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massive et standardisée des médias à un usage localement maîtrisé

Section 2 : La communication dans une perspective de développement

2.3 La télévision et les NTIC face à la démocratie et au changement social

L’expansion numérique soulève de nombreuses questions. Les autoroutes de l’information seront-elles celles de la démocratie ? La révolution communicationnelle en route apportera-t-elle quelque chose de concret dans le quotidien et les rapports humains ? N’y a-t-il pas un risque qu’elle nous éloigne en nous dispersant ?

Le culte immodéré de la technologie, à l’instar de celui de la croissance économique, conduit à des extrémismes qui laissent une bonne partie de la population mondiale au bord du chemin. Mais les avancées technologiques ne doivent pas non plus être diabolisées. Un regard critique porté sur ces questions donne surtout l’impression d’une communication tiraillée entre deux pôles opposés avec peu d’intermédiaires : le local et le global, les light medias face au

mass medias, l’appui au civisme et à la démocratie ou leur inhibition, le pluralisme face aux

l’heure de la « world culture », de la « télé-réalité » (fer de lance du conformisme) et surtout de l’Internet, la communication s’impose comme moteur incontournable du bien-être, et elle exerce déjà une forme de tyrannie en s’immisçant dans tous les aspects de la vie mondiale (Ramonet I., 2001).

Nous allons évoquer certains de ces tiraillements autour de la télévision et de la vidéo, bien sûr, mais aussi d’Internet qui supporte de plus en plus - et parfois même supplante - les médias précédents. On parle déjà de lui comme du « cinquième pouvoir » (Ramonet I., 2003).

2.3.1 Les espoirs suscités par Internet

La révolution Internet a généré au niveau des leaders d’opinion le fol espoir de l’extinction de la pauvreté et de la généralisation de la démocratie. Abstraction faite du contrôle sur la qualité et le contenu des pages (il y aurait beaucoup à dire à ce sujet), il est vrai que grâce au cyberespace la société civile internationale tisse des liens solides beaucoup plus facilement. Les outils technologiques se multiplient, deviennent plus simples d’utilisation, et tout citoyen semble ainsi gagner une place plus importante dans les débats politiques de certaines nations, et surtout à l’international. Le cybercitoyen n’appartient pas à un espace géographique mais bien à une communauté d’intérêt virtuelle, dont les actions peuvent se coordonner, y compris à l’échelle mondiale, permettant la naissance d’une société civile planétaire (Reyes-Matta F., 2003). Le déroulement du forum de Seattle fut exemplaire et fondateur en ce sens. Si 40 000 manifestants ont réussi à bousculer l’O.M.C., ce n’est pas seulement par la rue, mais aussi et surtout parce que la tribune développée sur Internet en parallèle du sommet a permis de diffuser très largement un autre point de vue sur la réalité cachée derrière les chiffres macro-économiques, celle des inégalités. Internet a permis pour la première fois l’union de syndicalistes, d’étudiants, de défenseurs des droits de l’homme et de l’environnement, d’ONG et de bien d’autres encore, avec une efficacité surprenante. Les analystes s’étonnaient d’ailleurs de ne trouver aucun leader à la tête du mouvement : « la

mobilisation pour la justice sociale n’est pas un évènement hiérarchique de subordination, […] c’est un ensemble de personnes qui non seulement survit mais qui en plus grandit, et sans tête » (Time, 24 avril 2000, NY). Beaucoup soulignèrent l’ironie du sort qui avait fait que

l’opposition à la globalisation prenait le canal d’une des plus fantastiques de ses créations : l’Internet (Reyes-Matta, 2003).

A l’échelle nationale dans les pays du Nord, on nous assure une démocratie plus participative grâce à l’utilisation d’Internet dans les pratiques politiques communicationnelles. Le déroulement des élections présidentielles de 2007 en France tend effectivement à prouver le potentiel de dynamisme du web comme outil citoyen, notamment à travers les blogs des candidats et les divers forums qui leur ont servi d’inspiration - selon eux -. Par ailleurs, certains auteurs envisagent la greffe de mécanismes de la démocratie directe sur le modèle représentatif, pour combler l’interstice entre gouvernants et gouvernés et le délai inhérent aux processus politiques actuels, par le biais notamment d’instruments informatiques de proposition et de consultation. L’objectif serait la mise en place d’une forme de « démocratie continue » (Rodotá S., 1999) fondée sur les nouvelles communications. Au-delà, la mise en réseau ouverte et mondiale permet d’imaginer de multiples actions communicationnelles directes par lesquelles les citoyens pourraient échanger, proposer, et décider.

Ces considérations sur le civisme mises à part, l’émergence d’Internet représente une certaine révolution des mœurs, qui se caractérise par l’existence d’un vaste univers « underground », un iceberg dont la partie émergée influence la planète entière en réveillant les espoirs d’un monde plus altruiste. Philippe Breton y voit de nombreuses analogies avec d’autres utopies historiques, en relevant notamment des « points de connexion entre le

nouveau culte d’Internet et le vaste mouvement contre-culturel qui devient un phénomène de masse dans les années 1960 aux Etats-Unis, et, sous diverses formes, dans différents pays occidentaux, […] un vaste courant qui englobe l’héritage de la beat generation, le mouvement

de contestation de la jeunesse, qui conduira notamment aux grandes révoltes étudiantes, le mouvement hippie, et toutes les nombreuses ramifications qui sont nées dans cette nébuleuse, comme les mouvements alternatifs. Les valeurs dont il était porteur ont essaimé et influencent les manières d’« être au monde » de nombreux adultes […] comme Allen Ginsberg, Jack Kerouac, Alan Watts, Ken Kesey, Timothy Leary, Gary Snyder, Neal Cassady, Bob Dylan, sans compter de nombreux groupes de musique et un certain nombre de revues » (Breton P., 2000). Ce cousinage est surprenant mais pertinent sur de nombreux aspects, même si contrairement à son aîné le cyberespace intègre spontanément certaines des valeurs du libéralisme, s’apparentant à la plus grande galerie marchande du monde malgré quelques foyers d’internautes hostiles au capitalisme et à la société de consommation. Mais c’est effectivement une nébuleuse, une tribune active pour les mouvements alter-mondialistes, environnementalistes, paysans, homosexuels et bien d’autres, utilisant tous la « Toile » comme porte-voix. C’est aussi, à l’instar du mouvement des années 60, un phénomène créé avant tout par les jeunes et pour les jeunes. Ce jeunisme participe de l’existence d’un sentiment de révolution, de décentralisation numérique, de possibles mutations assez radicales sous l’impulsion des nouveaux citoyens du monde qui disposent d’un instrument « dernier cri » pour atteindre les gens et essayer de les convaincre (Negroponte N., 1995). Avec toutes les dérives que cela peut impliquer.

2.3.2 La fracture numérique : le cyberespace comme nouveau théâtre d’inégalités

L’information et la capitalisation d’expériences, les sites Internet et les réseaux se multiplient sur la toile à une vitesse vertigineuse. Et pourtant, divers points noirs sont montrés du doigt et de nombreux auteurs accusent ce soi-disant outil du progrès global d’aggraver le retard des pays du Sud en matière de développement. Cette position se fonde sur des constats matériels : il y a une poignée d’années, 90 % des utilisateurs d’Internet provenaient encore des pays du Nord (cf. annexe 1), et les dix autres pourcents, au Sud, n’appartenaient évidemment pas aux classes sociales les plus défavorisées. La moitié de la planète n’est pas encore reliée à un réseau téléphonique, ce problème étant plus aigu dans les campagnes. L’illettrisme reste fort dans de nombreux pays et la pauvreté d’une grande partie de la population ne lui permet pas de participer à cette explosion des NTIC. Par ailleurs, la recherche en la matière est concentrée au Nord (l’Inde fait dorénavant exception), tout comme le sont les brevets qui permettent l’exclusivité technologique, les multinationales de la communication, les agences de presse, le contrôle des orbites géostationnaires, etc. (Reyes-Matta F., 2003, Ambrosi A., 1992). En 2000, les présidents Ricardo Lagos du Chili, Thabo Mbeki d’Afrique du Sud et le premier ministre de Suède Goran Persson lançaient un appel mondial à la prudence : « la technologie de l’information est, dans le monde entier, un facteur clef des processus de

développement économique, politique et culturel, et cependant jusqu’à aujourd’hui seule une élite peut y avoir accès. Si la technologie de l’information n’est pas disponible pour tous, elle peut devenir une nouvelle source de division et d’inégalités accrues, en plus d’un obstacle au développement. La fracture numérique existe déjà, et notre devoir de leaders politiques est de s’assurer qu’elle diminue, entre et au sein de nos nations » (International Herald Tribune, 28

juin 2000). L’ITU ambitionne de combler la fracture à horizon 201517.

D’autres auteurs parlent également d’ « apartheid électronique », puisque l’Internet prétend unir le monde entier alors « qu’il ségrégue et bannit les non anglophones, en les

envoyant dans les ghettos de l’espagnol, de l’hindi, du français, du mandarin et des autres langues sous-représentées. Le langage « officiel » de l’Internet est devenu une nouvelle couleur de peau de la suprématie culturelle, ou de la domination culturelle au mieux » (Dagron

A.G., 2001). Il est clair que la plupart des serveurs qui mettent des sites à disposition sont au Nord (cf. annexe 1). Et quand bien même à horizon 2013 la Chine et l’Inde seront les deux plus gros utilisateurs d’Internet au monde, et que plus de la moitié des internautes sont d’ores et

déjà en Asie, c’est l’Europe et l’Amérique du Nord qui disposent d’un « taux de pénétration » international écrasant (cf. http://www.internetworldstats.com/stats.htm).

Finalement, loin de nous l’idée de nier le fait qu’Internet est une révolution de tout premier ordre et que son potentiel est colossal : pour preuve son évolution en seulement vingt ans d’existence… Nous remettons simplement en cause sa faculté d’adaptation aux situations locales comme outil de communication, et donc son potentiel en termes d’appui au développement et son adéquation avec les véritables besoins des pays pauvres.

2.3.3 Les cas de la télévision et de la vidéo

Représentant des médias de masse par excellence, la télévision a conquis la planète entière et s’impose aujourd’hui largement aux dépens de la presse écrite. Ce raz de marée est tel qu’il produit un changement dans le concept même de l’information : il s’agit dorénavant de montrer l’histoire en marche, bien plus que de prendre du recul et de comprendre les contextes d’évènements moins ponctuels. Dans cette confusion l’« actualité » se mêle à l’information, et l’écran fait ressurgir l’illusion selon laquelle voir, c’est comprendre (Ramonet I., 2001). Cette fascination pour les images ouvre grand la porte aux manipulations, idéologiques et politiques, voire même humanitaires (on se souviendra des fausses images de famine en Somalie…). Les spectateurs semblent souvent inaptes au décodage du message qui leur est diffusé. Cette dictature du visuel est telle que les évènements invisibles en deviennent quasiment abstraits : c’est le cas par exemple des 50 ans d’oppression tibétaine (avant les Jeux Olympiques de Pékin !) et de la réalité quotidienne des coréens du Nord. Ainsi la prédominance des journaux télévisés tend faussement à faire croire que le fait de les regarder équivaut à s’informer correctement et pleinement. Ils participent en ce sens, et souvent malgré eux, d’un risque d’amnésie collective autour des évènements qui ne sont pas sélectionnés à l’antenne.

Au-delà de cet aspect culturel, les petits écrans sont des instruments politiques et économiques très puissants. Nous avons mentionné la couverture des conflits et le lien des industries de la télécommunication avec celles de l’armement. Dans de nombreux pays, les industries de la vidéo et de la télédiffusion appuient les régimes en place, que celles-ci soient propriété de l’Etat, de compagnies privées sympathisantes ou les deux. Les cas du Mexique ou de l’Afrique du Sud, qui ciblent un public blanc et libéral, sont de tristes exemples en la matière, tout comme le sont la Chine et la Russie au niveau du contrôle du peuple. Jusque très récemment, le pouvoir de censure pouvait rendre un pays imperméable aux productions alternatives et étrangères. Mais l’explosion des télévisions câblée et satellitaire a changé la donne, et Internet encore plus, en multipliant les filières médiatiques clandestines. Malgré tout dans certains pays aux régimes cadenassés, comme la Birmanie, la répression et l’oppression sur les diffuseurs potentiels restent trop fortes pour permettre cette ouverture.

Notons enfin que la concurrence en termes de rentabilité entre les groupes télévisuels et plus largement médiatiques a terminé d’achever les préoccupations civiques dans le domaine de l’information et de la communication à grande échelle.

Pourtant, en regardant la situation sous un autre angle, il est indéniablement plus facile dorénavant de produire et de diffuser des messages, et en ce sens la communication télévisuelle et vidéo se « démocratise ». Les télés locales peuvent produire des programmes assez largement diffusés sans l’appui de structures majeures (les coûts de réalisation et d’émission se sont effondrés). Grâce à Internet, de nombreuses vidéos trouvent une audience très large (comme récemment le « buzz » du documentaire anti-Monsanto, censuré à la télévision dans divers pays). Avec ces nouvelles possibilités, la vidéo alternative peut cesser d’être uniquement réactive et devenir pro-active. Mais, en même temps, un mouvement contradictoire d’exigence de rentabilité a fait péricliter nombre d’initiatives de télévisions communautaires plus anciennes. Et si la communication alternative se développe, force est de

constater que les groupes médiatiques à vocation mondiale18 n’ont jamais été aussi puissants (Ramonet I., 2003).

Globalement, l’accès à la technologie moderne va dans le bon sens avec la vidéo et les télévisions, autant pour des projets de communication micro que macro, même s’il favorise localement dans des divers pays la naissance de « classes communicatrices » potentiellement despotiques (Raboy M., 1992).

On perçoit une fois de plus la complexité et la dualité des problématiques de communication, très bien résumée en ce qui concerne la télévision par Jesus Martin-Barbero dans son étude sur le phénomène latino-américain des telenovelas (Martin-Barbero J., 1993). Il y reconsidère les analyses traditionnelles fondées sur la dichotomie entre un émetteur dominant et des récepteurs dominés pratiquant une consommation passive et aliénée. A ce point de vue jugé élitiste il oppose l’immense diversité des médias utilisés quotidiennement par les latinos, qui naviguent dans une mosaïque culturelle et ne sont pas de simples vassaux de l’idéologie dominante. Il montre que les gens sont capables d’exploiter les contradictions auxquelles ils sont confrontés pour apprendre à résister, recycler, et réinventer des modes de communication. Loin d’être seulement dupés par les messages qui leur sont adressés, ils peuvent aussi les décoder et les intégrer dans la reconstruction de leurs identités, dans leur lutte et leur plaisir quotidien. Certains des spectateurs de programmes jugés débilitants sont en réalité actifs, tactiques et intelligents, et ne verront pas par exemple une apologie du machisme dans les telenovelas, mais au contraire sa dénonciation ouverte et télévisée.

Nous évoquerons à plusieurs reprises dans cette thèse l’importance de ce sens critique face à l’image, en ce qui concerne nos travaux de terrain puis dans la proposition d’un cadre déontologique en toute fin.

Revenons en arrière pour introduire un domaine théorique.

Suite aux échecs relatifs des projets de « marketing social », du diffusionnisme

top-down et de la vulgarisation de masse ayant cours jusqu’à la fin des années 80, on assiste à une

remise en cause de l’impact de la communication sur le développement. Celle-ci coïncide avec l’émergence, déjà évoquée, d’une conception moins massive et standardisée de la communication, plus symétrique, plus éthique, prônant l’avènement d’un changement social autogéré et non plus « téléguidé ». Le domaine (encore peu formalisé à l’époque) de la « communication pour le développement » accouche d’une branche militante, la « communication participative – ou alternative - pour le développement », ou « communication pour le changement social ».

2.4 Première définition et bref historique des principales

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