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Processus ou produit ? De l’évaluation de la « réussite » d’une concertation

Section 2 : Approche théorique des processus de concertation

2.4 Processus ou produit ? De l’évaluation de la « réussite » d’une concertation

Quelles concertations peuvent être qualifiées de « bonnes » : un processus transparent, prenant en compte la pluralité des points de vue mais n’aboutissant à aucune action concrète, ou au contraire un processus critiquable mais fournissant des réponses pertinentes compte tenu des problèmes locaux52 ? Cette dichotomie volontairement provocatrice traduit le débat théorique qui vise à évaluer la qualité d’une concertation.

2.4.1 Les approches centrées sur le processus de concertation

Différentes approches théoriques estiment que la qualité du processus de concertation prévaut sur son résultat, puisque ce dernier dépend essentiellement des interactions entre les acteurs au cours de la concertation. C’est le paradigme qui domine les recherches depuis les années 90.

Les défenseurs du « modèle Soft-système » (SSM) réfutent l’intérêt d’analyser simplement et de manière isolée les problèmes afin de les présenter selon un point de vue spécifique à des experts, à même de proposer des solutions. Le SSM se propose de « considérer plutôt un ensemble d’acteurs impliqués dans un processus de partage de points de

vue sur un problème, afin d’en apprendre plus sur le problème à traiter et pouvoir prendre des décisions collectives visant à améliorer la situation » (Röling 1994, cité par Huber 1999).

L’objectif du SSM est de stimuler la réflexion, l’interaction et l’apprentissage. Checkland le définit d’ailleurs comme un « système d’apprentissage » (Checkland, 1981, cité par Huber 1999). Dans ce cas, l’enjeu d’une concertation est donc bien le processus cognitif collectif. Dans un contexte conflictuel, l’hypothèse qu’une mesure formulée « dans son coin » par un décideur puisse résoudre le problème est réfutée, et les auteurs jugent que la réunion des différents acteurs concernés est la seule solution pour améliorer la situation, en formulant des solutions concertées.

Cette vision rejoint celle des théoriciens de la science post-normale. Ils qualifient de « post-normale » une situation complexe53 dans laquelle les enjeux liés à la décision et l’incertitude concernant les conséquences de cette décision sont particulièrement forts. Le processus de prise de décision en lui-même devient dès lors une partie du problème à analyser (Funtowicz S.O. et Ravetz J.R., 1993). L’approche prônée dans ce cas soutient que la qualité

des décisions dépend de (et se mesure en fonction de) la qualité du processus de prise de décision en lui-même. Les chercheurs du collectif ComMod suivent ce même sillon

et font de la qualité de ce processus l’objectif premier de leur intervention : « comme l'ont

démontré plusieurs travaux (Mermet L. 1992; Weber J. and Reveret 1993; Ostrom, Gardner et al. 1994; Funtowicz S.O., Ravetz J.R. et al. 1999), face à une situation complexe, le processus de décision est évolutif, itératif et continu. Cela signifie qu'il produit des actes de "décision" toujours imparfaits mais dont le but est d'être, à chaque itération, moins imparfaits et plus partagés. Autrement dit, l'enjeu n'est pas dans la qualité du choix mais dans la qualité du processus qui y a conduit. […] L'objectif n'est donc pas de produire ambitieusement des

52 Cette question rejoint le débat autour de la vision du collectif comme enjeu ou comme moyen (Cf. encadré 2, P1, chapitre 3, § 3.5)

décisions et des résultats définitifs, mais d'enrichir le processus de prise de décision, que ce soit sous son aspect technique (informations, qualité technique des actions entreprises,...) ou son aspect sociologique (plus grande concertation, renforcement du pouvoir de l'acteur dans la décision,...) » (Collectif ComMod, 2003).

Ces approches sont notamment la base théorique de la mise en place des plate-formes multiacteurs, ou arènes de concertation, très à la mode sur la scène internationale, qui visent à pallier aux problèmes de représentation et de coordination des acteurs. Différents auteurs pensent qu’il s’agit de cadres institutionnels plus à même de produire de « bonnes » décisions et de limiter les conflits, par un processus jugé adéquat puisque assurant une large participation (Röling N. et Jiggins J., 1998, Steins et Edwards, 1999 in Faysse N. et al., 2007).

2.4.2 La revalorisation du produit de la concertation

Traitant d’un domaine relativement technique et où les attentes de résultats sont fortes, Mermet refuse de voir les problèmes d’environnement comme de simples problèmes de coordination entre acteurs. Selon lui le changement du système de gestion peut bel et bien passer par une meilleure communication, de nouvelles instances de coordination, la collaboration dans l’action… mais il n’y a pas de raison que ces aspects soient centraux ou suffisants. Ainsi il préconise de « ne pas analyser des processus de décision et de

négociation indépendamment des enjeux de substance sur lesquels ils portent. Nous rejoignons en effet Lax et Sebenius (2002) pour constater que c’est surtout « une préoccupation pour le processus qui sous-tend la plupart des analyses de la négociation par les chercheurs » et que cette orientation peut conduire à « manquer la finalité profonde de la négociation, qui porte sur la substance ». Une attention trop centrée sur le processus peut ainsi conduire à des erreurs ou des impasses dans l’analyse de la décision et de la négociation, dans leur évaluation, dans les préconisations pour les améliorer» (Mermet L. 2003(b)). Un processus

de concertation n’est pas forcément à même de dépasser les asymétries de pouvoir et les stratégies distributives (tous n’ont pas en tête l’intérêt général !). Il ne faudrait donc pas défendre une « vision mystificatrice » selon laquelle un bon processus de concertation produit des résultats nécessairement convenables, ni au vu de la situation étudiée (le collectif n’est pas forcément à même de produire la bonne solution technique), ni du point de vue de tous les acteurs impliqués. Cette analyse rejoint bien évidemment les critiques formulées plus haut à l’égard de la prédominance de l’action collective. « Si cette perspective d’action collective est

utile ex ante pour chercher des chemins de collaboration, quand il en existe, dès qu’elle est utilisée ex post pour décrire un processus ou évaluer ses résultats, elle revient à écrire une histoire depuis le point de vue des vainqueurs – c’est à dire de ceux dont les objectifs initiaux se retrouvent les mieux servis dans les buts comme dans les réalisations de gestion qui ont émergé des processus de constitution du collectif » (Mermet L., 2005 (b)). Le résultat d’une

bonne concertation - bonne parce que réunissant bien tous les acteurs liés à la situation – est nécessairement bon, tant pis pour les « perdants ». A travers cette position parfois provocatrice, il s’agit simplement de revaloriser les préoccupations initialement explicitées à l’égard du résultat, pour sortir de la circularité qui pousse à évaluer la concertation uniquement à partir de critères issus de la concertation elle-même, sans considérer l’efficacité du changement produit dans le système local.

2.4.3 Une voie centrale modérée entre processus et produit : qu’est-ce qu’une concertation de qualité, et comment l’évaluer ?

Il semble judicieux, compte tenu du bien-fondé des arguments supportant les deux approches que nous venons d’exposer (qui par ailleurs ne sont pas antithétiques si on les envisage sans extrémisme), de considérer que la qualité d’un processus de concertation

Les caractéristiques structurelles du dispositif de concertation : les

conditions sont-elles propices à la formulation des problèmes, la confrontation des points de vue et la recherche de solutions concertées ?

Tout ce que produit finalement le processus : nouvelles connaissances,

évolution des relations, éventuelles prises de décision concernant de nouvelles règles d’action, etc.

Dans les deux cas, les critères de performance peuvent paraître difficiles à fixer. Le fait est que cette évaluation ne peut se faire que sur des attentes spécifiées a priori : nous proposons que ce rôle soit dévolu à un analyste (qu’il soit individuel ou collectif, partie prenante ou non du processus),déterminé le plus tôt possible par rapport à l’enclenchement de la dynamique. Cet analyste est alors chargé de décider des indicateurs à apprécier et de les apprécier effectivement au vu du déroulement de la concertation, évaluant ainsi la « réussite » du processus. L’importance de choisir – collectivement et si possible de manière consensuelle - un analyste au préalable, réside dans l’absolue nécessité d’envisager l’évaluation du processus dans sa continuité, et non pas simplement ex-post, du fait de la prédominance de facteurs sociaux purement qualitatifs, qu’il faut pouvoir décrire et décrypter à chaud pour espérer en prendre toute la mesure. Même si le collectif engagé dans le processus de concertation ne saurait en général s’évaluer lui-même, compte tenu du disensus fréquent autour de la problématique d’intérêt, il semble important pour l’analyste de réaliser, au moins partiellement, le travail de définition des critères en collaboration avec des membres de ce collectif afin de prendre correctement en compte les attentes réelles54 des différents participants vis-à-vis du processus. Cet analyste peut tout aussi bien être un acteur local (administrateur, praticien désigné par ses pairs, etc.) qu’un agent de développement externe, au gré de la décision des participants à la concertation.

Le « produit » de la concertation ne peut s’évaluer qu’au cas par cas en fonction des situations concrètes sur lesquelles elle porte. Ce sera, d’un côté, une analyse de l’évolution concrète du problème traité par la concertation : le processus a-t-il permis un partage plus équitable de l’eau ? Une meilleure gestion de la forêt ? Une plus grande qualité de l’air ? Quelle est la performance du système de gestion compte tenu de celle visée au début du processus de concertation ? Puis, d’un autre côté, il semble nécessaire de prêter attention à toutes les externalités (positives comme négatives) produites par le processus pour le système d’action dans son ensemble : la concertation a-t-elle permis de produire de nouvelles connaissances, d’en améliorer le partage ? Les relations entre les acteurs se sont-elles améliorées, clarifiées, tendues ? Certains acteurs marginalisés ont-ils été mieux reconnus ? Ont-ils été ou ont-ils le sentiment d’avoir été manipulés ? La dynamique de concertation est-elle durable ? Etc. Si la consultation des participants à la concertation est indispensable, leurs avis ne sauraient qu’exceptionnellement être unanimes compte tenu de la diversité des points de vue et des stratégies entre acteurs. Ceci renforce l’importance pour l’analyste de guider l’évaluation grâce aux critères qu’il a lui-même posés à l’origine, en accord avec les différentes parties prenantes.

Rappelons enfin que la concertation ne débouche pas nécessairement sur une prise de décision, et encore moins sur un consensus : un ou plusieurs acteurs peuvent l’emporter (ce qui ne constitue pas nécessairement un résultat néfaste et peut même sans doute dans certains cas - que nous ne prétendrons pas être en mesure de juger - être préférable), tout comme on peut également déboucher sur un statu quo. Cette absence de décision (on pourrait dire, de « résultat attendu ») devrait pousser l’analyste et le collectif à s’interroger sur les facteurs de blocages du processus et leur résistance.

Pour ce qui est de la structure du dispositif de concertation et contrairement à

l’appréciation de son résultat (trop dépendant du contexte de mise en oeuvre), nous pouvons

définir dès à présent des critères généraux d’évaluation sur la base des principes que

nous venons d’exposer dans ce sous-chapitre55. La réunion de tous ces critères est censée

définir un dispositif de concertation transparent, démocratique et à même de faciliter le processus décisionnel :

Le dispositif a permis (directement ou indirectement) la participation effective des acteurs jugés appropriés par l’ensemble des participants eux-mêmes, tout en gardant une certaine ouverture afin d’en inclure de nouveaux au cas où le besoin s’en serait fait

sentir (à l’intérieur ou à l’extérieur du groupe des participants).

Il a permis l’expression des points de vue de chacun des participants

Il a permis une vraie prise en compte de ces points de vue par les autres acteurs

(notamment en facilitant leur compréhension et en diminuant les logiques d’évitement)

En termes stratégiques, le dispositif a permis de réguler, en partie,

temporairement et au sein de la concertation, les diverses asymétries (pouvoir, informations, prérogatives, statuts, etc.) susceptibles de pénaliser le poids de certains acteurs dans le processus.

Si l’idée d’appropriation du processus de concertation et de ses résultats n’est pas discutée ici en tant que telle, elle n’en est pas moins sous-jacente à la quasi-totalité des points évoqués. Elle rejoint également la préoccupation de durabilité de l’action entreprise.

Notons qu’en ce qui concerne les phases élémentaires de la concertation assimilables à des négociations, la réduction des asymétries de pouvoir n’est pas un objectif en soi du fait que la négociation se fonde sur ses asymétries et les exploite dans son déroulement.

Dans cette section nous avons défini notre approche de la notion de concertation, et tout ce que celle-ci implique concrètement, de manière à éviter les écueils et les erreurs d’appréciation compte tenu notamment des attentes fortes que véhiculent ces pratiques en termes de développement. Notre intérêt portera en particulier sur le processus en lui-même, formulant l’hypothèse qu’un « bon » processus (avec tout ce que cela comporte de subjectif) va dans le sens d’une décision plus démocratique, assurant une meilleure maîtrise du développement par les acteurs eux-mêmes et des propositions plus adaptées aux véritables besoins locaux. Néanmoins, cette décision n’a aucune raison a priori d’être meilleure d’un point de vue « technique » que celle élaborée par ailleurs par des ingénieurs. Elle devra donc être analysée séparément en tant que telle. Enfin, nous l’avons vu, la question du choix des participants apparaît centrale dans le succès de la concertation.

Nous avons finalement défini a priori des critères d’évaluation de la « qualité » d’une concertation, qui doivent nous permettre a posteriori de définir si une décision est « plus ou moins concertée ». Or, pour favoriser la « qualité » de ces processus de concertation, un certain nombre d’outils et de méthodes ont été développées successivement et sont aujourd’hui proposées à qui veut s’en servir. Qu’en est-il exactement de leur impact sur le processus de concertation, et de leur pertinence ?

55 Etant donné que certains choix peuvent être des préalables qui dépendent de l’analyste, notamment la sélection des participants ou la désignation des lieux de réunion, cela suppose de sa part une capacité de remise en question assez importante au moment de l’évaluation.

Section 3 : Quels outils ou méthodes pour une aide à la

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