d’analyse théorique mobilisés dans la recherche

2.1 La sociologie des organisations

2.1.2 Intérêt de l’approche stratégique pour nos interventions de terrain et notre recherche

La posture globale de la théorie de l’acteur stratégique est particulièrement pertinente pour l’analyse des processus de concertation, où les intérêts des acteurs et les jeux de pouvoir sont au cœur des choix individuels et des interactions. Ainsi, même si nous relativiserons la vision uniquement stratégique en considérant d’autres dimensions de l’acteur (cf. infra), il est clair que nous analyserons avant tout les comportements des acteurs en termes de poursuite de leurs avantages, et adopterons s’il le faut dans l’étude de nos terrains le vocable et les concepts développés par Crozier et Friedberg : logique d’acteur, rationalité limitée, zone d’incertitude, etc. Ainsi, même si nous ne caractériserons pas de systèmes d’actions concrets à proprement parler, nous décrirons le système d’acteurs en évaluant leurs objectifs (compromis entre leurs buts propres et ceux de l’organisation), les contraintes (changeantes) de l’environnement, les modes de régulation des relations (méfiance, tolérance, respect, etc.), et le jeu d’alliances qui le structurent.

Au-delà de ces outils méthodologiques d’analyse du terrain, la théorie de l’acteur stratégique va influencer la construction même de nos démarches d’intervention et nous permettre d’aborder notre question de recherche sous un angle particulier.

 Un objectif de créer les conditions propices au changement

En effet, pour ce qui est de l’accompagnement de la concertation, nous pouvons retenir différents enseignements majeurs. Tout d’abord, le fait que la réussite d’un groupe humain

ne soit pas conditionnée par l’absence de tensions (impossible compte tenu des intérêts

divergents et des relations de pouvoir) mais par la bonne gestion de celles-ci nécessitant leur clarification (ce que Bernoux nomme la gestion d’un système de concurrence - coopération). L’admission de cette réalité va nous conduire à appréhender différemment les réunions de concertation en n’essayant pas de fuir les confrontations entre acteurs, mais en cherchant au contraire à faire surgir les points de désaccord et mettre en avant les conflits qu’ils soient ouverts ou larvés, afin de les éclaircir. Or une fois les débats engagés il est tentant, pour assurer « la réussite » du processus de concertation de se réfugier auprès des accords « faciles » en passant sous silence les dissensions latentes. Il s’agit alors de rechercher le plus petit dénominateur commun entre les acteurs, afin de s’y adosser pour en dégager ce que certains nomment un « consensus mou » (S. Damart et al., 2001).

De la même manière, et selon le premier postulat de l’analyse stratégique, le

changement dans une organisation ne se décrète pas - même s’il peut être accompagné

par une loi ou des ordres -. Pour Bernoux, il se produit lorsque les tensions ne renforcent plus le système mais le font éclater, et à condition que la crise débouche sur une innovation : « découverte et adoption de nouvelles capacités d’action ». C’est un phénomène difficile, accepté par les acteurs qui y gagnent quelque chose (ceux qui perdent du pouvoir dans le changement ne peuvent que le refuser ou le freiner) et qui en maîtrisent suffisamment les conséquences. Ainsi l’accompagnement des concertations ne devra pas chercher à tout prix à aboutir à une prise de décision, au risque de ne créer que de nouvelles tensions. Puisque les choix ne sont pas dictés, et que « lors d’une négociation la décision finale est le fruit des compromis entre les acteurs munis de leurs représentations des différentes contraintes » (Bernoux P., 1990), l’accompagnement vidéo pourra donc appuyer un travail individuel et collectif sur ces représentations en s’assurant que ces contraintes (intérêts et logique des autres, fonctionnement global de l’organisation, etc.) soient connues de tous.

Nous insistons sur l’importance d’un travail « collectif », puisque comme nous l’avons vu plus haut, les besoins individuels ne prévalent pas en eux-mêmes et les comportements se définissent dans un contexte d’interactions entre acteurs. Ainsi les décisions sont également à considérer dans une relation à l’autre. La présence et la réflexion conjointes sont de première importance pour influer sur ces comportements. L’accompagnement vidéo cherchera dès lors à créer ces situations, recherchant une « mise en scène » adéquate pour que « l’autre » soit intégré dans les réflexions individuelles et collectives. Cette préoccupation circonstancielle est soulignée et renforcée par d’autres sociologues des organisations. Ainsi Catherine Paradeise insiste sur le fait que la situation d’action est première, et que « la perspective de l’acteur

rapporte mobiles et modes opératoires à la situation dans laquelle se forme l’action »

(Paradeise C., 1990). Elle critique la trop faible importance donnée au contexte par Crozier et Friedberg. « Dans cette sociologie les choix sont implicites et ne se déduisent pas de

l’appartenance à tels ou tels collectifs, c’est la situation d’action liée à la position dans le système d’interdépendance qui est ici essentielle tant à la compréhension des choix qu’à celle de leurs effets » (C. Mahieu, 1997). Or l’accompagnement vidéo vise également à influer sur

cette position. Et nous le verrons plus loin, plutôt que de parler de « logique d’acteur », certains auteurs préfèrent caractériser des « logiques d’action », mêlant l’acteur et la situation d’action (Bernoux P., Amblard H., Herreros G., Livian Y.-F., 1996). Toutes ces considérations

vont dans le même sens : si le changement ne se décrète pas mais que le contexte est primordial dans la prise de décision, le processus d’accompagnement et les méthodes d’intervention que nous élaborons doivent s’attacher en première instance à instaurer aux

différentes étapes (élaboration des vidéos, réunions, débats) des conditions propices à la concertation. Nous verrons plus loin que Laurent Mermet (Mermet L., 2005 et 2005(b))

propose dans son approche d’ « analyse stratégique de la gestion environnementale » des outils pour poursuivre un tel objectif.

 Reformulations des hypothèses de recherche

En ce qui concerne notre questionnement, les concepts développés par l’analyse stratégique vont nous permettre de tester nos hypothèses de recherche.

Ainsi, si l’on considère l’hypothèse H1 selon laquelle « la réalisation partagée d’une vidéo entre les acteurs du développement aide à construire une représentation collective d’une situation complexe de gestion des ressources territoriales », elle sous-entend que les acteurs ont partagé leurs conceptions personnelles et au minimum ont accepté l’existence de perspectives différentes de la leur. Sa mise à l’épreuve traduite dans le langage de l’acteur stratégique reviendra donc à se poser la question suivante : le processus d’accompagnement vidéo a-t-il permis aux participants d’exprimer et de clarifier leurs différentes logiques d’acteurs, assurant ainsi leur meilleure compréhension mutuelle ? Cette question renseignera également l’hypothèse selon laquelle « la réalisation et l’exploitation en groupe de la vidéo contribuent à la construction de nouveaux espaces de discussion propices à une dynamique de prise de décision collective », puisque l’expression et la compréhension mutuelle des logiques d’acteurs participent de cette bonne disposition à la réflexion voire la décision collective. De la même manière, et compte tenu de ce que nous avons vu sur le dysfonctionnement d’une organisation, la discussion de ces deux hypothèses sera alimentée par la question suivante : le processus d’accompagnement vidéo a t-il permis une (re)mise en interaction d’acteurs interdépendants mais sans relations concrètes ?

Le deuxième éclairage important a trait à la participation des acteurs à la concertation, à leur poids respectif dans l’avancement de la réflexion, et finalement à cette capacité à faire des choix, centrale dans la théorie que nous venons de décrire. Pour assurer cette « qualité de la concertation » dont nous nous préoccupons dans la question principale de la thèse, ces trois objectifs nous semblent légitimes : expliciter les conflits au sein du système d’acteurs - et éventuellement les résorber -, éclaircir les motivations et les relations de sorte que la légitimité prenne le dessus sur la contrainte, et enfin augmenter le poids des membres ou groupes habituellement marginalisés. Tous trois sont liés à la question du pouvoir, et donc à la maîtrise des zones d’incertitudes. Ainsi nous pourrons tester notre deuxième hypothèse en répondant à la question suivante : le processus d’accompagnement vidéo a-t-il permis de rééquilibrer un tant soit peu la capacité d’expertise des acteurs, leur maîtrise de l’environnement, la détention et l’échange d’informations ainsi que la connaissance des règles de l’organisation ? Nous pouvons également, pour déplacer le questionnement du strict concept de zones d’incertitudes vers celui, central, du choix, nous interroger de la manière suivante : le processus d’accompagnement vidéo de la concertation a-t-il permis de réduire les effets de « rationalité limitée » ? En effet les réunions de discussion autour de la situation locale viseront également à expliciter à tous et simultanément différents « choix », non pas tant en cherchant à s’entendre sur un avenir imprévisible, mais en s’accordant sur la caractérisation de la dynamique actuelle et les infléchissements qu’il est possible de lui apporter.

Finalement, au regard de l’hypothèse H3 « plus la vidéo est réalisée et exploitée de manière conjointe entre les acteurs du développement, plus la qualité de la dynamique de concertation - et notamment son appropriation et sa durabilité - est assurée », nous pourrons

nous demander si l’augmentation du degré de co-réalisation et de co-exploitation de la ou des vidéo(s) va dans le sens d’une réponse positive à toutes les questions précédentes.

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