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Section 1 : Naissance, affirmation et limites du concept de participation dans les pratiques du développement

1.5 Les critiques récurrentes à l’encontre des démarches participatives

de nombreuses critiques. Ces critiques permettent de pousser toujours plus loin, et dans la bonne direction, la réflexion autour de la participation. Parcourons-en quelques-unes rapidement.

1.5 Les critiques récurrentes à l’encontre des démarches

participatives

Ces critiques apparurent dès les années 90, souvent en réaction à la déception ressentie face aux résultats concrets obtenus sur le terrain, et aux obstacles rencontrés dans leur application. Elles reposent essentiellement sur trois aspects de ces démarches : « les

conceptions implicites de l’approche, le profil des personnes qui les mettent en œuvre et le contexte institutionnel de leur mise en œuvre » (Lavigne Delville P., 2005).

 Les conceptions implicites de l’approche

C’est la fiabilité des données qui est la première questionnée. Peut-on avoir une confiance aveugle en la méthode de collecte ? Comment s’assurer de la pertinence des résultats obtenus au regard des actions de développement à mettre en œuvre ? Cette question suppose l’existence d’une capacité chez les animateurs de ces démarches à faire le tri entre ce qui serait de « bonnes » et de « mauvaises » données, en plus d’un sérieux problème de légitimité. Cela impliquerait donc que l’animateur dispose, au-delà de son savoir-faire en termes de triangulation des informations, d’une connaissance relativement pointue de la situation locale, au risque que sa propre perception de la problématique (influencée par son parcours professionnel, sa formation, etc.) ne vienne biaiser le déroulement de la réflexion collective, l’amputant ainsi de sa substance participative. « Les villageois seront de bons enseignants si

les "élèves" possèdent de solides connaissances dans les disciplines concernées et savent poser de « bonnes questions » en confrontant les connaissances des paysans aux leurs, en se laissant

ainsi surprendre par ce qui affine, confirme ou contredit leurs propres théories » (Floquet et

Mongbo, 2000).

Par ailleurs, seule une infime partie de la population peut concrètement prendre part à la démarche, ce qui entraîne nécessairement des distorsions dans la représentation de la situation locale qui en est issue. Ces distorsions sont bien sûr plus ou moins importantes, et plus ou moins justifiables, mais elles demandent aux intervenants d’être en mesure de les identifier et de les évaluer de manière transparente, ce qui n’est pas toujours évident, et surtout loin d’être toujours réalisé dans la pratique. De plus, la participation confronte nécessairement ses « facilitateurs » à la difficulté de proposer, à l’issue du processus, des solutions - en tout cas des actions - susceptibles de rencontrer l’adhésion de l’ensemble des participants. On est en droit de se demander s’il n’est pas quelque peu utopique de croire qu’il est toujours possible de trouver le chemin du consensus dans un contexte multi-acteurs donné. Se pose également la question du prix à payer pour l’obtention de ce consensus, et de l’existence d’éventuels laissés pour compte (susceptibles d’être différents des populations dites marginalisées préexistantes à l’intervention).

 Le profil des intervenants

Au sujet des comportements et attitudes des intervenants, les détracteurs des approches participatives égratignent l’absence de ligne de conduite précise, de repères et de garde-fous méthodologiques et déontologiques arrêtés. Ce vide laisse selon eux la porte ouverte aux dérives, aux risques de manipulation et d’instrumentalisation des approches et des intervenants eux-mêmes. Effectivement, si les méthodes participatives foisonnent, on ne trouve que peu d’indications sur les difficultés pratiques et leurs conditions d’utilisation (Lavigne Delville, 2000).

De plus, dans le cas des diagnostics participatifs notamment, les intervenants sont amenés à restituer aux participants les fruits de leur travail collectif. Cette restitution, essentielle à la validation des résultats obtenus auprès de la population locale et à la formulation de propositions concrètes d’action, se retrouve souvent compromise par les anciens travers des « développeurs ». Ceux-ci se précipitent souvent vers leurs outils de synthèse préférés (diagrammes, photos satellite, etc.) qui, s’ils font sens à leur yeux (et aux nôtres), ne le font généralement pas à ceux des participants, alors incapables de reconnaître leurs analyses, et encore moins de les discuter comme ce devrait être le cas. Ils se retrouvent finalement dépossédés de leurs réflexions du fait de cette reformulation par les intervenants. Il en est d’ailleurs de même de l’inévitable rapport écrit final, rédigé dans la langue administrative en vigueur (fréquemment différente de celle des populations locales), et absolument incompréhensible pour les participants. Dans de telles situations l’appropriation des résultats par les participants demeure très faible, que le processus en lui-même ait été riche ou non. Ceci explique également comment ces restitutions de soi-disant processus participatif se transforment facilement en réunions de simple validation des propositions élaborées par les seuls intervenants qui, loin de l’idéologie participative, ne recourent à ces démarches que dans le but de donner une certaine coloration aux résultats présentés aux bailleurs de fonds. D’Aquino évoque alors « un dialogue artificiel réduit, au mieux, à l’expression de besoin et à la

« validation » de choix déjà effectués par les experts et l’administration. » (D’Aquino, 2002)

Finalement, en plus d’une adhésion profonde aux principes de la participation, les compétences de ces animateurs du développement d’un nouveau genre sont sensées être extrêmement diverses. Ils doivent en effet combiner des talents de sociologue, de psychologue, de médiateur, de gestionnaire, et parfois d’agronome, d’hydraulicien, etc., tout en étant relativement au fait des problématiques propres au terrain d’intervention. L’ampleur de la tâche qui leur incombe laisserait penser que peu d’entre eux sont capables d’une telle prouesse…

 Le contexte institutionnel

Enfin, et c’est là sans doute la critique la plus difficile à surmonter pour les défenseurs de ces approches, si l’on se retourne sur les résultats obtenus durant ces 20 dernières années dans le cadre de la mise en œuvre des approches participatives, force est de reconnaître qu’un fossé demeure avec les espoirs qu’elles ont suscités à l’origine. Tout d’abord elles sont le plus souvent limitées au seul exercice de diagnostic préalable, certes indispensable à la bonne marche des projets, mais insuffisant dans une optique de changement démocratique et de reprise en main par les acteurs locaux de leur développement. Le déroulement traditionnel des projets n’a pas été autant remis en question qu’on ne l’espérait par l’invasion des méthodes participatives. En effet, la participation devrait pouvoir être soutenue à tous les stades, depuis le diagnostic jusqu’à l’évaluation, en passant par le suivi et le contrôle de la réalisation concrète des actions. Mais cela signifie que le contexte politico-institutionnel local, comme celui, plus administratif bien souvent, de la gestion du projet en lui-même (si celui-ci est porté par l’extérieur), puisse intégrer un tel bouleversement dans les façons de faire. Cela sous-entend que les décisions ou les orientations définies par les participants au processus soient réellement suivies, ce qui suppose des dispositifs de financement très souples (tout comme devraient l’être les calendriers d’intervention), et surtout l’absence totale d’attentes vis-à-vis du projet du coté de ses porteurs. Or il faut admettre que les divers systèmes institutionnels actuellement en vigueur ne peuvent se plier à ce type d’exigences : la gestion comptable impose une certaine rigidité, la durée des mandats et le système politique même poussent à la réalisation rapide d’ouvrages précis pour satisfaire un électorat, etc. La mise en application juste des principes participatifs et des méthodes associées semble ainsi nécessiter la refonte complète de l’organisation politico-institutionnelle. « L’adoption de démarches participatives n’est pas

seulement une question d’outils pour la participation. C’est d’abord une question de réforme institutionnelle, d’évolution des conceptions de l’innovation et de l’image que les chercheurs se font de leur mandat.» (Lavigne Delville P., 2000) Une alternative pourrait alors être d’inventer

« des dispositifs de projets capables de mettre en œuvre une série de réalisations, non

déterminées au départ, sur un territoire donné, en couplant dispositifs de décision sur l’octroi de financements à des projets portés par les populations, et dispositifs d’appui aux porteurs de projets dans l’élaboration de leurs projets » (Lavigne Delville P., 2005). Malgré tout, dans

certains cas, lorsque les conditions locales le permettent, que les tensions ne sont pas trop importantes et que les intervenants sont réellement compétents, les approches participatives peuvent effectivement assurer l’expression et la prise en compte de multiples points de vue, favoriser le dialogue et participer d’une forme de conscientisation des populations, préalable indispensable selon Freire (cf. section suivante) à la reconquête de leur citoyenneté.

Ce questionnement d’ordre institutionnel renvoie enfin au lien entre local et global : « le

défi d’un développement local et durable est pourtant dans une articulation efficace entre ces espaces de proximité dans lesquels l’intensité des échanges interpersonnels favorise l’exercice de la délibération et de la solidarité et des espaces plus larges, permettant la conduite de certaines actions et le respect de certaines valeurs » (Gontcharoff, 1996, cité par D’Aquino,

2002). Des pistes ont été explorées en ce sens pour instituer une véritable démarche participative à différentes échelles simultanément, notamment en Amérique Latine avec la « participation populaire » instaurée dans la gestion de différentes collectivités territoriales. Notre propre étude en Bolivie montre qu’il reste encore de nombreux efforts à fournir pour que ces modèles fonctionnent dans le respect des principes qu’ils sous-entendent (cf. P2, chapitre 1, § 2.4).

Il faut finalement reconnaître qu’aujourd’hui le mot participation est un terme galvaudé, employé à tout va, par tout le monde et n’importe qui, et qu’il se retrouve de fait peu à peu dépourvu de sa substance. C’est un mot valise, qui recouvre des conceptions, des visions

politiques et des pratiques extrêmement variées. Cette confusion, de laquelle les plus cyniques d’entre nous (les plus clairvoyants ?) peuvent parfois penser qu’elle est volontairement entretenue, ne joue pas en faveur de ces approches. Pour Mosse notamment (Mosse, 1995), la rhétorique participative peut elle-même être un obstacle à la communication dans la mesure où le flou affiché sur les intentions des intervenants ne peut que renforcer la méfiance ou l’inquiétude des enquêtés. Finalement, pour conclure sur ces critiques, il est intéressant de s’interroger, comme le fait Sellamna, sur le bien fondé, la pertinence et l’impact réel de ces méthodologies, largement initiées de l’extérieur des communautés rurales et des Etats nationaux, qui préconisent l’émergence d’une dynamique interne et autonome de changement social, et prétendent pouvoir l’insuffler (Sellamna N., 2000).

Malgré le nombre et la pertinence des critiques, la recherche sur les approches participatives continue d’être soutenue, portée par l’engagement aujourd’hui apparemment indéfectible des bailleurs de fonds internationaux, et ralliant à elle toujours plus de praticiens, d’experts et de porteurs de projets. Et même si un long chemin reste à parcourir, elles demeurent aujourd’hui la seule piste, dans le contexte géopolitique et institutionnel actuel, permettant de redonner aux acteurs locaux la place qu’ils méritent dans les processus de décision relatifs à leur développement : une place centrale et primordiale. Au travers de ces approches le développement repose enfin sur l’établissement et la valorisation du dialogue respectueux entre les hommes. La communication devient dès lors le bras armé du

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